Si/​si, les femmes existent : des jeux de cartes en hom­mage à celles que l’Histoire a lais­sées de côté

Entretien avec Anne Monteil-​Bauer, qui a créé l'association Si/​si, les femmes existent, dont l'objet est de faire (re)découvrir les femmes invi­si­bi­li­sées du passé.

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Anne Monteil-​Bauer, femme de théâtre, s’est plon­gée il y a quelques années dans l’Histoire des femmes, pour mieux com­prendre la sienne. Elle en a tiré l’envie de remettre en lumière les nom­breuses femmes invi­si­bi­li­sées, en créant des pod­casts, des expos, des confé­rences, mais aus­si deux jeux de 7 familles, Femmes remar­quables et Résistantes. Aussi dis­trayants qu’enrichissants ! 

Quel a été le par­cours de la créa­tion de Si/​si, les femmes existent ?
Anne Monteil-​Bauer : Au départ, je suis une femme de théâtre, comé­dienne, autrice, met­teuse en scène. Il y a une dizaine d’années, j’ai tra­ver­sé un moment com­pli­qué, parce que je me suis ren­du compte que, comme toute femme qui tente de se frayer un che­min dans le monde des Arts et de la Culture, j’étais confron­tée à une série d’obstacles, de dis­cri­mi­na­tions cachées et assi­mi­lées comme une norme. Depuis des années j’étouffais, sans pou­voir le for­mu­ler parce que je n’avais pas les outils pour le faire, dans un monde satu­ré de mas­cu­lin où en tant que femme je ne pou­vais avoir qu’un rôle pas­sif. Presque tous mes repères, toutes mes réfé­rences artis­tiques étaient mas­cu­lines. J’ai déci­dé alors de consa­crer une année à ne lire que des autrices. Là, un monde s’est ouvert à moi, qui ne cesse depuis de s’enrichir : une autrice m’a menée vers une pein­tresse, qui m’a menée vers une com­po­si­trice, qui m’a menée vers une suf­fra­giste… J’ai plon­gé dans l’Histoire des femmes. Ç’a été un choc et un émerveillement.

Pourquoi un choc ?
A.M.-B. : Parce que je vivais avec l’idée que si on ne par­lait pas des accom­plis­se­ments des femmes, c’est parce qu’elles n’avaient rien fait. Or c’est tota­le­ment faux, elles ont agi, créé, tra­vaillé pour l’égalité dans tous les domaines. C’est une constante, un conti­nuum de l’histoire de l’humanité. Et c’est pro­fon­dé­ment cho­quant de prendre conscience que tout cela est occul­té, qu’à chaque géné­ra­tion les exploits, les décou­vertes et les révoltes des femmes ont été effa­cés. En 1904, la mili­tante et écri­vaine fémi­niste et liber­taire, Nelly Roussel, à l’occasion du cen­te­naire du Code civil de Napoléon, fus­tige la loi qui a fait des femmes des mineures dépen­dantes soit de leur père, soit de leur mari, dans un dis­cours magni­fique, elle dit : « Les femmes de toutes les classes – que l’injustice et la souf­france ont faites sœurs et soli­daires –, nous toutes, les enchaî­nées, nous toutes, les sacri­fiées, nous nous sommes levées mena­çantes, contre cette loi exé­crable et mau­dite ». Intéressant ce « nous toutes », non ? Pas encore un hash­tag, mais déjà puis­sam­ment col­lec­tif et revendicatif.

Mais com­ment de tout ça naît l’idée d’un pre­mier, puis d’un deuxième jeu de 7 familles ?
A.M.-B. : Un jeu de 7 familles, c’est très simple et léger : 42 cartes. 42 petits cailloux semés dans nos consciences qui nous font entre­voir en une par­tie, tout ce qu’on ne sait pas et qu’on devrait savoir. A cet égard la famille des inven­trices est par­ti­cu­liè­re­ment élo­quente. Par exemple, c’est une femme Mary Anderson, qui a inven­té l’essuie-glace. Étonnant non ? Eh bien, cet éton­ne­ment révèle l’ampleur des pré­ju­gés dans nos ima­gi­naires. Ce qui devrait nous éton­ner, ce n’est pas qu’une femme ait conçu le pre­mier sys­tème d’essuie-glace, mais qu’on ne nous l’apprenne pas. Et puis, j’aime bien l’idée que la famille ne soit pas seule­ment papa, maman, grand-​papa, grand-​maman, fifils et fifille, mais aus­si celle, plus vaste, qu’on se fabrique parce qu’on s’y recon­naît. Les 42 cartes de chaque jeu sont autant de miroirs où se pro­je­ter et se reconnaître.

Tout le monde peut jouer ? Il y a un âge mini­mum ?
A.M.-B. : Les jeux s’adressent plu­tôt à un public adulte ou ado­les­cent. Une par­tie dure assez long­temps et les familles sont plus com­plexes à assem­bler que dans un jeu clas­sique. Mais j’aime ima­gi­ner que des petites filles, même si elles ne font pas une par­tie, peuvent rêver en mani­pu­lant ces cartes et être en face de modèles qui leur offrent plein de pos­sibles. Dans le jeu Résistantes, le simple fait de lire le nom des familles, cheffes de réseaux ou agentes secrètes, ouvre des portes qui étaient closes quand j’étais enfant.

Avez-​vous d’autres pro­jets de jeux ?
A.M.-B. : Oui, j’ai l’idée d’un jeu de l’oie fémi­niste, mais avec Si/​si, les femmes existent, j’ai déjà pas mal de choses en chan­tier, donc je ne sais pas quand il ver­ra le jour.

Quels chan­tiers ?
A.M.-B. : Si/​si, les femmes existent, c’est un réper­toire de plus de 300 articles, qu’on peut trou­ver sur notre site. Des articles sur cha­cune des femmes des deux jeux, mais aus­si sur beau­coup d’autres. Je pro­duis éga­le­ment une série de confé­rences ges­ti­cu­lées, car je suis avant tout comé­dienne. On orga­nise aus­si des expo­si­tions, des apé­ros, une bande des­si­née est en cours d’écriture. En ce moment je bataille pour réha­bi­li­ter Micheline Maurel, une écri­vaine et résis­tante res­ca­pée de Ravensbrück. Les édi­tions À plus d’un titre vont réédi­ter deux de ses textes La Passion selon Ravensbrück et La vie nor­male. À l’occasion de la sor­tie du livre, je ferai une lecture/​performance au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation à Lyon, le 4 mai pro­chain. Du pain sur la planche donc…

Retrouvez les deux jeux de 7 familles "Si/​si, les femmes existent" sur le Causette Store !

Jeu de 7 familles – Femmes Remarquables
Jeu de 7 familles – Femmes Résistantes

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