"Je m’engage pour l’Ukraine" : dans le Val d'Oise, la chambre d'amis de Michèle attend l'arrivée de réfugiées

91 000 places d’hébergement ont été pro­po­sées depuis l’ouverture de la pla­te­forme gou­ver­ne­men­tale le 8 mars der­nier. Parmi elles, deux lits dans la mai­son de Michèle, 63 ans, qui vit dans le Val d’Oise. 

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La chambre de Michelle qui accueille­ra peut-​être
des réfu­giées ukrai­niennes. ©M.L.

Dans la chambre, à l’étage de la mai­son, les deux lits une place sont faits et plus rien ne traîne sur le sol. Les petits-​enfants de Michèle, qui dorment habi­tuel­le­ment ici quand iels lui rendent visite, ont ran­gé leurs jouets et vidé la large com­mode de leurs habits. Une télé­vi­sion est d’ailleurs venue rem­pla­cer les bibe­lots qui se trou­vaient des­sus. Seule une vieille carte de France est res­tée accro­chée au mur, elle pour­ra être utile aux nouveaux·elles occupant·es. Car, cette fois, ce ne seront pas les deux petits-​enfants qui vien­dront dor­mir dans cette chambre mais des réfugié·es ukrainien·nes fuyant leur pays et la guerre. 

« Qu’est-ce que je peux faire pour aider ? » Comme des mil­liers de Français·es, Michèle s’est faite cette réflexion il y a plus d’un mois face à l’horreur de l’invasion russe en Ukraine qui a pro­pul­sé dans l’urgence des mil­lions de per­sonnes. Parmi iels, 3,9 mil­lions d’Ukrainien·nes, des femmes et des enfants sur­tout – les hommes de 18 à 60 ans ont l’interdiction de quit­ter le pays en rai­son de la mobi­li­sa­tion géné­rale – ont dû tra­ver­ser les fron­tières pour trou­ver refuge dans les pays limi­trophes et euro­péens. Partout, l’accueil s’est orga­ni­sé dans un mélange de mobi­li­sa­tion inédite, d’incertitudes et d’appréhensions. En France, Marlène Schiappa, ministre délé­guée à la Citoyenneté, a lan­cé le 8 mars der­nier la pla­te­forme bap­ti­sée « Je m’engage pour l’Ukraine », des­ti­née à cen­tra­li­ser et orga­ni­ser l’accueil des réfugié·es ukrainien·nes sur le territoire. 

« Accueillir, c’était une évidence »

Deux places d'hébergement ont été pro­po­sées par Michèle il y a deux semaines. « J’ai mis à dis­po­si­tion une chambre pour deux femmes ou une mère avec son enfant pour une durée de 24 mois, expliquait-​elle auprès de Causette au len­de­main de son ins­crip­tion. Même si j’espère que d’ici là, la guerre sera finie et qu’ils pour­ront ren­trer chez eux. » Pour cette comp­table de 63 ans, divor­cée, qui vit seule dans cette grande mai­son blanche avec jar­din, encla­vée dans un quar­tier pavillon­naire d’une petite com­mune du Val d’Oise, « c’était une évi­dence » de mettre à dis­po­si­tion cette chambre. Et qu’importe si elle ne parle ni anglais ni ukrai­nien, « il existe plein d’applications aujourd’hui pour se faire com­prendre » avance-​t-​elle en riant. 

91 000 places déjà pro­po­sées sur la plateforme 

Le prin­cipe est simple. Les per­sonnes dési­reuses de pro­po­ser soit un loge­ment entier, soit une chambre à leur domi­cile s’inscrivent grâce au sys­tème sécu­ri­sé France connect, qui per­met de s’assurer que ce sont des per­sonnes réelles. Elles ren­seignent et détaillent ensuite leur loge­ment, leur cadre de vie, le nombre de per­sonnes qu’elles peuvent accueillir ain­si que la durée. Elles doivent éga­le­ment répondre à des ques­tions comme « Votre loge­ment est-​il adap­té aux per­sonnes en situa­tion de han­di­cap ? » ou encore « Acceptez-​vous les ani­maux ? » Les infor­ma­tions sont ensuite trans­mises aux pré­fec­tures qui, en col­la­bo­ra­tion avec des asso­cia­tions réfé­rentes habi­tuées à l’accueil de popu­la­tions réfu­giées, étu­dient avec atten­tion les pro­po­si­tions. Si celles-​ci répondent à des besoins exis­tants pour les déplacé·es ukrainien·nes, les volon­taires sont ensuite contacté·es par la pré­fec­ture puis seront suivi·es régu­liè­re­ment par l’association réfé­rente pour s’assurer que la coha­bi­ta­tion se passe bien.

