Marie-​Annick Horel : « Nous, sur­veillantes péni­ten­tiaires, sommes le der­nier pont entre les déte­nues et la société »

Marie-Annick Horel a consacré trente-sept années de sa vie aux femmes condamnées et incarcérées au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes. À la retraite depuis 2017, l'ancienne surveillante de 63 ans publie aujourd’hui son témoignage dans Au cœur de la prison des femmes, ma vie de surveillante et livre un récit inédit sur l'univers carcéral féminin.

Marie Annick Horel HD 2
Marie-Annick Horel ©DR

Trente-sept. C’est le nombre d’années que Marie-Annick Horel a passé dans la prison pour femmes de Rennes (Ille-et-Vilaine). Pas en tant que détenue mais en tant que surveillante pénitentiaire. En 1980, la Bretonne a 21 ans quand elle y entre et suit immédiatement les conseils d’une collègue : « Note tout pour ne rien oublier. » Marie-Annick Horel va ainsi noircir les pages de ses carnets pour ne rien oublier de ce qui se passe entre ces murs. À la retraite depuis 2017, l’ancienne surveillante de 63 ans, devenue major entre-temps, livre son témoignage dans Au cœur de la prison des femmes, ma vie de surveillante, co-écrit avec la journaliste Maria Poblete, et publié le 3 mars aux éditions Tallandier. Dedans, elle y retrace sa vie de surveillante dans le seul centre pénitentiaire de France exclusivement réservé aux femmes souvent condamnées à de lourdes peines. Rencontre. 

Causette : Comment et pourquoi êtes-vous devenue gardienne de prison ?
Marie-Annick Horel : À 21 ans, je ne connaissais absolument rien au métier de surveillante pénitentiaire et encore moins aux prisons. Je me destinais au départ à devenir infirmière dans un hôpital psychiatrique, j’avais même été reçue au concours. Sauf qu'entre-temps, un camarade me parle du métier de son père, directeur de la prison de Vannes. Il me propose de le rencontrer, j’accepte. J’étais curieuse et j’avais beaucoup de questions et d’aprioris sur ce qu’était l’univers carcéral. Je m’imaginais un endroit dangereux avec des gens dangereux. Finalement, en voyant la cour de promenade où il n’y avait que des hommes, je me suis rendu compte qu’ils auraient pu être mon père, mon cousin ou mon frère. Le concours d’entrée était le mois suivant, je le passe un peu par hasard et je l’obtiens. Mes parents m’ont laissé le choix entre la psychiatrie ou le centre pénitentiaire. J’ai choisi le second car j’étais sûre de rester en Bretagne. Je n’ai jamais regretté et si c’était à refaire, je ferais le même choix. 

Comment se sont déroulés vos débuts ? 
M.-A.H. : Les débuts ont été moches, très moches. La première journée, je me sentais mal. Je me demandais si j’allais tenir le coup. Pas à cause des détenues mais des autres surveillantes. À l’époque, il n’y avait que des femmes surveillantes [la mixité est instaurée en 1984, ndlr]. Mes collègues plus âgées se sont rapidement révélées très strictes. J’étais régulièrement rappelée à l’ordre car, selon mes supérieures, je « copinais » avec les condamnées. Il ne fallait pas discuter avec les détenues, il y avait très peu de chaleur. Je ne voulais pas seulement ouvrir et fermer des portes, je voulais écouter, échanger et partager avec ces femmes, leur apporter de l’humanité et de l’empathie dans un milieu très opaque. Nous ne gardons pas des objets, tout de même ! Il fallait trouver le juste milieu entre éprouver de l’empathie et ne pas non plus faire dans l’angélisme. Ce n’était pas toujours évident mais je pense que je m’en suis bien sortie. 

« Dans l’imaginaire collectif, il est difficile de concevoir que les femmes puissent être délinquantes, violentes, assassines. Elles ne sont pas censées enfreindre les lois de la société mais rester dociles, douces, soumises et mères. »

On parle très peu du milieu carcéral féminin. Selon vous, pourquoi ? 
M.-A.H. : Oui, on parle beaucoup de l’incarcération des hommes mais jamais de celle des femmes. Peut-être parce qu’elles ne correspondent qu’à 3,3% des personnes mises sous écrou (ndlr : selon les derniers chiffres du ministère de la Justice en 2021). Mais surtout parce que, dans l’imaginaire collectif, il est difficile de concevoir que les femmes puissent être délinquantes, violentes, assassines. Elles ne sont pas censées enfreindre les lois de la société mais rester dociles, douces, soumises et mères. Elles proviennent souvent de milieux défavorisés et sont généralement désocialisées au moment de leur incarcération. Beaucoup d’entre elles ont subi des violences dans leur enfance ou dans leur vie conjugale. Elles ont souvent du mal à rebondir, à s’en sortir et à envisager une vie après la détention. 

