Farida C., infirmière, était jugée, lundi 22 février, à Paris pour « outrages » et « violences » contre les forces de l'ordre lors d'une manifestation le 16 juin 2020. Deux mois de prison avec sursis ont été requis.
« Quel est ce procès qui rassemble autant de monde ? ». Intriguée par l'attroupement dans le couloir et les caméras agglutinées ce lundi 22 février devant la 29e chambre correctionnelle du Tribunal de Grande instance de Paris, une avocate en robe et masque noirs s’arrête quelques instants. « C’est celui de la soignante interpellée cet été lors d’une manifestation », lui répond un journaliste. D’ordinaire, les affaires jugées par la 29e chambre correctionnelle ne suscitent pas autant l’intérêt des médias et du public. Mais cette fois-ci, c'est différent. Quelques heures plus tôt, il a d’ailleurs fallu suspendre la séance pour faire déménager la cour en catastrophe, histoire de s’installer dans une salle plus spacieuse, capable d’accueillir – dans le respect des règles sanitaires – la presse, le public et les proches de la prévenue. Des collègues sont même venues la soutenir en blouse blanche.
L’histoire de Farida C., 51 ans, infirmière en gériatrie à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif a marqué les esprits. Le 16 juin dernier, les images de son arrestation musclée sur l’esplanade des Invalides – on la voit notamment être plaquée au sol par plusieurs fonctionnaires de police et on l'entend réclamer sa « ventoline » car elle a de l'asthme – ont tourné en boucle et choqué l’opinion publique. Ce jour-là, la soignante comme des milliers d’autres, a défilé pour demander plus de moyens pour l’hôpital. L’ambiance est électrique et les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre à leur paroxysme. Des grenades lacrymogènes sont jetées. La confusion est totale. Farida C., en blouse blanche, lance des morceaux de bitume vers les forces de l’ordre et fait quelques doigts d’honneur au passage. C’est pour cette raison qu’elle a été arrêtée et placée en garde à vue pendant 24 heures. Une expérience qui la laisse « cabossée » avec diverses blessures. Les conditions de son interpellation font d’ailleurs l’objet d’une plainte auprès de l’IGPN, la police des polices, mais la procédure est toujours en cours.
Huit mois plus tard, le lundi 22 février, Farida C. comparaît pour « violences sans interruption temporaire de travail », « outrages » sur personne dépositaire de l’autorité publique, « insultes » et « rébellion ». Elle reconnaît une partie des faits qui lui sont reprochés, sans le moindre doute, mais en conteste d’autres, comme la rébellion. Selon le témoignage de trois policiers dont un commissaire présent à l’audience et sur les lieux, elle aurait traité les agent⋅es de « sales flics de merde » et de « putes à Macron ». Ce point, elle le réfute fermement. Si les vidéos diffusées lors de l’audience attestent des jets de pierre et des doigts d'honneur, aucune ne vient confirmer qu’elle ait tenu des propos injurieux ou résisté lors de son interpellation.
A plusieurs reprises, Farida C. signale qu’elle a du mal à entendre ce qui se dit autour d’elle, demandant à la présidente de répéter plus distinctement ses questions. Mais la cour, elle aussi, a eu du mal à l’entendre. C’est finalement en début d'après-midi que la prévenue a prononcé ses premiers mots. Après de longues heures de discussion sur d'éventuels vices de procédure dans le dossier, la prévenue s’exprime enfin. L’élément déclencheur de son geste ? « Le énième gazage des forces de l’ordre », lâche-t-elle d’une voix un peu éraillée. Elle semble bien frêle dans son chemisier fleuri et sa veste en cuir. « Ce geste m’a dépassée. C’était une réaction surdimensionnée, pas réfléchie, car j’étais exténuée, j’avais beaucoup travaillé. Ce geste n’était pas contre la police, je ne voulais blesser personne. C’était symbolique, contre l’Etat, et ça traduisait ma colère. Je ne suis pas violente. La violence c’est ce qu’on vit à l’hôpital. »
Toute la journée, il aura été question de contexte. Le contexte de l’époque, celui de la France d’après le premier confinement, mais aussi celui de l’hôpital public et enfin, celui de la police. Quand elle se tourne vers le commissaire, unique plaignant présent du côté des parties civiles, Farida C. dresse un parallèle entre eux. « Je sais que les policiers ne travaillent pas non plus dans des conditions faciles », lui dit-elle. L’avocate du plaignant pointe quant à elle le manque d'empathie supposée de l'accusée : Farida C. a malgré tout « ciblé des hommes et des femmes sous les casques contraints de travailler, eux aussi, dans des conditions difficiles. » Ces différents contextes, la procureur de la République n’a pas voulu les retenir. Regrettant « le brouhaha » autour de cette affaire, elle s’est limitée aux faits. « On juge un acte, à un moment, et pas plus que cet acte », a‑t-elle conclu après avoir demandé la relaxe sur deux des quatre points : la rébellion et les insultes. Pour le jet de pierres et les doigts d’honneur, points établis puisque Farida C. ne les a jamais contestés, la procureur de la République a requis deux mois de prison avec sursis. Elle a également demandé à ce qu’une éventuelle condamnation ne soit pas inscrite dans le casier judiciaire de Farida C.
Elle raconte alors à la barre son quotidien de soignante, le tunnel des derniers mois face à la gestion du Covid, le manque de moyens, de sommeil, les patients « mis dans des housses » et « la frustration » de ne plus pouvoir faire son métier correctement. « De frustration en frustration, on en arrive à la colère », poursuit celle qui se décrit comme « une citoyenne exemplaire », qui a élevé deux enfants seule et construit sa carrière à la force du poignet. Elle prépare d’ailleurs un concours pour obtenir le titre de cadre de santé, fonction qu’elle occupe déjà depuis quelques mois.
Pour son avocat, maître Arié Alimi, l’infirmière « qui n’aurait jamais dû se retrouver devant le tribunal » doit être intégralement relaxée. « Quelques bouts de bitume jetés en l'air, ça ne vaut pas la prison avec sursis », assène-t-il avec force. Le jugement a été mis en délibéré. La décision est attendue pour le lundi 3 mai. La 29e chambre correctionnelle devrait à nouveau faire salle comble.