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©Tingey Injury Law Firm

Au pro­cès pour exci­sion aux assises du Mans, l'incompréhension de la mère condamnée

Une mère de famille a été condam­née, le 31 mars par la cour d’assise de la Sarthe, à cinq ans de pri­son avec sur­sis pour avoir fait exci­ser ses trois filles aînées lors de voyages à Djibouti. La direc­trice de la Fédération natio­nale GAMS qui lutte contre les muti­la­tions géni­tales fémi­nines, Isabelle Gillette-​Faye, a assis­té à l’audience et nous explique les enjeux de ce pro­cès, le pre­mier aux assises depuis dix ans. 

« Ce ver­dict est une excel­lente piqûre de rap­pel qui remé­mo­re­ra à cha­cun que la France comme Djibouti inter­disent l’excision. » C’est ain­si qu’Isabelle Gillette-​Faye, socio­logue et direc­trice de la Fédération natio­nale GAMS1, résume l’enjeu du pro­cès qui s’est joué au Mans les 30 et 31 mars 2022 devant la cour d’assise de la Sarthe où une mère de famille d’origine dji­bou­tienne était jugée pour « com­pli­ci­té de vio­lence sur mineur de moins de 15 ans sui­vie de muti­la­tion ou infir­mi­té per­ma­nente ». Reconnue cou­pable, la femme de 39 ans a éco­pé d’une peine de cinq ans avec sur­sis pour avoir fait subir à ses trois filles ainées une exci­sion lors de séjours à Djibouti.

« C’est la pre­mière fois qu’une famille dji­bou­tienne est condam­née en France pour exci­sion, » indique Isabelle Gillette-​Faye à Causette. Or, la France fait face depuis quelques années à l’arrivée de popu­la­tions d’Afrique de l’Est qui n’ont pas été sen­si­bi­li­sées contre les muti­la­tions géni­tales fémi­nines, à l'inverse des familles issues d’Afrique de l’Ouest. Dans ce pays prin­ci­pa­le­ment fran­co­phone situé sur la Corne de l’Afrique, la muti­la­tion sexuelle fémi­nine qui vise à reti­rer plus ou moins par­tiel­le­ment le cli­to­ris et les petites lèvres est encore majo­ri­tai­re­ment consi­dé­rée comme un rituel reli­gieux obli­ga­toire pour se marier, mal­gré son inter­dic­tion depuis 1995. Selon l’UNICEF, 93% des femmes dji­bou­tiennes entre 15 et 50 ans seraient exci­sées. Ce qui en fait le troi­sième pays le plus tou­ché au monde après la Somalie et la Guinée-​Conakry. En France, la légis­la­tion pénale ne pré­voit pas spé­ci­fi­que­ment le cas de l’excision. Mais, cette pra­tique est répri­mée par le biais de l’infraction de « vio­lences volon­taires ayant entraî­né une muti­la­tion » depuis l’arrêt du 20 août 1986. Elle est pas­sible de quinze années de réclu­sion lorsqu’elle est com­mise par un·e descendant·e sur un mineur·e de quinze ans. 

Premier pro­cès aux assises depuis dix ans 

Isabelle Gillette-​Faye a assis­té au pro­cès en qua­li­té de témoin-​experte, sol­li­ci­tée par une jus­tice consciente de son rôle péda­go­gique dans la lutte contre les muti­la­tions sexuelles fémi­nines. « J’ai pu contex­tua­li­ser et expli­ci­ter la pra­tique des muti­la­tions géni­tales aux jurés et aux asses­seurs dont ce n’est pas le quo­ti­dien, tout en évi­tant de tom­ber dans le piège des dis­cri­mi­na­tions et en expli­quant éga­le­ment les consé­quences psy­cho­trau­ma­tiques de ces vio­lences », sou­ligne la socio­logue qui dit avoir « été agréa­ble­ment sur­prise » du tra­vail du pré­sident de la cour qui « avait vrai­ment pré­pa­ré ce pro­cès »

Un pro­cès d’autant plus impor­tant qu’il était le pre­mier aux assises depuis dix ans et celui de Nevers. Si le pro­cès de Nevers jugeait en 2012 un couple d’origine gui­néenne qui avait fait exci­ser ses quatre filles dans des condi­tions sani­taires pré­caires à leur domi­cile en France– ce qui avait entrai­né de graves com­pli­ca­tions médi­cales pour l’une d’entre elles – la femme jugée au Mans a fait exci­ser ses trois filles aînées lors de vacances chez leur grand-​mère mater­nelle à Djibouti, son pays d’origine. L'aînée des trois, qui souffre de graves troubles men­taux, a été exci­sée en 2007 à l’âge de 7 ans. Les deux der­nières en 2013 à l’âge de 5 et 4 ans. Au retour de ce der­nier voyage, la plus grande des trois exprime à l’une des édu­ca­trices de son Institut médico-​éducatif (IME), qu’elle n’a « pas de chou­chou, pas de zizi » et des­sine des enfants pleu­rant des larmes de sang.

