Drague : les machos n'ont plus le mojo

Fervent lec­teur du Deuxième Sexe cherche ama­trice d’Angela Davis pour ren­contre et plus si affinités. 

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© Simon de Reyer

En plus d’éveiller les consciences au fléau des vio­lences sexuelles, le mou­ve­ment #MeToo a entraî­né dans son sillage l’élaboration d’une « nou­velle civi­li­té sexuelle », selon les mots de la socio­logue Irène Théry. Cela per­met­trait de réin­ven­ter les rap­ports amou­reux de manière res­pec­tueuse et inclu­sive, dans le meilleur des cas. Vraiment ? Comment les gar­çons décons­truits draguent-​ils aujourd’hui ? En quoi les cartes de la séduc­tion sont-​elles rebat­tues ? La révo­lu­tion fémi­niste est-​elle vrai­ment en marche sur le vaste « mar­ché de la drague » ? 

Du côté des gar­çons ini­tiés aux rudi­ments du fémi­nisme (sou­vent par des conjointes), la plu­part s’accordent sur un point : pour bien dra­guer, mieux vaut… ne rien faire ! Et par­ta­ger l’addition. Less is more, sur le modèle cana­dien ou scan­di­nave. Une atti­tude de « disem­po­werment » 1 qui per­met de contre­ve­nir au sché­ma écu­lé de la proie et du chas­seur, ou à celui de la « liber­té d’importuner ». Giuseppe, 33 ans, père céli­ba­taire d’une fillette de 5 ans, est for­mel : « Aujourd’hui, il faut vrai­ment lais­ser tom­ber le modèle de la che­va­le­rie et de Casanova, ce n’est plus du tout pos­sible. » Adrian, musi­cien cali­for­nien de 32 ans, a choi­si, désor­mais, de lais­ser les femmes l’approcher si elles en ont envie. Et selon Laurent 2, 31 ans, elles le font volon­tiers : « De plus en plus de filles viennent me par­ler. C’est l’une des der­nières construc­tions qui tombe : celle selon laquelle la drague serait réser­vée aux mecs. » Pour cer­tains, heu­reu­se­ment, le désir fémi­nin n’a rien d’une menace castratrice.

Point trop n’en faut 

En 2019, dépo­ser le livre de Mona Chollet sur sa table de nuit est-​il le sum­mum du charme ? « Il ne faut pas non plus en faire des tonnes, répond Antoine 2, 33 ans. C’est bien, au cours de dis­cus­sions, de mon­trer qu’on est en conni­vence sur le fond des choses. Mais pas, non plus, que ce soit démons­tra­tif. Une fille avec qui j’avais rendez-​vous chez moi s’est mar­rée quand elle a vu que j’avais lais­sé traî­ner mon Encyclopédie du genre sur la table. Surtout que j’avais aus­si un maga­zine de bagnoles un peu plan­qué dans ma biblio­thèque. Elle m’a bien affi­ché. » Certains ont tiré les leçons de deux années du mou­ve­ment #MeToo, pro­pices à l’émergence de mas­cu­li­ni­tés alter­na­tives. Pour Esteban 2, un diplo­mate de 35 ans, un rendez-​vous galant com­mence par ne pas objec­ti­fier celle qui lui plaît : « Il vaut mieux évi­ter de com­pli­men­ter le phy­sique par exemple, mais plu­tôt valo­ri­ser une acti­vi­té ou un métier. » Pour d’autres, il est pré­fé­rable de s’abstenir de tout juge­ment gen­ré : « Je n’émets plus aucun com­men­taire sur les poils, du genre “Ah, t’a cou­pé”, ou “Tu laisses pous­ser”. Des réflexions que je pou­vais faire aupa­ra­vant. Aujourd’hui, j’ai pris conscience que ça ne me regar­dait vrai­ment pas », explique Maxence 2, scien­ti­fique de 34 ans.