La pla­te­forme a mobi­li­sé un élan de soli­da­ri­té mas­sif. Trois semaines après son lan­ce­ment, ce sont « 91 000 places d’accueil qui ont été pro­po­sées sur le site », indique à Causette Jordan Chevreau, membre de la Délégation inter­mi­nis­té­rielle à l'hébergement et à l'accès au loge­ment (DIHAL) qui gère la pla­te­forme avec la Délégation inter­mi­nis­té­rielle à l'accueil et à l'intégration des réfu­giés (DIAIR). Des mil­liers de mains ten­dues et de lits dis­po­nibles qui vont « bien au-​delà des besoins réels » précise-​t-​il. En effet, plus d’un mois après le début de la guerre, la ministre char­gée du Logement Emmanuelle Wargon éva­lue à envi­ron 30 000 le nombre de réfugié·es en pro­ve­nance d’Ukraine entré·es en France. Et tous·tes ne res­tent pas sur le ter­ri­toire : une par­tie tra­verse le pays pour rejoindre l’Espagne et le Portugal où les com­mu­nau­tés ukrai­niennes déjà pré­sentes sont nombreuses. 

Valeurs huma­ni­taires 

« Les réfu­giés ne demandent rien d’autre que de pou­voir vivre en sécu­ri­té », sou­tient Michèle, que l’on sur­nomme Theresa dans la région. Car Michelle donne, dès qu’elle le peut, aux asso­cia­tions qui viennent en aide aux réfugié·es. En août, quand les tali­bans ont pris Kaboul, elle a rem­pli à ras bord sa voi­ture de pro­duits d'hygiène pour une asso­cia­tion qui vient en aide aux Afghan·es. En 2019, elle a aus­si don­né des couettes et des vête­ments chauds aux Tibétain·es venus trou­ver refuge pas très loin de chez elle. Alors mettre à dis­po­si­tion cette chambre, c’était pour elle une évi­dence mais sur­tout « une ques­tion d’humanité », sou­ligne celle qui confie « tenir [ses] valeurs de [son] grand-​père qui a sau­vé de nom­breux juifs pen­dant la dépor­ta­tion »

Deux semaines ont pas­sé depuis l’inscription de Michèle sur la pla­te­forme « Je m’engage pour l’Ukraine ». La sexa­gé­naire nous apprend lors d’un second coup de télé­phone que sa demande est actuel­le­ment en cours de trai­te­ment par la pré­fec­ture. « J’ai fini par appe­ler car je n’avais pas de nou­velles, je com­men­çais à m’inquiéter. » Comme elle, beau­coup com­mencent à trou­ver le temps long.

« On prend le temps de défi­nir un pro­jet, on fait signer une charte aux per­sonnes accueillantes comme aux per­sonnes réfu­giées. C’est tout l’enjeu de faire enca­drer l’accueil par l’État : que tout se passe au mieux pour tout le monde. »

Jordan Chevreau membre de la Délégation inter­mi­nis­té­rielle à l'hébergement et à l'accès au logement

Et pour cause, le dis­po­si­tif d’accueil citoyen·nes n’est pas celui que la pré­fec­ture uti­lise en pre­mier lieu. « La pla­te­forme vient en second temps, affirme Jordan Chevreau. À leur arri­vée, les réfu­giés sont d’abord diri­gés vers des centres d’accueil et des héber­ge­ments sociaux. » Une pre­mière phase qui per­met de poser un pre­mier diag­nos­tic sur leurs besoins. « On ne doit pas agir dans la pré­ci­pi­ta­tion, c’est impor­tant de prendre le temps de faire les choses bien pour ne pas envoyer des per­sonnes trau­ma­ti­sées par la guerre chez n’importe qui, explique Mathilda Murcia, membre de la Délégation inter­mi­nis­té­rielle à l'accueil et à l'intégration des réfu­giés (DIAIR). On prend le temps de défi­nir un pro­jet, on fait signer une charte aux per­sonnes accueillantes comme aux per­sonnes réfu­giées. C’est tout l’enjeu de faire enca­drer l’accueil par l’État : que tout se passe au mieux pour tout le monde. »

