Le télé­tra­vail peut-​il faci­li­ter la vie des femmes

Jusqu’ici peu plé­bis­ci­tée par les employeurs, la pra­tique du télé­tra­vail s’impose de plus en plus dans le sec­teur pri­vé et la fonc­tion publique en rai­son du contexte sani­taire. Si tous les métiers ne peuvent pas s’exercer à dis­tance, cette forme d’organisation pro­fes­sion­nelle fait figure de nou­veau modèle poten­tiel­le­ment durable. Faut-​il s’en réjouir ? Les femmes ont-​elles inté­rêt à tra­vailler de chez elle ? Qui sont les gagnantes de cette petite ®évo­lu­tion ?

Hayat Outahar

shooting everphotoshoot by christophe lautrec
© DR

Chef de pro­jet numé­rique
et fon­da­trice du réseau
Femmes entre­pre­neures 

« L’enjeu prin­ci­pal pour les femmes dans le monde du tra­vail, c’est clai­re­ment le fait d’avoir ou non des enfants. Pas d’enfants = pas de “pro­blèmes de femmes”, c’est-à-dire pas de charge men­tale qui explose, pas d’injonction à être une bonne pro­fes­sion­nelle ET une bonne mère ET une bonne épouse ET une per­sonne équi­li­brée. Or une mère est tou­jours déran­gée puisque, selon une sorte de loi immuable et ancrée, les enfants l’appellent à la moindre occa­sion ! Quand on est seule, le foyer peut s’envisager comme un espace de concen­tra­tion. Le télé­tra­vail devient donc un bon­heur total : les horaires sont plus flexibles, on zappe les tra­jets chro­no­phages et épui­sants, on est plus libre de s’organiser. Moi, par exemple, je n’ai pas d’enfants et je n’en veux pas. Et, en ce moment, mal­gré le contexte éco­no­mique dif­fi­cile et anxio­gène, je dors mieux, je mange plus équi­li­bré, car je prends le temps de cui­si­ner chez moi pour ma pause déjeu­ner. Je me fixe le cadre de vie et de tra­vail que je souhaite. »

Sophie Binet

116 teletravail femmes Sophie Binet © Pascal Rondeau
© Pascal Rondeau

Cosecrétaire géné­rale de la CGT Cadres,
char­gée de l’égalité femmes-hommes

« Je me méfie de tout dis­po­si­tif qui main­tient les femmes à la mai­son. Dans l’histoire de l’émancipation fémi­nine, le fait de sor­tir de chez soi et d’accéder à un emploi sala­rié a consti­tué un grand pas en avant. Prenez l’exemple des cou­tu­rières à la fin du XIXe siècle, elles ont tra­vaillé de chez elle dans l’indifférence géné­rale. Le fait de se retrou­ver ensemble à l’usine leur a don­né de la visi­bi­li­té, une iden­ti­té sociale, un cadre com­mun. Le télé­tra­vail isole les femmes et indi­vi­dua­lise les enjeux. Cet iso­le­ment peut s’avérer très pro­blé­ma­tique en cas de dys­fonc­tion­ne­ment du mana­ge­ment. En matière de vio­lences sexistes et sexuelles, par exemple, être à la mai­son ne pro­tège pas par­ti­cu­liè­re­ment les femmes. Le har­cè­le­ment en ligne marche très bien, hélas. Les col­lègues, supé­rieurs ou clients peuvent tout à fait conti­nuer à mal se com­por­ter par tex­to ou tchat. Mais ces situa­tions ne sont abso­lu­ment pas prises en compte par les entre­prises. Quant à l’argument qui consiste à dire que le télé­tra­vail per­met une meilleure orga­ni­sa­tion, plus d’autonomie, il doit, à mon sens, nous inci­ter à réin­ter­ro­ger l’organisation du tra­vail en pré­sen­tiel et les marges de manœuvre qu’on accorde aux salarié·es. »

Anne Lambert

116 teletravail femmes Anne Lambert © DR 1
© D R

Sociologue, coau­trice d’une étude* de l’Ined sur l’impact de la crise sani­taire sur le tra­vail des Français·es 

« Pendant le confi­ne­ment, les femmes ont télé­tra­vaillé dans des condi­tions beau­coup plus déplo­rables que les hommes. Elles ont été 39 % à ne pas dis­po­ser d’un espace de tra­vail propre, contre 24 % des hommes. C’est sur­tout lié aux condi­tions de loge­ment : quand elles sont seules, elles sont moins sou­vent pro­prié­taires ou ont de plus petits loge­ments. Et parce que dans les couples de cadres, la prio­ri­té est don­née au conjoint qui, géné­ra­le­ment, a une condi­tion pro­fes­sion­nelle per­çue comme plus impor­tante, cet écart explose. Seules 29 % des femmes cadres dis­po­saient d’un espace de tra­vail iso­lé, pour 47 % des hommes. Par ailleurs, selon l’Insee, pen­dant le confi­ne­ment, 45 % des femmes ont effec­tué une double jour­née (avec le tra­vail domes­tique et paren­tal) contre 29 % des hommes dans la même situa­tion. Le télé­tra­vail ne sera donc pas favo­rable à l’émancipation intel­lec­tuelle et pro­fes­sion­nelle des femmes s’il n’y a pas de struc­ture de prise en charge péri­sco­laire des enfants, s’il n’y a pas un meilleur par­tage des tâches domes­tiques au sein du couple et si l’on n’améliore pas les condi­tions maté­rielles de loge­ment des femmes. »

* « Coronavirus et confi­ne­ment, enquête lon­gi­tu­di­nale » réa­li­sée par l’Institut natio­nal d’études démo­gra­phiques (Ined) en mai 2020.

Valérie Bossé

116 teletravail femmes Valérie Bossé © Valerie Servant 1
© Valérie Servant 

Chef d’entreprise, membre
de Soho Solo, une com­mu­nau­té
de télé­tra­vail dans le Gers

« J’ai bien conscience que le télé­tra­vail a mis en lumière la lourde charge men­tale de beau­coup de femmes, mais, quand c’est un choix, le télé­tra­vail nous donne la maî­trise totale de notre envi­ron­ne­ment. Si on dis­pose d’un espace sépa­ré dans la mai­son – comme c’est le cas pour moi, à la cam­pagne –, c’est la meilleure com­bi­nai­son pos­sible. Ça m’apporte un cadre de vie plus apai­sé. J’ai aus­si consta­té que le télé­tra­vail ins­taure une sorte de “filtre de pro­fes­sion­na­lisme”, où le genre n’a pas sa place. Lors de pre­miers contacts avec un inter­lo­cu­teur, ça me per­met de prendre la main plus faci­le­ment. Je ne res­sens pas le manque de consi­dé­ra­tion ou la subor­di­na­tion qui existe par­fois en pré­sen­tiel, où il arrive que d’autres entre­pre­neurs éta­blissent une hié­rar­chie entre mon asso­cié – qui est aus­si mon mari – et moi, alors qu’il n’y en a pas. Ne serait-​ce que pour la bise ou le fait de faire atten­tion à com­ment l’on s’assoit si l’on porte une jupe lors d’un rendez-​vous… Ça efface cer­tains dés­équi­libres, le sexisme du quo­ti­dien que beau­coup d’hommes ne réa­lisent pas. Par mail, on se per­met éga­le­ment d’être plus directe et de se faire valoir. » 

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