« Comprendre sans juger »

Alertée, l’équipe socio-​éducative de l’IME émet une « infor­ma­tion pré­oc­cu­pante », confor­mé­ment à la pro­cé­dure de signa­le­ment. Cette der­nière abou­tit fina­le­ment à un exa­men médi­cal en 2014 qui confirme que la jeune fille et ses deux petites sœurs ont subi des muti­la­tions géni­tales de type 2 (abla­tion par­tielle ou totale du cli­to­ris externe et des petites lèvres avec/​sans abla­tion des grandes lèvres) pour la pre­mière puis de type 1 (abla­tion par­tielle ou totale du cli­to­ris externe et/​ou du capu­chon du cli­to­ris) pour les deux der­nières. En 2015, leur mère est mise en exa­men. « J’ai été sai­sie en 2015 par l’ASE [Aide Sociale à l’Enfance, ndlr] et l’administratrice ad hoc [per­sonne dési­gnée par un magis­trat qui se sub­sti­tue aux repré­sen­tants légaux, ndlr], pré­cise Isabelle Gillette-​Faye. Il a fal­lu presque sept ans pour arri­ver à la cour d’assise, ce qui montre les délais très longs et explique que cer­taines vic­times acceptent la cor­rec­tion­na­li­sa­tion de leur affaire. Cette fois, le magis­trat char­gé de l’affaire est allé jusqu’au bout, jusqu’au pro­cès aux assises. »

La direc­trice de la GAMS salue et sou­ligne l’attitude des par­ties pre­nantes au cours du pro­cès, « très atten­tives et dési­reuses de bien faire, de com­prendre sans juger ». Car, l’important pour Isabelle Gilette-​Faye est de se deman­der : « Comment une mère qui a elle-​même subi une muti­la­tion peut-​elle faire ça à ses filles ? Et pour­quoi les filles elles-​mêmes continuent-​elles de bana­li­ser un acte qui aurait pu, et peut encore, avoir des consé­quences dra­ma­tiques ? »

Le poids des traditions 

Pour la socio­logue « com­prendre ne veut pas dire excu­ser ». Mais, à la barre, elle a lon­gue­ment rap­pe­lé le poids de la tra­di­tion des muti­la­tions géni­tales qui pèsent encore aujourd’hui sur ces femmes. La mère de famille a d’ailleurs affir­mé que l’infibulation (le rétré­cis­se­ment de l’orifice vagi­nal par abla­tion et acco­le­ment des petites lèvres et/​ou des grandes lèvres, c’est-à-dire une muti­la­tion géni­tale de type 3) qu’elle a elle-​même subie dans son enfance n’a pas eu de consé­quences néfastes sur sa vie de femme. « Pour ses filles qui ont subi des pra­tiques de type 2 et 1 [c’est à dire moins inva­sives et moins inva­li­dantes, ndlr], elle a tout de même fait inter­ve­nir du per­son­nel soi­gnant, ce qui montre qu’elle était consciente de la dou­leur et du dan­ger », estime Isabelle Gillette-Faye.

Les trois vic­times n’ont pas assis­té au pro­cès. La plus âgée était trop fra­gile psy­cho­lo­gi­que­ment tan­dis que les deux cadettes sont encore dans un déni total de ce qui leur est arri­vé et consi­dèrent que ce pro­cès fait du tort à leur mère. Elles parlent d’ailleurs de l’excision comme quelque chose de nor­mal qui ne leur a pas por­té pré­ju­dice. « Le déni est une réac­tion clas­sique dans le psy­cho­trau­ma, ana­lyse Isabelle Gillette-​Faye. Peu de vic­times portent d’ailleurs plaintes contre leurs parents. » Quant au père des vic­times, il est aujourd'hui décé­dé, mais n'était, selon l'accusée, pas au cou­rant de l'intervention subie par ses trois filles pen­dant leur vacances à Djibouti. 

Nécessité reli­gieuse 

À l’énoncé du ver­dict, l’accusée a cra­qué et s’est effon­drée en larmes. « Lorsqu’on sait à quel point on ne parle pas de sexua­li­té dans ces com­mu­nau­tés, cela en dit long sur l’humiliation qu’elle a res­sen­tie pour avoir été condam­née pour un acte qu’elle estime nor­mal », avance la socio­logue qui juge la peine de cinq ans avec sur­sis « tout à fait per­ti­nente ». « Je crois qu'elle reste convain­cue que c'est une néces­si­té reli­gieuse [la mère étant de confes­sion musul­mane, ndlr] et qu'elle ne sai­sit pas pour­quoi on l'en empêche. »

Pour autant, la mère de famille dit avoir « bien com­pris l’interdiction » et n’a d’ailleurs pas fait exci­ser ses quatre enfants qu’elle a eu après. « L’enquête a démon­tré qu’il ne s’agit pas d’une mère mal­trai­tante, assure Isabelle Gillette-​Faye. C’est une femme qui pense s’être com­por­tée comme une bonne mère dji­bou­tienne et qui a fait ce que sa com­mu­nau­té atten­dait d’elle. Elle semble donc avoir com­pris l'interdit, mais pas le pour­quoi. Il reste encore du che­min à faire pour sen­si­bi­li­ser les com­mu­nau­tés et c’est en cela que ce pro­cès est pédagogique. »

  1. Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles, des Mariages Forcés et autres pra­tiques tra­di­tion­nelles néfastes à la san­té des femmes et des filles en France et dans le monde[]
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