Si vous avez plus de 30 ans, il est peu probable que vous ayez eu le courage de vous lancer sur TikTok, dont l’idée vague que vous vous en faites se résume à des vidéos d’ados chantant en playback sur de la soupe que vous ne connaissez pas. Pourtant, de plus en plus de vidéos politiques, militantes et informatives côtoient les chorégraphies et les playbacks. Séance de rattrapage.
« Si vous venez d’avoir votre bac, ce message est pour vous ». Le 7 juillet, c’est sur TikTok qu’Emmanuel Macron a félicité les bacheliers dans une vidéo de 55 secondes qui affiche 9,5 millions de vues. Regard face caméra, cadrage classique, discours linéaire : le président a fait sobre.
@emmanuelmacron Si vous venez d’avoir votre Bac, ce message est pour vous ! ##bac ##bac2020
♬ son original – emmanuelmacron
Le lendemain, au tour de Jean-Luc Mélenchon d’inaugurer son compte TikTok avec une vidéo qui fleure bon le clash. « Il t’appelle pour ton bac, toi tu parles à Macron ? Mais moi je m’appelle Mélenchon. Tu hors de ma vue ! Va voir ton Parcoursup ! », lance le leader de la France insoumise, en référence aux paroles de la chanson Anissa de Wejdene, devenue populaire grâce à TikTok.
@melenchonjl Eh ##Macron ! Tu hors de ma vue 🙃 ##pourtoi ##anissa ##TikTokTutos ##Melenchon ##premiertiktok
♬ son original – melenchonjl
Deux styles, un même objectif : s’adresser aux jeunes. Et ils sont nombreux sur TikTok : l’application a dépassé les 2 milliards de téléchargements fin avril, rejoignant le cercle fermé de Facebook, WhatsApp, Instagram et Messenger. Lancée en 2016 par la société chinoise Bytedance, elle revendique plus de 800 millions d’utilisateur·rices actif·ives par mois, dont 10 millions en France. Au quotidien, un·e utilisateur·rice français·e de TikTok regarde en moyenne 40 minutes de vidéo et se connecte huit fois à l’application.
TikTok n’attire pas que des jeunes
Vu de loin, TikTok (ou Douyin, son nom chinois) se résume à des vidéos de 15 à 60 secondes filmées et montées au smartphone, mêlant chorégraphies, playbacks, sketches et doublages de film sur fond de musique entêtante. Un « truc de jeunes » qui mettent en scène de manière créative et ludique la banalité du quotidien, dans un zapping infini et addictif. Comme YouTube, TikTok fonctionne avec des commentaires, des abonné·es et des likes. Contrairement à l’esthétique travaillée d’Instagram, TikTok revendique un côté « fait maison ». Son originalité réside dans les « challenges », des défis lancés avec un hashtag et repris ad nauseam. On peut aussi y faire des duos pour répondre à une autre vidéo.
Longtemps considérée comme une plateforme réservée aux préadolescents, TikTok attire depuis quelques mois une audience plus large. D’après Visibrain, 31 % des utilisateur·rices ont plus de 25 ans. Signe qui ne trompe pas, la première génération de youtubeur·ses, comme EnjoyPhoenix, Squeezie, Cyprien, Natoo, Tibo InShape ou Rémi Gaillard, qui ont maintenant la trentaine, a investi TikTok. Et il s’y passe des choses bien plus intéressantes que les vidéos de danse ou de karaoké, notamment depuis le confinement.
Une plateforme qui gagne en maturité
Laurence Allard, maître de conférences en sciences de la communication et chercheuse à l’université Sorbonne Nouvelle Paris 3‑IRCAV, observe la plateforme depuis ses débuts. « On note, depuis un an, un renouvellement des publics, des contenus et des discours. Le confinement a changé le visage de TikTok. On a vu arriver des utilisateurs plus âgés : des mères seules qui s’emparent de sujets sociaux, mais aussi des soignants, des gendarmes, des pompiers… Qui postent des choses assez émouvantes, comme ces infirmières qui font des chorégraphies sur leur temps de pose. Avec l’arrivée de ces jeunes adultes, TikTok gagne en maturité. »
@lilie.ll Binôme de choc @marinegozard_ 💖 ##teamped ##infirmières ##auxiliairedepuericulture ##soignants ##tiktokchallenge ##funnytime
♬ son original – lilie.ll
De plus en plus, les chorégraphies servent à parler de racisme, de féminisme, de violences policières, de body positive… Par exemple, le hashtag #denimday a rassemblé des milliers de vidéos dans lesquelles des ados montrent les vêtements qu’ils·elles portaient le jour où ils·elles ont été agressé·es sexuellement pour lutter contre l’idée qui veut que les personnes violentées auraient aguiché leurs agresseurs par leur accoutrement. Un mouvement qui ressemble fort au #MeToo sur Twitter en 2018. TikTok a aussi généré près de 3 millions de vidéos (et 15 milliards de vues !) étiquetées #BlackLivesMatter, réalisées par des jeunes utilisateur·rices aux États-Unis. Pour cette nouvelle génération, c’est le premier mouvement militant en ligne auquel ils·elles participent activement.
@crissa_ace We are stronger together…no matter the color or sexual preference… let fight for what’s right together ! ✊🏽 ##blacklivesmatter ##passtherock
♬ My Tears Are Becoming A Sea – M83
Une viralisation des vidéos qui intéresse les médias…
Pour Laurence Allard, le fonctionnement de TikTok favorise grandement la viralisation des vidéos. « Le partage très facile des vidéos crée une boucle qui se répète à l’infini avec la même musique, ça donne un effet slogan, une ritournelle. La fonctionnalité “duo” offre la possibilité de répéter les paroles des autres en ajoutant la sienne. Ça permet à des personnes qui ne sont pas forcément à l’aise de s’exprimer à travers les contenus d’autrui. »
Pour les médias, TikTok apparaît comme une nouvelle source d’audience potentielle grâce à la viralisation. Le Washington Post a profité du confinement pour proposer des contenus feel good à l’abri de l’actualité anxiogène. En France, 20 Minutes et Le Monde utilisent la plateforme pour informer les jeunes, tout en essayant d’en garder l’esprit fun, aux côtés de médias comme Brut et Konbini, plus identifiés par ces mêmes jeunes.
… et qui séduit les politiques
Du côté des politiques, on investit aussi l’appli, avec plus ou moins de succès. Aux États-Unis, la politisation de TikTok a commencé avec la campagne présidentielle. Les soutiens de Bernie Sanders manient TikTok avec aisance, pour prendre position ou mobiliser avant les meetings, et ce auprès de 500 000 abonné·es. En Italie, le leader d’extrême droite Matteo Salvini a su s’approprier les codes de TikTok, au point de devenir un utilisateur actif suivi par plus de 300 000 personnes. Les présidents du Venezuela Nicolas Maduro et de la Pologne Adrzej Duba ont également créé des comptes.
En France, pendant les municipales, Marie-Christine Franc de Ferrière, candidate sans étiquette à la mairie de Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes), se vantait auprès de Libération de faire campagne sur le réseau social. L’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui convoitait la mairie de Paris, s’est lancée elle aussi. Malgré ses quatre vidéos publiées sur la plateforme, elle n’est suivie que par 143 abonné·es. En 2022, les 16–17 ans d’aujourd’hui voteront pour la première fois. TikTok pourrait alors jouer un rôle intéressant dans la présidentielle, comme ce fut le cas de Twitter en 2012.
![Comment TikTok devient (aussi) une plateforme politique 2 © montage captures écran youtube](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/07/©-montage-captures-écran-youtube--860x1024.jpg)