![Réunions de famille en visio : et surtout, la santé ! 1 LuciaBuricelli foto A](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/01/LuciaBuricelli-foto-A-678x1024.jpg)
Pour étrenner mon tout nouvel ordinateur et souhaiter la bonne année à la famille rassemblée, j’ai eu l’idée d’organiser, courant janvier, un must de 2020 : la réunion-visio.
Me voici donc le jour J, armée de mon lien de connexion et d’une coupe de champagne. La fiesta virtuelle peut commencer.
Au début, ce qui surprend, c’est le brouhaha émis par les petits carrés où je vois s’agiter Tata Josiane et son brushing des grandes occasions, la bouche lippue de Tonton Roger, qui mâchouille du saucisson, le gros œil tout rond de l’oncle Jérôme, la cousine Johanna et sa copine, masquées en toutes circonstances, mon neveu Loulou, qui hurle collé à l’écran devant ses parents visiblement crispés, ma sœur en pyjama derrière un écran de fumée dont je devine l’odeur, les parents sur leur trente et un, les cousins d’Agen la bière au goulot en vrac sur le même canapé, puis ma nièce Aurélie depuis Berlin avec son mari Günter. La tribu au grand complet.
J’explique que chaque carré va devoir lever le doigt et parler à tour de rôle, comme à l’école.
Tata commence en disant que l’école, ça lui a toujours mis la rate au court-bouillon, mais bonne année quand même. Les cousins d’Agen ont préparé un chant, Bella Ciao, pour dire adieu à une année de merde. On applaudit tous.
Mon frère et ma belle-sœur essaient de dire quelque chose, mais Loulou bavasse au premier plan en postillonnant que Tonton Roger ressemble au professeur Raoult.
Mon père lève le doigt et, très à propos, nous souhaite une « bonne santé », puis se lance dans une diatribe sur les professeurs de plateaux télé, les hôpitaux débordés, le scandale des masques, et ma mère ajoute les infirmières applaudies mais sous-payées.
Ma sœur, l’œil rieur et rutilant, lance un provocateur : « Pour 2021, moi je dis : bas les masques ! Et qu’on arrête de croire à tout. »
Johanna vexée, qui ne rigole pas derrière le sien, dit qu’il ne s’agit pas de croyance ou de religion, mais de protection. Tonton Roger, au mot « religion », embraye au quart de tour sur les islamistes, les séparatistes, les terroristes et engloutit férocement une tranche de saucisson pendant que la copine de Johanna marmonne un truc sur les racistes.
Berlin demande la parole, Aurélie et Günter espèrent que la France va se ressaisir parce qu’elle a moins bien géré la crise que les Allemand·es.
Roger répond la bouche pleine que lui, il les a toujours bien aimés, les Allemand·es, et que si on les avait pas fichu·es dehors en 1945 on aurait moins de morts maintenant.
Les cousins moqueurs entonnent « Heili, heilo ! » depuis leur canapé. L’oncle Jérôme les fait taire et dit qu’« on ne sait pas tout, [que] ceux qui s’en sortent bien économiquement, ce ne sont pas les Allemands, mais les Chinois ! Et il est parti d’où le virus ? Comme par hasard… ».
Arrive enfin mon tour.
Dans ma hâte d’en finir, je lève précipitamment ma coupe, ma manche s’accroche au coin de la table, freinant brusquement l’élan de mon bras, et mon verre se fracasse sur le clavier de mon si cher ordinateur, qui rend l’âme sous une gerbe de gouttelettes dorées clouant ainsi le bec au brouhaha familial. Et j’ai même pas dit bonne année.