Jusqu’ici peu plébiscitée par les employeurs, la pratique du télétravail s’impose de plus en plus dans le secteur privé et la fonction publique en raison du contexte sanitaire. Si tous les métiers ne peuvent pas s’exercer à distance, cette forme d’organisation professionnelle fait figure de nouveau modèle potentiellement durable. Faut-il s’en réjouir ? Les femmes ont-elles intérêt à travailler de chez elle ? Qui sont les gagnantes de cette petite ®évolution ?
Hayat Outahar
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Chef de projet numérique
et fondatrice du réseau
Femmes entrepreneures
« L’enjeu principal pour les femmes dans le monde du travail, c’est clairement le fait d’avoir ou non des enfants. Pas d’enfants = pas de “problèmes de femmes”, c’est-à-dire pas de charge mentale qui explose, pas d’injonction à être une bonne professionnelle ET une bonne mère ET une bonne épouse ET une personne équilibrée. Or une mère est toujours dérangée puisque, selon une sorte de loi immuable et ancrée, les enfants l’appellent à la moindre occasion ! Quand on est seule, le foyer peut s’envisager comme un espace de concentration. Le télétravail devient donc un bonheur total : les horaires sont plus flexibles, on zappe les trajets chronophages et épuisants, on est plus libre de s’organiser. Moi, par exemple, je n’ai pas d’enfants et je n’en veux pas. Et, en ce moment, malgré le contexte économique difficile et anxiogène, je dors mieux, je mange plus équilibré, car je prends le temps de cuisiner chez moi pour ma pause déjeuner. Je me fixe le cadre de vie et de travail que je souhaite. »
Sophie Binet
![Le télétravail peut-il faciliter la vie des femmes 2 116 teletravail femmes Sophie Binet © Pascal Rondeau](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-teletravail-femmes-Sophie-Binet-©-Pascal-Rondeau-1018x1024.jpg)
Cosecrétaire générale de la CGT Cadres,
chargée de l’égalité femmes-hommes
« Je me méfie de tout dispositif qui maintient les femmes à la maison. Dans l’histoire de l’émancipation féminine, le fait de sortir de chez soi et d’accéder à un emploi salarié a constitué un grand pas en avant. Prenez l’exemple des couturières à la fin du XIXe siècle, elles ont travaillé de chez elle dans l’indifférence générale. Le fait de se retrouver ensemble à l’usine leur a donné de la visibilité, une identité sociale, un cadre commun. Le télétravail isole les femmes et individualise les enjeux. Cet isolement peut s’avérer très problématique en cas de dysfonctionnement du management. En matière de violences sexistes et sexuelles, par exemple, être à la maison ne protège pas particulièrement les femmes. Le harcèlement en ligne marche très bien, hélas. Les collègues, supérieurs ou clients peuvent tout à fait continuer à mal se comporter par texto ou tchat. Mais ces situations ne sont absolument pas prises en compte par les entreprises. Quant à l’argument qui consiste à dire que le télétravail permet une meilleure organisation, plus d’autonomie, il doit, à mon sens, nous inciter à réinterroger l’organisation du travail en présentiel et les marges de manœuvre qu’on accorde aux salarié·es. »
Anne Lambert
![Le télétravail peut-il faciliter la vie des femmes 3 116 teletravail femmes Anne Lambert © DR 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-teletravail-femmes-Anne-Lambert-©-DR-1-1019x1024.jpg)
Sociologue, coautrice d’une étude* de l’Ined sur l’impact de la crise sanitaire sur le travail des Français·es
« Pendant le confinement, les femmes ont télétravaillé dans des conditions beaucoup plus déplorables que les hommes. Elles ont été 39 % à ne pas disposer d’un espace de travail propre, contre 24 % des hommes. C’est surtout lié aux conditions de logement : quand elles sont seules, elles sont moins souvent propriétaires ou ont de plus petits logements. Et parce que dans les couples de cadres, la priorité est donnée au conjoint qui, généralement, a une condition professionnelle perçue comme plus importante, cet écart explose. Seules 29 % des femmes cadres disposaient d’un espace de travail isolé, pour 47 % des hommes. Par ailleurs, selon l’Insee, pendant le confinement, 45 % des femmes ont effectué une double journée (avec le travail domestique et parental) contre 29 % des hommes dans la même situation. Le télétravail ne sera donc pas favorable à l’émancipation intellectuelle et professionnelle des femmes s’il n’y a pas de structure de prise en charge périscolaire des enfants, s’il n’y a pas un meilleur partage des tâches domestiques au sein du couple et si l’on n’améliore pas les conditions matérielles de logement des femmes. »
* « Coronavirus et confinement, enquête longitudinale » réalisée par l’Institut national d’études démographiques (Ined) en mai 2020.
Valérie Bossé
![Le télétravail peut-il faciliter la vie des femmes 4 116 teletravail femmes Valérie Bossé © Valerie Servant 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/116-teletravail-femmes-Valérie-Bossé-©-Valerie-Servant-1-955x1024.jpg)
Chef d’entreprise, membre
de Soho Solo, une communauté
de télétravail dans le Gers
« J’ai bien conscience que le télétravail a mis en lumière la lourde charge mentale de beaucoup de femmes, mais, quand c’est un choix, le télétravail nous donne la maîtrise totale de notre environnement. Si on dispose d’un espace séparé dans la maison – comme c’est le cas pour moi, à la campagne –, c’est la meilleure combinaison possible. Ça m’apporte un cadre de vie plus apaisé. J’ai aussi constaté que le télétravail instaure une sorte de “filtre de professionnalisme”, où le genre n’a pas sa place. Lors de premiers contacts avec un interlocuteur, ça me permet de prendre la main plus facilement. Je ne ressens pas le manque de considération ou la subordination qui existe parfois en présentiel, où il arrive que d’autres entrepreneurs établissent une hiérarchie entre mon associé – qui est aussi mon mari – et moi, alors qu’il n’y en a pas. Ne serait-ce que pour la bise ou le fait de faire attention à comment l’on s’assoit si l’on porte une jupe lors d’un rendez-vous… Ça efface certains déséquilibres, le sexisme du quotidien que beaucoup d’hommes ne réalisent pas. Par mail, on se permet également d’être plus directe et de se faire valoir. »