Selon vous, cette mise à l’écart dans le regard de la société est-elle ressentie au sein de la prison pour femmes de Rennes ? 
M.-A.H : Les femmes incarcérées forment une population invisible. Elles sont très seules, surtout celles condamnées pour de lourdes peines. Les hommes ont toujours davantage de visites au parloir que les femmes. Les maris, les petits-amis ne restent pas en couple avec des femmes incarcérées au-delà de cinq ans. Elles se raccrochent souvent à la religion et tentent de trouver de la chaleur auprès d’autres détenues qui deviennent ensuite des amies ou des petites-amies. 

 « Ce n’est pas donné à tout le monde d’aimer les gens, de les respecter même s’ils ont commis des actes abominables. » 

Marie-Annick Horel

Et en ce qui concerne la prise en charge ? 
M.-A.H : Pendant longtemps, leur prise en charge dans la vie quotidienne n’était pas adaptée à leur sexe, comme si leurs besoins étaient les mêmes que ceux des hommes. Jusqu’à l’intervention il y a quelques années de la direction du centre pénitentiaire de Rennes, il n’y avait ni tampons ni serviettes hygiéniques dans le kit d'arrivée des femmes. J’ai vu beaucoup d’évolutions, en 37 ans. Quand j’ai commencé, on vidait encore les pots de chambre. Dernièrement, je sais que la directrice a mis des sextoys à la disposition des détenues. Je trouve ça très bien. 

Est-ce qu’il est difficile émotionnellement de travailler dans une prison ? 
M.-A.H. : Complètement. Je dis toujours : « On rentre, on est une pomme, on ressort, on est un trognon. » Même si vous êtes solide et bien ancrée, vous êtes grignotée et même parfois détruite. Au début, je ne faisais que fermer et ouvrir les portes. Les ouvrir, encore, ça allait. Mais les refermer, enfermer quelqu’un et ensuite rentrer chez soi, ce n’est pas un geste anodin. Il y a aussi la souffrance du métier. Ce n’est pas donné à tout le monde d’aimer les gens, de les respecter même s’ils ont commis des actes abominables. Au début de ma carrière, il n’y avait pas de cellule psychologique pour le personnel pénitentiaire. On l’a mis en place il y a une vingtaine d’années. C’est important de pouvoir se confier, d’être aidée. Car on ne parle jamais des surveillants de prison sauf lorsque la situation dérape en mutinerie ou en évasion. Ce métier fait peur et il n’est pas compris. La prison pour femmes est une microsociété dont le public ignore absolument tout. Nous sommes pourtant le dernier lien, le dernier pont entre ces femmes et la société. 

« Très souvent les mères infanticides s’interdisent d’être heureuses car elles sont pétries de culpabilité et tentent de se faire oublier. »

Est-ce qu’il est parfois compliqué de garder une objectivité lorsqu’on est confronté à des femmes qui ont commis des actes graves ? 
M.-A.H. : On n’est pas là pour les juger mais effectivement c’est difficile d’être toujours objective. J’ai l’exemple de Monique Olivier [l’ex-compagne et complice du tueur en série Michel Fourniret, ndlr]. Quand je l’avais en face de moi, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à Monsieur Mouzin qui cherchait sa petite fille, Estelle. Je dirais que ça dépend des détenues mais en règle générale, notre rôle n’est pas de classer ces femmes de la moins pire à la plus atroce. J’ai souvent entendu des surveillantes dire « elle, elle se débrouille, elle a maltraité son enfant ». Non, notre rôle n’est pas de juger. 

Il y aurait-il alors une différence de traitement entre les femmes incarcérées pour infanticides et les autres ? 
M.-A.H. : Elles sont souvent considérées comme des monstres. Elles ne sont pas à l’isolement mais sont peu intégrées, restent seules ou se rapprochent des personnes incarcérées pour de mêmes faits. Très souvent, elles s’interdisent d’être heureuses car elles sont pétries de culpabilité et tentent de se faire oublier. J’ai redoublé d'efforts pour tenter d’apaiser les tensions et instaurer un dialogue entre les détenues. À l’inverse, certaines se sont reconstruites en prison. 

