Elles écoutent, massent, informent et parfois même assistent les femmes durant leur accouchement. Dans une époque marquée par le retour au naturel et la crainte des violences médicales, les doulas ont le vent en poupe. Mais certaines dérives – des moins éthiques aux plus sectaires – font aujourd’hui grincer des dents.
« Qu’on arrête la promotion des fakemed [médecines alternatives, ndlr]. Qu’on arrête les délires sectaires new age. Qu’on arrête l’appropriation culturelle. » En avril, Madame Captain, blogueuse féministe connue pour ses billets sur la parentalité ou les pseudosciences, pousse un coup de gueule sur Instagram. Elle y pointe les « dérives » dans le milieu des doulas, ces femmes qui accompagnent les mères durant leur grossesse, leur accouchement, parfois leur post-partum, en leur apportant une écoute, de l’information, des massages ou une aide logistique (cuisiner, garder les aîné·es...). « Quand je cherchais une doula pour m’accompagner dans la naissance à domicile de BébéSourire, je n’en ai trouvé aucune qui ne fasse pas la promotion des fakemed comme l’homéopathie. Je n’en ai trouvé aucune qui ne soit pas influencée par la spiritualité new age et le féminin sacré. Je n’en ai trouvé aucune qui ne propose pas d’accompagnement prénatal sans piller une autre culture », dénonce-t-elle alors.
“Ange gardien”
Quelques mois plus tard, en juillet, c’est la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) qui, dans son rapport, évoque les doulas et appelle à « la vigilance sur des propositions d’accompagnement à l’accouchement [...] loin des plateaux techniques des maternités, par exemple en milieux naturels ». Et s’inquiète, au passage, que certaines puissent recourir « à des thérapies alternatives problématiques ». Y aurait-il un loup chez les doulas ?
Encore inconnues du grand public jusqu’au début des années 2000, ces accompagnantes périnatales ont pour- tant bonne presse. « La doula, nouvel ange gardien », titrait, cet été, Femina. « La doula, une bonne fée au pays de la parentalité », lisait-on plus tôt chez Marie-Claire. Voilà qui fait rêver ! Face à la crainte des violences gynéco-obstétricales et aux aspirations croissantes pour l’accouche- ment « naturel », le soutien – émotionnel, physique et parfois logistique – proposé par les doulas rassure. Et peut avoir un vrai bénéfice : selon une méta-analyse impliquant plus de quinze mille femmes, leur présence pendant l’accouchement réduit significativement les risques de césarienne, la prise d’analgésiques ou l’utilisation d’instruments. Logique, donc, que cette forme d’accompagne- ment, quoique relativement marginale, séduise de plus en plus de femmes, qui y trouvent là un « plus » face aux prises en charge standardisées de maternités débordées et sous-dotées.
« J’ai fait appel à une doula pour ma seconde grossesse, car je sentais que j’avais besoin d’être accompagnée, surtout sur le plan psychologique. J’y ai trouvé une écoute et une approche différentes. Souvent, les professionnels de santé n’ont pas le temps de s’attarder, de t’écouter. Ma doula, elle, venait à la maison. Tu peux l’appeler, lui envoyer des textos. Et elle ne te juge absolument pas. Ça a été une expérience vraiment positive », témoigne Pauline, journaliste trentenaire, qui souhaite aujourd’hui se former comme doula. Si elle n’envisage pas d’en devenir une, Perrine, 34 ans, se félicite également d’avoir fait appel à une doula pour sa deuxième grossesse. « J’ai voulu qu’elle soit là pour l’accouchement. Elle était la gardienne de mon projet de naissance, de mon moment d’enfantement. Quand tu accouches, c’est le pouvoir sacré du féminin qui entre en jeu. Le fait d’avoir quelqu’un de confiance, dont tu sais qu’il te protège – et qui, à la différence du papa, sait ce que tu es en train de vivre1 – améliore considérablement les choses », estime-t-elle. Un enthousiasme que sont (très) loin de partager tous et toutes les professionnel·les de santé.
