Pendant plusieurs mois, Mediapart a enquêté sur ces crimes homophobes pour lesquels des hommes piègent d'autres hommes, sur des sites ou lieux de rencontre pour homosexuels ou bis. Une enquête sidérante et fouillée, qui rappelle, à celles et ceux qui en douteraient, que l'homophobie est toujours bien présente en France sous de multiples formes.
Glaçant. C'est l'adjectif qui qualifierait le mieux le nouveau documentaire de Mediapart, Guet-apens, des crimes invisibles, disponible à partir de ce mercredi soir 19h sur le site du média d'investigation. Pendant plusieurs mois, les journalistes Sarah Brethes, David Perrotin et Mathieu Magnaudeix ont enquêté sur ces crimes homophobes, pour lesquels des hommes piègent d'autres hommes, sur des sites ou lieux de rencontre pour homosexuels ou bis. L'objectif de tout ça ? « Casser du PD », confie Kévin, l'une des victimes. Tout simplement. Aussi gratuitement que cela. Le trentenaire, qui habitait à Drancy, s'est installé à la campagne après son agression, au cours de laquelle il a été poignardé et laissé avec un traumatisme, toujours fort, quatre ans après.
En 2023, ces attaques homophobes que l'on pensait d'un autre temps existent encore en France. En témoignent les récits des cinq hommes, de Paris, Marseille ou Drancy, qui se livrent avec force dans le documentaire. Mais également les deux condamnés, qui ont accepté de tenter d'expliquer les raisons derrière les agressions auxquelles ils ont participé. Aucune statistique officielle n'est disponible. Seulement 11 condamnations pour des guet-apens homophobes ont été prononcées par la justice ces quatre dernières années. Mais en compilant les archives des médias et des associations LGBTQIA+, les co-réalisateur·trices du documentaire affirment que 300 personnes ont été victimes de guet-apens homophobes ces cinq dernières années. Soit une par semaine. En 2022, le chiffre monte à une tous les trois jours. Des données sous-évaluées par rapport à la réalité, de nombreuses victimes préférant se taire, craignant que leur sexualité soit révélée au grand jour.
Narré par le chanteur ouvertement gay Eddy de Pretto, Guet-apens, des crimes invisibles dépeint aussi la manière dont les institutions policiaires et judiciaires prennent en charge ces crimes. Deux scènes marquent particulièrement les esprits. Dans la première, Zach, un Marseillais, explique comment la circonstance aggravante d'homophobie avait été retenue pour les violences qu'il avait subies, mais pas pour le viol, intervenu pourtant le même soir où il a été kidnappé et retenu contre son gré dans une chambre d'hôtel. Son avocat obtiendra heureusement en cour d’assises la reconnaissance de cette circonstance aggravante. Dans la deuxième, une victime parisienne raconte la manière dont elle a (mal) été reçue par les policier·ères au moment de porter plainte : « Quand on a commencé à rentrer dans le détail de la plainte, moi je n'arrêtais pas de leur dire qu'il y avait un caractère homophobe. Eux, catégoriquement, me disaient : "Non, ce n'est pas homophobe." » Cette enquête filmée, fouillée et documentée, permettra peut-être de faire évoluer les institutions sur ces questions. Elle rappelle surtout qu'être une personne LGBTQIA+ est un chemin semé d'embûches, même en France, même en 2023.
« Guet-apens, des crimes invisibles », un documentaire réalisé par Sarah Brethes, Mathieu Magnaudeix et David Perrotin et disponible sur le site de Mediapart