Jordan Chevreau ne peut nous four­nir de chiffres sur le nombre de réfugié·es d'ores-et-déjà accueilli·es par des Français·es, car tout n’est pas encore remon­té des pré­fec­tures, mais nous confirme que c’est bien le cas. Cependant, il sait que cer­taines pro­po­si­tions n'ont pas été rete­nues. « On étu­die en prio­ri­té les temps longs, indique le jeune homme. On a reçu beau­coup d’offres de deux ou trois semaines, ce n’est pas tenable sur du long terme. On veut tra­vailler sur une inser­tion durable. » 

Les limites des démarches individuelles 

Un temps de diag­nos­tic qui ral­longe les délais et sus­cite par­fois une incom­pré­hen­sion du côté des familles fran­çaises. « On a dû mettre en place une per­ma­nence télé­pho­nique sur la pla­te­forme pour prendre en compte les mil­liers d’appels qu’on reçoit depuis l’ouverture, indique Jordan Chevreau. Les gens ne com­prennent pas que le trai­te­ment de leur dos­sier prenne autant de temps. Ils ont l’impression que les réfu­giés qui arrivent en France se retrouvent sans rien. On prend le temps de les ras­su­rer, de leur expli­quer qu’ils sont pris en charge et que le délai dépend des besoins, des offres et du ter­ri­toire. On ne peut pas envoyer des gens dans des zones inac­ces­sibles en trans­ports par exemple. Le but n’est pas de les iso­ler. » Le fonc­tion­naire dit éga­le­ment rece­voir beau­coup de demandes pour des enfants ukrainien·nes seul·les. « On a pas encore de besoins à ce niveau-​là en France mais si c’était le cas, il seront auto­ma­ti­que­ment orien­tés vers l’Aide sociale à l’enfance. »

Dans cette attente, certain·es se tournent alors vers des démarches d’accueil indi­vi­duelles sans pas­ser par la pla­te­forme gou­ver­ne­men­tale. Sur Facebook, les groupes d’accueil « sau­vage » se sont mul­ti­pliés. Sur l’un deux, une femme affirme être « un peu déçue car [elle] s’est enre­gis­trée dès l’ouverture du site [du gou­ver­ne­ment] mais n’a pas de nou­velles ». Une autre lui pro­pose « de la mettre en contact avec une per­sonne sûre qui s’occupe de pla­cer des réfu­giés ukrai­niens dans des familles », affir­mant avoir elle-​même recueillie « une mamie et sa petite fille de 9 ans » par ce biais. 

Jordan Chevreau craint les limites et les risques que peuvent entraî­ner ce type de démarches indi­vi­duelles. « On encou­rage for­te­ment les per­sonnes qui seraient ten­tés de le faire de s’inscrire sur la pla­te­forme, insiste-​t-​il. Il faut vrai­ment envoyer les bonnes per­sonnes au bon endroit. » Et pour celles qui accueillent déjà ? « Il faut qu’elles se fassent connaître des pré­fec­tures de façon à ce que les asso­cia­tions puissent les suivre pour s’assurer que tout va bien, poursuit-​il. Mais glo­ba­le­ment, on décon­seille for­te­ment, on voit déjà arri­ver des gens qui ne sont pas pas­sés par la pla­te­forme et qui regrettent car ils ne s'étaient pas ren­du compte qu’accueillir des réfu­giés pour plu­sieurs mois ce n’est pas for­cé­ment simple, ça ne s’improvise pas. »

De son côté, Michèle est tou­jours dans l'attente de savoir si elle rece­vra un jour des réfu­giées ukrai­niennes dans la chambre à l'étage de sa mai­son. Pour autant, elle ne regrette pas son choix d'avoir « fait les choses dans les règles » en pas­sant par la pla­te­forme gou­ver­ne­men­tale. « Si je n'accueille per­sonne parce qu'il n'y a pas de besoin, j'en serais très heu­reuse mais si je n'accueille per­sonne en rai­son d'une négli­gence de l'État, ça m'embêterait », déclare celle qui n'écarte pas la pos­si­bi­li­té de se tour­ner, dans ce cas, vers une démarche individuelle. 

Lire aus­si : Guerre en Ukraine : les ini­tia­tives inter­na­tio­nales et locales pour venir en aide au peuple ukrainien

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