Féminisme affi­ché (ou pas)

Dans l’intimité, satis­fac­tion garan­tie pour les par­te­naires qui ver­ba­lisent le consen­te­ment. « Maintenant, je demande : “Est-​ce que je peux enle­ver ta culotte, des­cendre faire un cuni ?” Pour moi aus­si, c’est nou­veau, mais ce qui est cer­tain c’est que ça ne brise pas le roman­tisme ou la flui­di­té. Pour faire du bon sexe, il faut se par­ler », affirme Pierre, 31 ans, pho­to­graphe. Même dis­cours chez Maxence, qui tra­vaille à réin­ven­ter une sexua­li­té mas­cu­line selon lui trop cen­trée sur la péné­tra­tion : « On est plus à l’aise sans script sexuel. Il y a mille autres choses à faire que le trip­tyque cuni-​fellation-​missionnaire. C’est géné­ra­le­ment bien reçu car, comme les cartes sont rebat­tues, on redé­couvre, on joue. Mais cela peut aus­si être per­tur­bant pour certaines. »

Sur les applis de ren­contre, comme Tinder ou Bumble, se pose la ques­tion de l’autodéfinition. Si l’on consi­dère qu’être un homme fémi­niste, pro­fé­mi­niste ou au moins un allié nous défi­nit autant qu’être l’heureux pro­prié­taire d’un lom­bri­com­pos­teur ou s’adonner aux joies du macra­mé, faut-​il le pré­ci­ser ou ne rien men­tion­ner ? Méfiance, estime Laurent. « Les hommes qui reven­diquent l’étiquette d’un com­bat qui n’est pas le leur, c’est louche. » Attaché à « décons­truire le patriar­cat », Louis 2, cadre pari­sien de 35 ans, le pré­cise aujourd’hui, mais note que cela n’a pas tou­jours figu­ré dans sa « bio ». « C’est une manière de fil­trer, car je cherche des femmes modernes et, grâce à ça, j’échange avec plein de filles pas­sion­nantes qui s’intéressent à ces sujets-là. »

Reconversion oppor­tu­niste

La ren­contre de ces gar­çons décons­truits place ain­si cer­taines femmes face à leurs contra­dic­tions. « Un jour, une fille avec qui j’avais rendez-​vous est venue chez moi, on a regar­dé un film et à minuit, elle est ren­trée chez elle. Je ne l’ai pas embras­sée et une fois en bas de mon immeuble, elle m’a engueu­lé par mes­sages : “C’est dégueu­lasse, je me sens humi­liée.” Elle m’a repro­ché de ne pas avoir fait le pre­mier pas, se sou­vient Laurent. J’étais bouche bée et inter­lo­qué. Le len­de­main, elle s’est excu­sée d’avoir, mal­gré elle, fait réfé­rence à ces vieux codes de la séduction. »

Pour d’autres, être un homme fémi­niste est un indis­pen­sable. Céline 2, 35 ans, autrice, a ain­si repé­ré un Suédois girond grâce à l’outil de recherche par mots-​clés pro­po­sé par l’application OkCupid. Elle s’amuse : « J’ai vu qu’il men­tion­nait Judith Butler et qu’il écri­vait en écri­ture inclu­sive, je me suis dis, bin­go, je mouille. » 

Pour Elsa 2, 31 ans, mili­tante fémi­niste : « C’est un cri­tère, mais ça ne l’a pas tou­jours été. Avant, je fai­sais de la péda­go­gie, mais main­te­nant, j’ai la flemme, donc je pré­fère sélec­tion­ner direc­te­ment ceux qui ont a mini­ma décons­truit les concepts de base du couple hété­ro. » Elle évoque un ancien conjoint dont la jalou­sie a pré­ci­pi­té leur rup­ture. « La jalou­sie, c’est un truc sexiste, tu es per­sua­dé que l’autre t’appartient. Il n’aimait pas que je m’habille trop sexy, que je me mette en avant. »

Méfiance, cepen­dant, car un nou­veau fléau sévit ces jours-​ci, une épi­dé­mie de « woke miso­gy­nists » ou miso­gynes éveillés qui se pré­sentent en aya­tol­lahs de la décons­truc­tion de la mas­cu­li­ni­té toxique pour mieux séduire. Selon Elsa, aux États-​Unis, de nom­breux hommes s’identifieraient comme fémi­nistes sur leur pro­fil, dans les applis, pour atti­rer des pré­ten­dantes. Un oppor­tu­nisme sexuel et une recon­ver­sion peu scru­pu­leuse. Elle conclut : « Moi, je pré­fère un gar­çon qui ne se dit pas fémi­niste, mais qui est en fait éveillé et conscien­ti­sé. C’est tou­jours mieux que le mans­plai­ning que j’ai dû endu­rer un jour lors d’un ren­card avec un artiste qui vou­lait faire des col­liers en forme de clitoris… »

1. Inverse de l’empo­werment, ou « empou­voi­re­ment ». Attitude visant à réduire le pou­voir des hommes sur les femmes et les féministes. 

2. Le pré­nom a été modifié.

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