Un oncle sorti du placard, un père au passé d’espion, des grossesses cachées… Un jour, ils et elles ont fait éclater la vérité.
Laura, 36 ans
« L’oncle de ma mère a vécu emmuré trente-quatre ans »
« Dans la ville espagnole où j’ai grandi, Avila, il n’y avait pas grand-chose à faire pour occuper nos journées. L’activité fétiche : faire des bêtises. Par exemple, déloger sans se faire prendre les deux livres interdits que ma mère avait cachés tout en haut de sa bibliothèque. “Ouste là !”, elle veillait. J’en crevais de curiosité ! À 15 ans, lorsque j’ai enfin réussi à les attraper, je n’ai pas été déçue. Le premier était un Manuel pour jeune femme mariée comportant des conseils que je n’étais pas en âge de goûter. Le second, une enquête de deux journalistes révélant un pan invraisemblable de l’Histoire. D’après eux, une vingtaine de résistant·es espagnol·es, les “taupes”, s’étaient caché·es, après la guerre civile, pendant des mois, voire des années, dans des abris qu’ils et elles avaient construits pour échapper aux représailles. Ce livre m’a fascinée. Dans le cahier photo, l’un des protagonistes ressemblait étrangement aux hommes de ma famille. Pire, d’après le sommaire, il portait le même nom que moi.
Lorsque j’ai demandé à ma mère des explications, elle est restée sans voix. Je venais de forcer une porte qu’elle n’avait jamais ouverte à personne. Ce secret, elle l’avait appris, elle aussi, à l’âge de 15 ans. Un beau jour, son père l’avait prise par la main en lui disant : “Viens voir par ici. J’ai quelqu’un à te présenter.” Son père avait alors retiré quelques briques d’un mur de la maison. Et l’oncle de ma mère était là. On était en 1970, peu avant la mort de Franco. Il pouvait donc enfin sortir après être resté trente-quatre ans caché dans ce grenier de moins de 9 mètres carrés. Toutes ces années, ce résistant recherché par les franquistes avait survécu grâce à la complicité de ses frères, qui lui apportaient chaque jour de quoi survivre. La famille s’agrandissait, les neveux, nièces se mariaient… Personne ne devait rien savoir. Ma mère tremblait en me racontant cela. Le choc de découvrir cet homme gris, ce héros emmuré. La tristesse profonde de le voir mourir six mois après sa “sortie”. Elle tremblait tant que je n’ai pu l’interroger davantage. Elle m’a même demandé de ne plus jamais lui en reparler.
Les premiers temps, j’ai respecté sa demande. Ma découverte n’avait finalement rendu le silence familial que plus palpable. Mais à bientôt 40 ans, je ne parviens plus à me taire. J’interroge mes proches, des habitants du village, les journalistes qui ont enquêté. Je comprends enfin les règles strictes qui ont toujours gouverné ma famille : les horaires pour sortir le matin, rentrer le soir, les heures des repas, les tabous politiques… Devenue poète, je souhaite écrire pour raconter le poids d’un tel secret et les traumatismes que cela peut engendrer. J’espère qu’en découvrant mon projet, ma mère ne va pas se fâcher ! » L. M.
Philippe, 69 ans
« Ma famille a caché à ma grand-mère la mort de son fils »
![Révélations familiales 2 causette 5](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2019/06/causette_5-299x1024.jpg)
« Ma famille paternelle a toujours été un petit peu fada, mais là, ils ont dépassé les bornes ! En 1999, Maria, ma petite mémé toujours vêtue de noir que j’adorais, a perdu son fils Antoine, qui était donc mon oncle. Il est mort d’une crise cardiaque. Ma tante m’appelle et m’apprend la triste nouvelle. Je lui demande : “Comment va Maria ? Elle tient le coup ?” Et là, gros silence au bout du fil. Et pour cause, personne dans la famille ne lui avait rien dit ! Maria avait déjà 90 ans à l’époque, elle était veuve, et ensemble nous avions déjà pleuré son premier fils, autrement dit mon père. Alors, tout le monde a considéré que ce n’était pas la peine de l’accabler avec la mort de son second fils. Ma famille, qui vit à Nice, a organisé en catimini les obsèques d’Antoine. Ils ont privé ma grand-mère de l’enterrement de son propre enfant !
Les jours sont passés, et Maria s’inquiétait de ne plus avoir de nouvelles d’Antoine. Pour justifier son absence, ma famille a inventé des tas de bobards. Comme mon oncle était militaire, ils ont raconté à Maria qu’il avait dû partir urgemment en mission secrète à l’étranger avec interdiction d’appeler pour des raisons de sécurité. Ma tante envoyait chaque semaine des fausses cartes postales à Maria en imitant l’écriture de son fils, vous imaginez ! À cause de son grand âge, ma mémé perdait un peu la raison et la mémoire, elle a cru à tous ces mensonges qui ont duré des années. Ma famille m’a demandé de rentrer dans la combine pour ne pas éveiller ses soupçons, j’ai refusé et j’ai coupé les ponts avec eux. Ce qui me fait le plus mal, c’est que je n’osais plus appeler Maria, je ne voulais pas lui mentir par omission. Finalement, elle est morte cinq ans après son dernier fils. J’espère que ce n’était pas de chagrin. » L. G.
