Sexisme, LGBTophobie, racisme, grossophobie, validisme, classisme et culture du viol : ce 8 décembre, l’Association des journalistes LGBT (AJLGBT) a publié une étude minutieuse révélant l’ampleur des discriminations de l’émission de RTL Les Grosses têtes, sous couvert d’humour gras.
On peut dire que les bénévoles de l’Association des journalistes LGBT (AJLGBT) n’ont pas reculé devant la corvée auditive. Un mois d’écoutes quotidiennes pour un constat implacable : les Grosses têtes de RTL, émission championne de sa tranche horaire, réunissant chaque jour entre 15h30 et 18h 2,5 millions d’auditeurs, est un condensé de blagues grasses, trop grasses, ciblant invariablement les minorités et les d’ores-et-déjà discriminé·es. Putes, moches, goudoues, Roumaines… Deux heures et demi par jour sur RTL, ces doux surnoms sont balancés par les chroniqueurs aussi souvent que votre boulanger doit dire bonjour.
L’étude publiée ce 8 décembre confirme et surpasse le pressentiment de ses auteur·trices, qui avaient déjà décortiqué dans le passé les mécanismes discriminatoires de Touche pas à mon poste et de cinq autres talkshows. 100% des émissions des Grosses têtes diffusées entre les 21 septembre et 23 octobre contenaient une (bonne) dose de sexisme. 83% d’entre elles ont offert aux auditeurs des remarques LGBTophobes, 79% du racisme, 58 % de la grossophobie,.. Encore ? Dans la moitié d’entre elles, l’AJLGBT a noté des propos banalisant la culture du viol, dans 38 % existe un mépris de classe, dans 33 % de l’agisme et dans 21 % du validisme. Ouf ! Le tout enrobé par de la blague potache et les ricanements complices de la bande à Laurent Ruquier, qui présente l’émission depuis 2014. « Cette émission phare, dénoncent les auteur·trices de l’étude, est organisée en véritable cour de récréation. [Elle] reproduit ad nauseam les systèmes de harcèlement les plus classiques [envers les minorités]. »
Pourtant, lorsque cette émission créée en 1977 passe des mains de l’historique Philippe Bouvard à celles de Laurent Ruquier en 2014, un rajeunissement des équipes – chroniqueur·euses et humoristes – s’opère. On pourrait penser que cette nouvelle génération aurait troqué l’outrance et le graveleux pour un humour plus subtil et recherché, mais le travail fourni par l’AJLGBT montre qu’il n’en est rien. « En effet, l’équipe est beaucoup plus diverse mais cette présence sert presque d’excuse à un fond de commerce qui est resté le même, soupire la co-présidente de l’AJLGBT, Rachel Garrat-Valcarcel, interrogée par Causette. Et pourquoi changeraient-ils ? Les Grosses têtes bénéficient d’une certaine sympathie, même chez celles et ceux qui ne l’écoutent pas. L’émission est protégée par son côté franchouillard assumé. » De fait, de récents articles publiés dans Le Parisien et Le Figaro analysant les recettes du succès de l’émission ne font que survoler la problématique soulignée par l’AJLGBT, en notant certes des passages « grossiers » mais un « esprit bon enfant ».
Bon enfant jusqu’où ? L’AJLGBT pointe « des remarques sexistes toutes les 11 minutes » et « 19 séquences discriminantes en moyenne par émission », dévoilant un ciblage au mieux particulièrement feignant, au pire obsessionnel envers les minorités et les femmes. Une situation d’autant plus étrange que le présentateur, Laurent Ruquier, avait fait son coming out gay dès 1997 sur scène. « Sur le cas Ruquier et sur les chroniqueurs gay qu’il fait intervenir et qui tolèrent l’homophobie ambiante du plateau, j’aimerais citer l’humoriste australienne Hannah Gadsby, déclare Rachel Garrat-Valcarcel : "L’autodérision est une manière de s’abaisser pour avoir droit de cité". » De fait, l’association a remarqué que depuis que le chroniqueur Ahmed Sylla est arrivé chez les Grosses têtes, les remarques racistes ont « triplé ». Face à ce constat, l’AJLGBT veut « tendre la main pour un dialogue » : « Nous ne sommes pas la police du rire et ce n’est pas à nous de déterminer ce qui peut être dit sous couvert d’humour ou pas, plaide sa co-présidente. Mais les études ont montré que les blagues discriminatoires, si elles ne font pas changer d’avis des personnes qui ne sont pas d’accord, renforcent les convictions sexistes ou racistes de celles et ceux qui les portent. » Elle espère donc que Laurent Ruquier réagira, mais en serait tout de même très étonnée. RTL, de son côté, s’est limitée à indiquer à 20 minutes qu’elle avait « confiance dans le jugement de ses auditeurs ».