91 000 places d’hébergement ont été proposées depuis l’ouverture de la plateforme gouvernementale le 8 mars dernier. Parmi elles, deux lits dans la maison de Michèle, 63 ans, qui vit dans le Val d’Oise.
!["Je m’engage pour l’Ukraine" : dans le Val d'Oise, la chambre d'amis de Michèle attend l'arrivée de réfugiées 1 IMG 8546](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/03/IMG_8546-768x1024.jpg)
des réfugiées ukrainiennes. ©M.L.
Dans la chambre, à l’étage de la maison, les deux lits une place sont faits et plus rien ne traîne sur le sol. Les petits-enfants de Michèle, qui dorment habituellement ici quand iels lui rendent visite, ont rangé leurs jouets et vidé la large commode de leurs habits. Une télévision est d’ailleurs venue remplacer les bibelots qui se trouvaient dessus. Seule une vieille carte de France est restée accrochée au mur, elle pourra être utile aux nouveaux·elles occupant·es. Car, cette fois, ce ne seront pas les deux petits-enfants qui viendront dormir dans cette chambre mais des réfugié·es ukrainien·nes fuyant leur pays et la guerre.
« Qu’est-ce que je peux faire pour aider ? » Comme des milliers de Français·es, Michèle s’est faite cette réflexion il y a plus d’un mois face à l’horreur de l’invasion russe en Ukraine qui a propulsé dans l’urgence des millions de personnes. Parmi iels, 3,9 millions d’Ukrainien·nes, des femmes et des enfants surtout – les hommes de 18 à 60 ans ont l’interdiction de quitter le pays en raison de la mobilisation générale – ont dû traverser les frontières pour trouver refuge dans les pays limitrophes et européens. Partout, l’accueil s’est organisé dans un mélange de mobilisation inédite, d’incertitudes et d’appréhensions. En France, Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté, a lancé le 8 mars dernier la plateforme baptisée « Je m’engage pour l’Ukraine », destinée à centraliser et organiser l’accueil des réfugié·es ukrainien·nes sur le territoire.
« Accueillir, c’était une évidence »
Deux places d'hébergement ont été proposées par Michèle il y a deux semaines. « J’ai mis à disposition une chambre pour deux femmes ou une mère avec son enfant pour une durée de 24 mois, expliquait-elle auprès de Causette au lendemain de son inscription. Même si j’espère que d’ici là, la guerre sera finie et qu’ils pourront rentrer chez eux. » Pour cette comptable de 63 ans, divorcée, qui vit seule dans cette grande maison blanche avec jardin, enclavée dans un quartier pavillonnaire d’une petite commune du Val d’Oise, « c’était une évidence » de mettre à disposition cette chambre. Et qu’importe si elle ne parle ni anglais ni ukrainien, « il existe plein d’applications aujourd’hui pour se faire comprendre » avance-t-elle en riant.
91 000 places déjà proposées sur la plateforme
Le principe est simple. Les personnes désireuses de proposer soit un logement entier, soit une chambre à leur domicile s’inscrivent grâce au système sécurisé France connect, qui permet de s’assurer que ce sont des personnes réelles. Elles renseignent et détaillent ensuite leur logement, leur cadre de vie, le nombre de personnes qu’elles peuvent accueillir ainsi que la durée. Elles doivent également répondre à des questions comme « Votre logement est-il adapté aux personnes en situation de handicap ? » ou encore « Acceptez-vous les animaux ? » Les informations sont ensuite transmises aux préfectures qui, en collaboration avec des associations référentes habituées à l’accueil de populations réfugiées, étudient avec attention les propositions. Si celles-ci répondent à des besoins existants pour les déplacé·es ukrainien·nes, les volontaires sont ensuite contacté·es par la préfecture puis seront suivi·es régulièrement par l’association référente pour s’assurer que la cohabitation se passe bien.
La plateforme a mobilisé un élan de solidarité massif. Trois semaines après son lancement, ce sont « 91 000 places d’accueil qui ont été proposées sur le site », indique à Causette Jordan Chevreau, membre de la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) qui gère la plateforme avec la Délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés (DIAIR). Des milliers de mains tendues et de lits disponibles qui vont « bien au-delà des besoins réels » précise-t-il. En effet, plus d’un mois après le début de la guerre, la ministre chargée du Logement Emmanuelle Wargon évalue à environ 30 000 le nombre de réfugié·es en provenance d’Ukraine entré·es en France. Et tous·tes ne restent pas sur le territoire : une partie traverse le pays pour rejoindre l’Espagne et le Portugal où les communautés ukrainiennes déjà présentes sont nombreuses.
Valeurs humanitaires
« Les réfugiés ne demandent rien d’autre que de pouvoir vivre en sécurité », soutient Michèle, que l’on surnomme Theresa dans la région. Car Michelle donne, dès qu’elle le peut, aux associations qui viennent en aide aux réfugié·es. En août, quand les talibans ont pris Kaboul, elle a rempli à ras bord sa voiture de produits d'hygiène pour une association qui vient en aide aux Afghan·es. En 2019, elle a aussi donné des couettes et des vêtements chauds aux Tibétain·es venus trouver refuge pas très loin de chez elle. Alors mettre à disposition cette chambre, c’était pour elle une évidence mais surtout « une question d’humanité », souligne celle qui confie « tenir [ses] valeurs de [son] grand-père qui a sauvé de nombreux juifs pendant la déportation ».