Si plusieurs organismes proposent aujourd’hui des formations à l’activité de doula, aucun cursus obligatoire n’est en effet exigé pour exercer. « Les doulas n’ont pas de formation médicale et le discours qu’elles tiennent aux parents peut leur apporter une fausse sécurité, avec des conseils qui peuvent se révéler mauvais. Et puis elles s’introduisent dans la famille à un moment de vulnérabilité particulier, ce qui peut ouvrir la voie à une certaine emprise », s’inquiète Anne-Marie Curat, présidente du Conseil national de l’ordre des sages-femmes (CNOSF). Selon elle, les doulas sont une mauvaise réponse à un vrai problème. « La demande actuelle des parents pour un accompagnement plus personnalisé, moins morcelé et davantage centré sur leurs désirs est tout à fait légitime. Mais les sages- femmes sont les professionnels de santé idéaux pour y répondre. Et ce n’est pas en faisant appel aux doulas qu’on réglera les problèmes de la périnatalité en France », s’agace Anne-Marie Curat, fermement opposée à la reconnaissance de cette activité. Tout comme l’était déjà, en 2008, l’Académie de médecine, qui « met[tait] en garde contre toute reconnaissance officielle » et qui appelait, en lieu et place, à renforcer les effectifs de sages-femmes et d’aides à domicile.
« On n’est ni pour ni contre les doulas, nuance, pour sa part, Charlotte Baudet-Benzitoun, de l’Organisation nationale syndicale des sages-femmes. Ce qu’on aimerait, en revanche, c’est qu’un cadre légal soit posé. Aujourd’hui, cette activité n’est pas du tout réglementée. Il y a des organismes de formation qui fleurissent dans la faille de ce vide juridique. On aimerait donc que les pouvoirs publics se penchent sur cette profession, pour en définir les contours et les limites. » En attendant, les doulas continuent d’exercer dans un certain flou, sans formation officielle ni instance de contrôle. C’est d’ailleurs en partie pour y remédier qu’est née l’association Doulas de France (DDF), en 2006. « À l’époque, il y avait un peu tout et n’importe quoi. Par exemple, des femmes qui disaient : “J’ai eu quatre enfants, je suis doula”, et qui faisaient du prosélytisme à bloc. Si on voulait pouvoir prétendre à être prises au sérieux dans le contexte français, particulièrement hostile, il fallait cadrer les choses », retrace Pascale Gendreau, doula et coprésidente de DDF.
Une charte éthique
Pour ce faire, l’association a donc rédigé une charte fondée sur les textes légaux, puis développé son propre institut de formation qui veille à transmettre les principes éthiques du métier. Interdit, par exemple, d’accompagner une femme non suivie médicalement. Interdit, aussi, de pratiquer un acte thérapeutique ou d’arriver avant la sage-femme lors d’un accouchement à domicile. Du moins en théorie. « On sait que c’est une dérive possible. D’autant que, depuis le Covid, la demande d’accouchement à domicile a été grandissante, les sages-femmes se sont retrouvées débordées, et il y a des doulas qui proposent d’arriver en début de travail. Ça n’est pas possible. C’est illégal et c’est dangereux », insiste Pascale Gendreau, dont l’association a mis en place une sorte de « SAV » permettant de signaler d’éventuels problèmes.
Des problèmes, justement, Samia2 en a rencontré plus d’un avec sa doula, il y a deux ans. Comme pour ses deux premières grossesses, elle avait choisi d’accoucher à domicile et avait fait appel à une accompagnante en prévision de ce moment... où rien ne s’est passé comme prévu. « Même si je savais qu’elle n’en avait pas le droit, je lui ai demandé si elle pouvait venir avant la sage-femme, ce qu’elle a accepté. Mais une fois arrivée, elle s’est mis une série sur mon ordinateur, puis m’a confisqué mon téléphone. Mon mari n’était pas là. Le travail avait commencé, je me sentais en insécurité totale. Je suis restée comme ça pendant deux heures, jusqu’à ce que mon mari arrive et appelle la sage- femme », raconte cette mère de 25 ans. Et lorsqu’elle est transférée à l’hôpital, surprise ! Sa doula, censée garder ses deux aînés, a préféré l’accompagner à la maternité... à la place de son mari, contraint de garder les enfants. « Elle m’a touché les parties intimes, elle a pris mon fils dès qu’il est né, elle l’a habillé... et après la sortie de la maternité, elle n’a pas honoré ses engagements », poursuit Samia, qui a déboursé 700 euros3. Elle a finalement renoncé à porter plainte, mais reste sonnée : « On lit tellement de témoignages positifs qu’on n’imagine pas pouvoir subir de tels abus. » Pas plus qu’on imagine qu’une doula puisse être une porte d’entrée vers les pseudosciences.