Justine, 20 ans
« Ma mère m’a révélé ses avortements devant ma psy »
« Il y a trois ans, alors que j’étais seule chez moi, je suis tombée sur des feuilles volantes laissées sur une table. J’y reconnais l’écriture de ma mère : elle parlait de ma naissance difficile, de sa sévère dépression qui s’ensuivit, de son rapport à la maternité… et d’avortements. Un mot que j’ai l’impression de lire en gras. Je commence à feuilleter ses écrits, mais je ne comprends pas tout. Fille unique, j’ai un rapport fusionnel avec elle, mais je n’arrive pas à lui en parler. Je redoute sa réaction.
À l’époque, ma psychologue, que je consultais pour des angoisses et des troubles alimentaires, me suggère de faire venir ma mère à son cabinet pour que nous puissions en discuter toutes les trois. Une semaine plus tard, ma mère me raconte alors ses deux avortements avant ma naissance, son incapacité à s’imaginer mère, les réminiscences d’attouchements sexuels subis, petite, de la part de son voisin. Lorsqu’elle est tombée enceinte pour la troisième fois de mon père, elle a décidé de garder le bébé, à savoir moi. Pourtant, sa peur de ne pas être à la hauteur s’est poursuivie : elle était sous antidépresseurs et était suivie dans une unité mère-enfants en psychiatrie périnatale. Deux ans après ma naissance, elle interrompt une nouvelle grossesse, bien que désirée, me répète-t-elle, et commet une tentative de suicide. Je pense que je savais intérieurement des bribes de son histoire, car j’ai des souvenirs de moi petite rentrant de l’école et la voyant pleurer. Lorsque je posais des questions, on ne me répondait pas, mais on me soulageait en me disant que ma mère allait guérir avec le temps.
À 17 ans, quand elle m’a révélé ses secrets, je n’ai pas pu m’empêcher de penser : “Pourquoi je suis l’enfant qu’elle a décidé de garder ? Qu’est-ce que cela aurait été de vivre dans cette famille avec d’autres enfants ?” Le fait de connaître son secret a renforcé notre lien : lorsqu’il m’arrive encore de lui poser des questions, je ne veux surtout pas lui donner l’impression de la juger aujourd’hui avec mon regard d’adulte. Je comprends mieux maintenant pourquoi j’ai le sentiment d’avoir grandi plus vite que les autres. » J. C.
Emmanuelle*, 35 ans
« J’ai forcé ma mère à dire à mon père qu’il n’était pas mon géniteur »
« “Maman, Papa est-il mon vrai papa ?” J’ai lâché cette question étrange, un 23 décembre, juste avant le dîner. J’avais 20 ans, je sortais d’une séance de psy pendant laquelle j’avais justement maintenu que mon père était mon vrai père, quelle question. Alors que… “Non”, a murmuré ma mère. “Mais… il est au courant ?” – “Non”, a‑t-elle répété, l’air acculé. J’ai hurlé un grand “AAAAaaaaaaaaah” en m’agitant. J’ai toujours eu ce côté drama. Mon père a accouru : “Mais qu’est-ce qu’elle a, elle est folle ?” – “Laisse-nous”, a dit ma mère. Mon père est retourné au salon. J’ai exigé que ma mère lui parle, tout de suite. Impossible de passer à table sans que la vérité soit dite. Elle s’est exécutée, puis on a dîné en silence avec les restes du mensonge étalé sur la table. Le secret, même avoué, n’est pas si facile à épousseter. “J’aime ta mère”, m’a tout de même lâché mon père ce soir-là, me voyant paniquée. “Elle a fait une connerie, mais c’était une belle connerie, car tu es là.”
Les mois et années qui ont suivi, dès que mon père était absent, je coinçais ma mère pour lui demander de tout me dire. Je croyais préserver mon père, mais en me comportant ainsi, je maintenais l’esprit du secret. Quinze ans plus tard, cette révélation porte ses fruits. Il n’y a pas de grande vérité à percer. Mon père biologique ? Je l’ai rencontré. J’ai été surtout frappée de voir à quel point je lui ressemblais. Mon vrai père ? C’est celui qui m’a élevée, il n’y a pas à chipoter ! La vérité que tout cela révèle se trouve dans les détails : ces messes basses avec ma mère, mon côté “cash” que j’assume enfin, ces coups de pied récurrents dans les fourmilières que je ne cesserai jamais de donner. » L. M.
* Emmanuelle Laurent, autrice de Comme psy comme ça (éd. Rageot) et de la chaîne YouTube Mardi noir.
