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© Marcelo Leal / Unsplash

À Paris, le modèle des centres de san­té non lucra­tifs vacille

Dans la capi­tale, plu­sieurs centres de san­té gérés par des asso­cia­tions ou des mutuelles pour per­mettre au public le plus pré­caire d'être soi­gné sont mena­cés de fer­me­ture, en rai­son de pertes finan­cières "insou­te­nables". La mai­rie entend appor­ter un sou­tien aux struc­tures les plus fragiles.

"Fermer serait une catas­trophe". Essentiel pour l'accès aux soins des habitant·es, par­ti­cu­liè­re­ment des plus démuni·es du nord-​est pari­sien, le centre de san­té Richerand est proche de la faillite. Comme nombre d'autres struc­tures asso­cia­tives ou mutua­listes, au modèle éco­no­mique "inte­nable".

Sans ce centre, "je serais en grande galère", s'émeut Alpha Camara, étu­diant de 28 ans, dans la lumi­neuse salle d'attente. Exilé gui­néen, il a été orien­té ici en 2019 par l'hôpital Lariboisière, et fait régu­liè­re­ment "1H30 de trans­ports, depuis le Val‑d'Oise", car "tous les méde­cins" de sa ville affi­chaient complet.

Créé en 1974 par les oeuvres sociales de l'énergie et repris en 2019 par une coopé­ra­tive, ce centre poly­va­lent du Xe arron­dis­se­ment sala­rie une cin­quan­taine de per­sonnes dont 10 géné­ra­listes (sur les 60 exer­çant dans l'arrondissement pour 83.500 habi­tants), des spé­cia­listes, infirmier·ères, sages-​femmes et psychologues.

Plus de 20 000 per­sonnes y béné­fi­cient de 54 000 consul­ta­tions annuelles et 6 000 patient·es y ont trou­vé leur méde­cin trai­tant, détaille la direc­trice médi­cale, Jeanne Villeneuve. L'offre, en sec­teur 1 (sans dépas­se­ments d'honoraires), "part des besoins du ter­ri­toire", notam­ment la dif­fi­cul­té crois­sante, pour les plus démuni·es, à trou­ver un géné­ra­liste. Dans l'arrondissement qui mêle popu­la­tions défa­vo­ri­sées et plus bour­geoises, "on est presque les seuls à accep­ter de nou­veaux 'patients méde­cin trai­tant'", des visites à domi­cile ou à l'Ehpad, assure-t-elle.

À Paris, où 80% des spé­cia­listes et 30% des géné­ra­listes pra­tiquent des dépas­se­ments d'honoraires, ces centres pluri-​professionnels "jouent un rôle majeur dans la réduc­tion des inéga­li­tés de san­té ", sou­li­gnait en mars Thierry Bodin, repré­sen­tant de l'Agence régio­nale de Santé (ARS), lors d'une réunion publique. Ils rééqui­librent l'offre, le nord-​est popu­laire (XVIIIe, XIXe, XXe arron­dis­se­ments) comp­tant moins de 10 spécialistes/10.000 habitant·es, contre une cen­taine dans le hup­pé VIIIe, selon l'atelier pari­sien d'urbanisme.

Modèle "inte­nable"

Mais la majo­ri­té des non lucra­tifs (gérés par des asso­cia­tions, coopé­ra­tives, mutuelles…) sont défi­ci­taires, "parce que le modèle éco­no­mique est inte­nable", résume Jeanne Villeneuve. La Croix Rouge a annon­cé la fer­me­ture d'ici l'été de six centres d'Ile-de-France dont deux pari­siens, après des pertes "insou­te­nables" (4,3 mil­lions d'euros esti­més pour 2024, 48 mil­lions en cumu­lé) selon l'association, qui cherche un repre­neur. Après un défi­cit de 760.000 euros en 2023, le centre Richerand envi­sage aus­si une pro­cé­dure collective.

En cause, la "tari­fi­ca­tion à l'acte" : envi­ron 80% du chiffre d'affaires pro­vient du rem­bour­se­ment des consul­ta­tions et actes tech­niques par l'Assurance mala­die, insuf­fi­sants pour finan­cer les salaires et charges. Ce modèle pousse à enchaî­ner rapi­de­ment les consul­ta­tions, déplore Hélène Colombani, pré­si­dente de la fédé­ra­tion repré­sen­ta­tive du sec­teur (FNCS). Mais avec le vieillis­se­ment de la popu­la­tion, "les patients cumulent sou­vent plu­sieurs mala­dies chro­niques : dia­bète, insuf­fi­sance car­diaque, can­cer… C'est ingé­rable en dix minutes". Les patients pré­caires ont aus­si des bar­rières de langue, divers pro­blèmes sociaux, et cette tari­fi­ca­tion "ne rému­nère pas la pré­ven­tion (édu­ca­tion thé­ra­peu­tique, nutri­tion, sport-​santé…) ou la coor­di­na­tion" avec les ser­vices médico-​sociaux, pointe-​t-​elle. Des expé­ri­men­ta­tions ont mon­tré que des for­faits annuels, cali­brés sur le nombre et les carac­té­ris­tiques des patient·es suivi·es (âge, pré­ca­ri­té, mala­dies…), "seraient plus adap­tés", même s'ils "res­tent à per­fec­tion­ner", dit-elle.

Concurrence des struc­tures privées

D'après une étude com­man­dée par les orga­ni­sa­tions repré­sen­ta­tives, les trois quarts des centres de san­té ont un "dés­équi­libre d'exploitation", les poly­mé­di­caux étant par­ti­cu­liè­re­ment fra­giles. Les non-​lucratifs subissent la concur­rence des struc­tures pri­vées, qui se mul­ti­plient. À Paris, le nombre de centres a tri­plé en dix ans.

Une par­tie, por­tés notam­ment par des fonds d'investissement, "opti­misent, font défi­ler les patients, les actes rému­né­ra­teurs (radio­lo­gie, den­taire…) par­fois inutiles", dénonce Anne-​Claire Boux, adjointe éco­lo­giste char­gée de la Santé à la mai­rie de Paris. "Ils créent du capi­tal avec de l'argent public, mais n'auront aucun scru­pule, s'ils ne font plus de marge, à par­tir ailleurs", tance-t-elle.

La mai­rie entend sou­te­nir le centre Richerand et n'exclut pas de muni­ci­pa­li­ser ceux de La Croix Rouge. Elle gère déjà une dizaine de centres, éga­le­ment défi­ci­taires, et pro­jette d'en ouvrir sept nou­veaux. Un "inves­tis­se­ment" inac­ces­sible pour de petites collectivités.

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