Connaissez-vous l’histoire de la Malinche ? Cette esclave amérindienne offerte au conquistador espagnol Cortés au début du XVIe siècle, violée puis utilisée comme interprète auprès des indigènes dans la conquête espagnole, pour finir par être refourguée à l’un de ses capitaines une fois la capitale aztèque tombée. Non ? Eh bien apparemment, le metteur en scène espagnol Nacho Cano non plus. De cette relation asymétrique sur fond de colonisation, il extirpe une comédie musicale romantique digne de l’adaptation mielleuse de Roméo et Juliette sur nos scènes en 2001. Avec Malinche : The Musical, présenté au palais des congrès de Madrid jusqu’au 31 janvier 2023, on nous vend « l’histoire d’amour qui changea le monde ». Rien que ça.
En vérité, l’auteur ne s’est pas gêné pour réécrire l’Histoire de la conquête des Amériques version péplum hollywoodien. À la colonisation et à l’asservissement d’une femme, Nacho Cano préfère se souvenir d’« un amour qui anticipe l’union qui naîtra entre deux peuples frères, le Mexique et l’Espagne ». Pourtant, c’est bien par la force et le sang que Cortés a fait tomber en 1521 Tenochtitlán, capitale de l’Empire aztèque, sur les cendres de laquelle il bâtira Mexico.
Certes, les versions divergent sur le rôle joué par Malinalli – le vrai prénom de la Malinche. Pour certain·es, elle aurait trahi son peuple en aidant les Espagnols. Mais une chose est sûre : elle n’a été en rien l’héroïne transie d’amour présentée par Nacho Cano. Romantiser la domination des hommes et dénaturer la violence des faits historiques pour en faire un show « à la Broadway » – chorés pétulantes et chants à pleins poumons compris – est une violence finalement supplémentaire infligée aux descendant·es des peuples indigènes. D’autant plus violent que d’après El Pais, le palais des Congrès affiche complet. Comme quoi, la désinformation fait toujours salle comble !