Deux semaines ont passé depuis l’inscription de Michèle sur la plateforme « Je m’engage pour l’Ukraine ». La sexagénaire nous apprend lors d’un second coup de téléphone que sa demande est actuellement en cours de traitement par la préfecture. « J’ai fini par appeler car je n’avais pas de nouvelles, je commençais à m’inquiéter. » Comme elle, beaucoup commencent à trouver le temps long.
« On prend le temps de définir un projet, on fait signer une charte aux personnes accueillantes comme aux personnes réfugiées. C’est tout l’enjeu de faire encadrer l’accueil par l’État : que tout se passe au mieux pour tout le monde. »
Jordan Chevreau membre de la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement
Et pour cause, le dispositif d’accueil citoyen·nes n’est pas celui que la préfecture utilise en premier lieu. « La plateforme vient en second temps, affirme Jordan Chevreau. À leur arrivée, les réfugiés sont d’abord dirigés vers des centres d’accueil et des hébergements sociaux. » Une première phase qui permet de poser un premier diagnostic sur leurs besoins. « On ne doit pas agir dans la précipitation, c’est important de prendre le temps de faire les choses bien pour ne pas envoyer des personnes traumatisées par la guerre chez n’importe qui, explique Mathilda Murcia, membre de la Délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés (DIAIR). On prend le temps de définir un projet, on fait signer une charte aux personnes accueillantes comme aux personnes réfugiées. C’est tout l’enjeu de faire encadrer l’accueil par l’État : que tout se passe au mieux pour tout le monde. »
Jordan Chevreau ne peut nous fournir de chiffres sur le nombre de réfugié·es d'ores-et-déjà accueilli·es par des Français·es, car tout n’est pas encore remonté des préfectures, mais nous confirme que c’est bien le cas. Cependant, il sait que certaines propositions n'ont pas été retenues. « On étudie en priorité les temps longs, indique le jeune homme. On a reçu beaucoup d’offres de deux ou trois semaines, ce n’est pas tenable sur du long terme. On veut travailler sur une insertion durable. »
Les limites des démarches individuelles
Un temps de diagnostic qui rallonge les délais et suscite parfois une incompréhension du côté des familles françaises. « On a dû mettre en place une permanence téléphonique sur la plateforme pour prendre en compte les milliers d’appels qu’on reçoit depuis l’ouverture, indique Jordan Chevreau. Les gens ne comprennent pas que le traitement de leur dossier prenne autant de temps. Ils ont l’impression que les réfugiés qui arrivent en France se retrouvent sans rien. On prend le temps de les rassurer, de leur expliquer qu’ils sont pris en charge et que le délai dépend des besoins, des offres et du territoire. On ne peut pas envoyer des gens dans des zones inaccessibles en transports par exemple. Le but n’est pas de les isoler. » Le fonctionnaire dit également recevoir beaucoup de demandes pour des enfants ukrainien·nes seul·les. « On a pas encore de besoins à ce niveau-là en France mais si c’était le cas, il seront automatiquement orientés vers l’Aide sociale à l’enfance. »
Dans cette attente, certain·es se tournent alors vers des démarches d’accueil individuelles sans passer par la plateforme gouvernementale. Sur Facebook, les groupes d’accueil « sauvage » se sont multipliés. Sur l’un deux, une femme affirme être « un peu déçue car [elle] s’est enregistrée dès l’ouverture du site [du gouvernement] mais n’a pas de nouvelles ». Une autre lui propose « de la mettre en contact avec une personne sûre qui s’occupe de placer des réfugiés ukrainiens dans des familles », affirmant avoir elle-même recueillie « une mamie et sa petite fille de 9 ans » par ce biais.
Jordan Chevreau craint les limites et les risques que peuvent entraîner ce type de démarches individuelles. « On encourage fortement les personnes qui seraient tentés de le faire de s’inscrire sur la plateforme, insiste-t-il. Il faut vraiment envoyer les bonnes personnes au bon endroit. » Et pour celles qui accueillent déjà ? « Il faut qu’elles se fassent connaître des préfectures de façon à ce que les associations puissent les suivre pour s’assurer que tout va bien, poursuit-il. Mais globalement, on déconseille fortement, on voit déjà arriver des gens qui ne sont pas passés par la plateforme et qui regrettent car ils ne s'étaient pas rendu compte qu’accueillir des réfugiés pour plusieurs mois ce n’est pas forcément simple, ça ne s’improvise pas. »
De son côté, Michèle est toujours dans l'attente de savoir si elle recevra un jour des réfugiées ukrainiennes dans la chambre à l'étage de sa maison. Pour autant, elle ne regrette pas son choix d'avoir « fait les choses dans les règles » en passant par la plateforme gouvernementale. « Si je n'accueille personne parce qu'il n'y a pas de besoin, j'en serais très heureuse mais si je n'accueille personne en raison d'une négligence de l'État, ça m'embêterait », déclare celle qui n'écarte pas la possibilité de se tourner, dans ce cas, vers une démarche individuelle.
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