Mise à jour, 8 octobre 2021 : dans un communiqué de presse, l'AP-HP et la Sorbonne (où enseigne Emile Daraï) ont annoncé que l'enquête interne diligentée le 20 septembre serait rendue à la fin du mois d'octobre, une fois tous les entretiens menés. Le 4 octobre, la mission d'enquête a proposé à l'association Stop VOG (pour violences obstétricales et gynécologiques) de lui fournir les témoignages qu'elle a elle-même recueillis. Le chef de service et professeur a lui été suspendu de ses fonctions afin d'assurer le bon déroulement de l'enquête. Enfin, l'AP-HP prépare l'élaboration d'une charte de bonnes pratiques vis-à-vis des patient·es.
Depuis plusieurs jours, de nombreux témoignages signalent les pratiques violentes du chef du service de gynécologie de l'Hôpital Tenon, dans le 20e arrondissement de Paris, grand spécialiste de l'endométriose. Clémence, qui a vécu une consultation désastreuse avec le Pr. et s'est reconnue dans les témoignages révélés sur les réseaux sociaux puis dans la presse, raconte à Causette.
« Il a été hyper violent dans ses gestes. Je me souviens être rentrée chez moi en pleurant. » Comme plusieurs femmes, Clémence1 a vécu une expérience traumatisante en 2019, lors d’une consultation avec le professeur Emile Darai, chef du service de gynécologie-obstétrique à l'Hôpital Tenon à Paris. Grand spécialiste reconnu par ses pairs d'une maladie encore trop méconnue, l'endométriose, il est celui dont la renommée attire, depuis les années 2010, de nombreuses femmes en recherche de solutions à leurs douleurs. En 2018, Clémence, qui habite à Lyon, est diagnostiquée d'une endométriose après des années d'errance médicale, malheureusement banale pour les porteuses de cette maladie. Depuis son adolescence, la jeune femme souffre de règles extrêmement douloureuses. « La douleur était vraiment à dix. C'était si intense qu'il m’arrivait même de vomir ou de faire des malaises », témoigne-t-elle. Après de nombreuses consultations, ses médecins lui proposent une opération. Avant de la subir, la jeune femme décide de prendre rendez-vous chez le Pr. Darai pour une meilleure expertise. Le jour de la consultation, le médecin refuse de regarder ses examens précédents et se montre désagréable. Puis, viens le moment de l’examen que Clémence a vécu comme une agression sexuelle : « Il m’a fait un toucher rectal sans me prévenir. Je ne l’avais jamais vécu, je me souviens avoir eu très mal mais je n’ai rien dit sur le moment. »
Le choc est si grand qu’avec le temps, comme pour se protéger, Clémence a décidé de ne plus y penser, au point d'oublier la consultation, ainsi que le nom du professeur. C’est deux ans plus tard, en découvrant les témoignages sur le compte twitter Stop aux Violences Obstétricales & Gynécologiques, que ses souvenirs refont surface. Parmi les professionnel.les de santé mis.es en cause sans que leur nom ne soit révélé, les agissements d'un même professeur reviennent régulièrement. « Ce même type s’amuse avec les bougies anales dans les patientes endormies pour leur opération du cancer de l’ovaire avancé, en s'exclamant que certaines n’ont pas l’habitude de se faire sodomiser », témoigne ainsi une étudiante. Une enquête de Flush, publiée le 21 septembre, révèlera son nom : Pr. Emile Daraï. A la lecture de l'article, Clémence, qui avait cru reconnaitre son histoire dans de nombreux témoignages anonymes, n'a plus de doute : c'est bien la même personne qui a fait subir ces pratiques brutales à d'autres femmes.
En moyenne, sept ans d'errance médicale
Lorsque ses souvenirs lui sont revenus, Clémence a ressenti le besoin de témoigner et d’apporter son soutien, alors elle a raconté son expérience sur ses réseaux sociaux. Même si le post est aujourd’hui effacé, la jeune femme de 27 ans a souhaité témoigner dans Causette pour que les choses changent. « Il est vraiment temps que la honte change de côté, il ne faut plus qu'on se taise sur nos souffrances. »
Longtemps confondue avec l’hystérie, l’endométriose est une maladie qui touche une femme diagnostiquée sur dix en France. Elle apparait généralement à partir des premières règles et se caractérise par la présence de tissus semblables à l’endomètre en dehors de l’utérus. Même s’il existe des cas « non douloureux », pour de nombreuses femmes, cela se traduit par de fortes douleurs lors des règles.
Au-delà des cas de maltraitance médicale, c'est l'errance médicale qui questionne aussi Clémence. Bien que le corps médical soit de plus en plus au courant des symptômes de la maladie, l'attente pour un diagnostic est encore en moyenne de sept ans selon les associations de patientes. Après une longue période de visites médicales restées sans réponse, Clémence finit par s'auto diagnostiquer l’endométriose. « Plus jeune, j’avais une gynécologue pas irrespectueuse mais qui ne comprenait pas du tout mes douleurs. C’est par hasard qu’une étudiante m’a parlé de l’endométriose, raconte-t-elle. J’ai aujourd’hui un dossier énorme de différents médecins que j’ai consultés, d’examens que j’ai faits, c’est beaucoup trop. » C’est son médecin à Lyon qui lui confirme enfin : « J’ai ressenti un grand soulagement, je me suis dis que finalement, je n’étais pas folle, que ma souffrance avait un nom. » Mais la consultation avec le Professeur Emile Darai, la fait douter de nouveau. Le docteur avait conclu la séance en expliquant à la jeune femme qu’elle n’était pas atteinte d’endométriose. Finalement, une opération donnera tort au spécialiste et la jeune femme apprend, tant bien que mal, à vivre avec sa maladie.
Depuis les révélations de Flush, une enquête interne a été ouverte à l’Hôpital Tenon. Le conseil du 20e arrondissement de Paris, emmené par l’élue France Insoumise Danielle Simmonet, a aussi soumis une demande d’ouverture d’enquête à Anne Hidalgo, maire de Paris et Présidente du conseil de surveillance de l’AP-HP2.