Tarot et lithothérapie
Bien qu’elles ne soient pas censées se positionner comme thérapeutes, nombre de doulas dispensent pourtant des soins « alternatifs », voire franchement ésotériques. Comme cette Québécoise spécialisée en « approche quantique », qui promeut le placenta- lotus (soit le fait de laisser le placenta relié au bébé jusqu’à ce qu’il tombe) : une pratique connue « des esprits les plus éveillés de ce monde », dit-elle, censée permettre « une incarnation optimale de l’âme de l’enfant ». Ou cette « doula-alchimiste », qui dispense des « soins d’éclosion de Soi ». Ou encore cette autre, « thérapeute holistique et enchanteresse du féminin », qui se pro- pose d’être un guide pour « rayonner sa magie de femme », quand une de ses consœurs, « gardienne de la matrescence consciente », mobilise tarot et lithothérapie. Il y a aussi ce lieu dédié aux femmes qui réalise des « rites à la carte, à partir de rituels des peuples premiers » – et nous assure, au passage, que sa doula pourra se faire l’« intermédiaire entre les parents et l’équipe médicale ». Tandis qu’à quelques centaines de kilomètres de là, l’institut AMA (Altérité maternelle appliquée) – déjà signalé plusieurs fois à la Miviludes et fondé par une médecin homéopathe radiée de l’ordre – continue de former des doulas à la « santé humaniste », une « thérapie énergétique fondée sur l’information cellulaire et émotionnelle ».
« Il y a actuellement une mouvance chez les doulas qui tend à dire : “N’écoutez pas les médecins, ils ne savent pas, on ne vous dit pas tout...”. Ça nourrit une vraie défiance envers le monde médical. Oui, il peut y avoir des lacunes et des abus, mais rejeter le consensus scientifique et le travail des soignants n’est pas la solution », déplore Juliette, alias Wiccandoula sur Insta. Elle est l’une des rares doulas en France à se revendiquer de l’evidence-based practice (EBP), une approche fondée sur des données scientifiques probantes. Là où d’autres alimentent volontiers la peur des violences médicales, elle mise au contraire sur la vulgarisation et le fact-cheking scientifiques. Quitte à se mettre à dos certaines consœurs. « Mon discours dérange, soit parce qu’il y a un enjeu financier – à qui cela profite-t-il quand on vous dit : “Ne prenez pas tel médicament (remboursé), optez plutôt pour mes tisanes ?” – ou alors parce que ça vient mettre à mal l’emprise que certaines peuvent avoir », constate Juliette.
Si elle s’inquiète de cette défiance massive envers la science, cette dernière dénonce aussi une autre tendance de fond, pour le moins problématique : l’« appropriation culturelle ». Pour espérer rentabiliser (un peu) leur activité, nombre de doulas proposent un panel de prestations (massages, cérémonies...) à la carte, bien souvent « empruntées » à d’autres cultures. Rituel rebozo venu du Mexique, cérémonie du Blessing Way originaire de la culture traditionnelle navajo, sweat lodges (huttes de sudation de peuples premiers d’Amérique du Nord), œufs de yoni issus du taoïsme...
Folklore tarifé
Autant de pratiques traditionnelles qui se retrouvent monnayées dans une optique de bien-être et de développe- ment personnel, généralement sur fond de discours louant le « féminin sacré ». Discours qui, par ailleurs, « peuvent s’avérer d’une redoutable efficacité dans le processus de mise sous emprise, dès lors qu’ils ciblent des personnes touchées par la perte d’un enfant ou la difficulté à en avoir », alerte la Miviludes.
Ce que confirme Juliette : « Avec le “féminin sacré”, non seulement le risque de dérive sectaire n’est jamais très loin, mais c’est aussi porteur d’un message profondément essentialiste. La “puissance des femmes”, c’est le nouvel instinct maternel : à l’arrivée, on te dit comment tu devrais être. Je comprends que certaines y voient un contre-pied au patriarcat. Mais ça revient à apporter une réponse intime – et inefficace – à un problème collectif et structurel. » Et d’enfoncer le clou : « La naissance est politique. Arrêtons d’en faire un outil de développement personnel. »