Élisabeth*, 43 ans
« J’ai découvert que mon père avait été espion »
![Révélations familiales 3 causette 6](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2019/06/causette_6.jpg)
« En 2011, trois ans après le décès de mon père, je mets en vente l’appartement familial et découvre, dans son bureau, des vieilles photos et quatre papiers d’identité d’époque en hongrois. Je sais très peu de choses du pays d’origine de mon père, qui a quitté la Hongrie pour fuir le communisme. Il a toujours été très secret sur cette période de sa vie et je connais à peine sa famille restée sur place. Je décide de partir en Hongrie pour en apprendre plus.
À Budapest, j’entre en contact avec un historien francophone pour lui montrer les documents. Bien que cela ne soit guère surprenant durant la guerre froide, il me confirme que ce sont de faux papiers d’identité, mais les trouve mystérieux. Plus je le vois les manipuler, plus son visage s’anime et plus je comprends qu’il se peut que mon père ait été plus qu’un opposant politique. Au bout de deux ans, nous avons eu accès à un dossier de deux mille pages issues des archives de la police politique hongroise, qui retraçait l’ensemble de son activité. Je comprends que mon père, alors étudiant en pharmacie à Budapest à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a commencé une carrière d’espion en s’infiltrant parmi des étudiants communistes pour le compte de diplomates français. À la tête d’un réseau, il a ensuite multiplié les allers-retours pour faire passer des gens, de l’argent et du matériel entre la Hongrie et l’Autriche avant de venir s’installer à Strasbourg en 1952 pour reprendre des études en chimie. Jusqu’en 1986, il est considéré comme “dangereux” par les autorités hongroises.
J’ai partagé les résultats de mes découvertes avec ma mère, qui n’en savait rien. Cela fut une bombe émotionnelle pour elle. Donc, sur les conseils du personnel de la maison de retraite médicalisée dans laquelle elle se trouvait, je ne lui ai pas tout dit. En revanche, découvrir le passé de mon père m’a rapproché de ma demi-sœur et de la première femme de mon père. Cette histoire m’a raccroché à ma famille en Hongrie, que j’ai appris à mieux connaître, et, plus globalement, à la notion de famille. Pour mieux raconter cette histoire, j’ai réalisé un court-métrage, écrivant moi-même, à partir de ce que j’ai appris, la Lettre qu’il aurait pu rédiger s’il n’avait pas gardé le secret ! » J. C.
* Élisabeth Rull est photographe et autrice du projet transmédia Les Mémoires courtes.
Denis, 36 ans
« J’ai appris que j’avais un grand-père pétainiste »
![Révélations familiales 4 causette 8](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2019/06/causette_8-415x1024.jpg)
« J’ai toujours su que mon grand-père paternel, Albert, était raciste. Mais à sa mort, j’ai mieux compris pourquoi il n’avait jamais voulu dire ce qu’il avait fait pendant la guerre. En 2007, quelques jours après son enterrement, je vais vider son appartement avec mon père, ma mère, ma tante et mes cousines. Chacun peut prendre ce qu’il veut parmi les affaires. Rien n’a de valeur, mais Albert ne jetait rien.
Ma mère a envie de récupérer un service à thé japonais du début du siècle, assez vieillot, blanc et bleu avec un liseré doré. Mon père s’y oppose et lâche comme une bombe : “Il a été volé à une famille juive.” Tout le monde entend cette phrase et reste interloqué. Mon père s’explique : le père de ma grand-mère, la femme d’Albert donc, avait récupéré ce service à thé dans l’appartement des voisins après une rafle. La famille avait-elle été raflée sur dénonciation du père de ma grand-mère ? Mon père n’en sait pas plus.
Dans la bibliothèque, je trouve une photo de mon grand-père que je n’ai jamais vue. Derrière, une inscription : 1934, réunion des Croix-de-Feu. Du fond d’une étagère, j’exhume une dizaine de livres écrits par le maréchal Pétain. Des livres usés d’avoir été beaucoup lus. Je tombe enfin sur un album photo de Pétain, dans les années 1950, édité par l’association des Amis du Maréchal. Je savais que mon grand-père n’avait pas été résistant, j’espérais qu’il avait au moins été passif. Là, il apparaissait clairement pétainiste et fasciste. Et comment ne pas faire le lien avec le deuxième prénom de mon oncle, Philippe, né l’année de la mort du Maréchal ?
J’ai rangé ces livres dans ma bibliothèque pour garder des traces de ce grand-père dont on ne connaîtra jamais toute la vérité. Mon père et moi avons toujours eu un regard d’historien sur cet épisode. Une façon de mettre en perspective notre histoire familiale avec la grande Histoire. Aujourd’hui, je réfléchis à comment raconter tout cela à mes deux enfants. À ne pas leur cacher ce secret. Je veux leur expliquer un jour que tous les grands-parents n’ont pas été des héros pendant la Seconde Guerre mondiale. » M. R.