Si vous aviez un meilleur souvenir de ces années, quel serait-il ? 
M.-A.H. : Il y en a beaucoup mais si je devais n’en garder qu’un, ça serait le jour où j’ai fêté mes 50 ans en prison avec une détenue qui fêtait aussi ses 50 ans ce jour-là. Elle avait préparé une petite fête surprise en secret avec une petite douzaine de détenues et quelques collègues. Quand je suis arrivée, elles m’ont applaudies, il y avait du thé et du gâteau au chocolat. J’étais un peu démunie car on m’a tellement dit au début de ma carrière : « Ce ne sont pas tes copines, t’as pas le droit de rire avec elles. » Mais ça m’a beaucoup émue et touchée. Elles m’avaient écrit une très belle lettre que j’ai toujours. 

Et au contraire, votre pire souvenir ? 
M.-A.H : C’est la mort. Elle s’appelait Esther, elle avait été condamnée pour double infanticide. Un après-midi, je l’écoute me parler avec douceur de son fils aîné dont elle est si fière. Quand elle quitte mon bureau, je lui glisse : « On en parle demain, d’accord ? » Elle me dit au revoir mais ne me dit pas à demain. Le soir même, elle se pend à sa douche avec le fil d’antenne de la télévision en laissant une lettre à l’administration pénitentiaire : « Mon fardeau est trop lourd, je ne peux plus vivre. » Là, je me suis dit que j’étais forcément passé à côté de quelque chose, que j’aurais pu faire quelque chose. J’ai eu besoin d’aller voir une psychologue pour comprendre que je n’étais pas responsable.

« J’ai rencontré des détenues que j’aurais bien aimé rencontrer en dehors. »

«

Vous avez connu des centaines de détenues dont certaines médiatiques comme Myriam Badaoui et Monique Olivier. Une d'entre elles vous a-t-elle marquée plus que les autres ? 
M.-A.H. : Beaucoup (rire). Là je pense à Jeannine Terriel, la dernière femme de France contre qui on a requis la peine de mort. Elle était la complice d’Yves Maupetit. Ensemble, ils ont tué trois personnes, violé une femme et pris des personnes en otages en 1978. Elle avait été condamnée à la perpétuité en 1981. Elle m’a marquée parce qu’elle était Bretonne comme moi et que c’était « une bête féroce ». On ne pouvait pas l’approcher, elle était très agressive. 

Avez-vous gardé contact avec certaines d’entre elles ?
M.-A.H. : J’ai rencontré des détenues que j’aurais bien aimé rencontrer en dehors. Beaucoup d’entre elles étaient de belles personnes malgré le fait qu’elles avaient du sang sur les mains. Mais pour le bien de toutes, il vaut mieux que chacune poursuive sa route. J’ai gardé un seul contact depuis que je suis à la retraite. Une femme qui avait souhaité garder un lien avec moi après sa libération définitive. De temps en temps, je sais qu’elle va bien. 

Capture d’écran 2022 03 16 à 14.39.33
Au cœur de la prison des femmes,
ma vie de surveillante,
de Marie-Annick Horel,
co-écrit avec Maria Poblette.
Ed Tallandier. 2022. 224 pages.

En trente-sept ans de carrière, avez-vous ressenti une intime conviction de l’innocence d’une détenue ? 
M.-A.H. : Au moins pour une. C’était une jeune fille d’à peine 18 ans qui venait du Nord. Elle avait été condamnée à vingt ans de prison au début des années 80 pour le meurtre d’une petite fille de 8 ans. Elle hurlait son innocence à s’en déchirer les cordes vocales, se faisait mal physiquement. Je me souviens qu’on l’avait prise sous notre aile. J’ai toujours été persuadée que c’est son père qui avait fait le coup et je pense qu’aujourd’hui, avec les dernières technologies à disposition de la police scientifique, elle n’aurait pas été condamnée. La prison l’avait détruite, ça m’a marquée, j’y pense souvent.  

Après cette expérience d’une vie, pensez-vous que la prison est une réponse pénale toujours pertinente ?  
M-A.H. :
Ça dépend pour qui. Certaines m’ont remerciée à leur libération : la prison les a sauvées. Mais j’ai vu aussi beaucoup de femmes sortir et replonger quelques mois, quelques années plus tard. Quoi qu’il en soit, la prison a ses travers mais doit être un espace de reconstruction pour chaque individu. Or, nous en sommes loin. Il est urgent de mettre en place davantage de leviers de réinsertion, indispensables pour éviter la récidive, car personne n’est à l’abri de connaître un jour l’enfermement. 

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accompagner les combats qui vous animent, en faisant un don pour que nous continuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés