Tatiana Mukanire interviewed by the UN on November 20

RDC : Tatiana Mukanire Bandalire, une lumière dans la "capi­tale mon­diale du viol"

Dans Au-​delà de nos larmes, Tatiana Mukanire Bandalire raconte son his­toire et celles de nom­breuses Congolaises vic­times de vio­lences sexuelles depuis le milieu des années 90 dans l'est de la République démo­cra­tique du Congo. 

Elle porte une che­mise fleu­rie, un tur­ban colo­ré et aura presque tout au long de l’heure que nous pas­se­rons ensemble le sou­rire aux lèvres. Presque, car ce que raconte Tatiana Mukanire Bandalire, 38 ans, n'a rien d'un conte de fée. Dans Au-​delà de nos larmes, paru aux édi­tions Des Femmes – Antoinette Fouque le 18 novembre der­nier, Tatiana narre l’histoire des femmes vic­times de viol en République Démocratique du Congo (RDC). La sienne, bien sûr, mais sur­tout celles des nom­breuses femmes qu’elle a ren­con­trées au sein du Mouvement natio­nal des sur­vi­vantes des vio­lences sexuelles en RDC qu’elle a co-​fondé en 2017. 

C’est donc au cœur de la mai­son d’édition Des femmes – Antoinette Fouque dans le très chic quar­tier de Saint-​Germain-​des-​prés que nous retrou­vons Tatiana Mukanire Bandalire. Lorsqu’elle arrive, sou­riante, son mari Juvénal au bras, celle qui se consacre désor­mais entiè­re­ment à la cause des vic­times de viol en RDC affirme d’emblée d’une voix douce être très heu­reuse de se trou­ver à Paris. Elle tombe d’ailleurs dans les bras de Christine Villeneuve, son édi­trice, et d’Audrey Leroy, son atta­chée de presse. « J’ai pu voir la Tour Eiffel, glisse Tatiana en buvant une gor­gée de café. Mais je suis aus­si épui­sée. Tant phy­si­que­ment que men­ta­le­ment. » Et pour cause : cela fait une semaine que le couple qui a fait plus de 8000 km depuis Kinshasa enchaîne les inter­views. La veille, Tatiana était même à la tri­bune de l’Unesco à l’occasion de la jour­née inter­na­tio­nale pour l’élimination de la vio­lence à l’égard des femmes, pour par­ler de son livre et de son com­bat qui sont inti­me­ment liés.

"Capitale mon­diale du viol" 

Tatiana Mukanire Bandalire est née et vit dans l'est de la RDC. Un pays que l’envoyée spé­ciale de l’ONU pour les vio­lences faites aux femmes et aux enfants dans les conflits, Margot Wallstrom, a qua­li­fié en 2010 de « capi­tale mon­diale du viol ». Depuis la pre­mière guerre du Congo en 1996, puis la deuxième deux ans plus tard, le viol et les tor­tures sexuelles sont des armes de guerre uti­li­sées par à peu près tous les groupes armés. Plus de 500 000 Congolaises ont ain­si été réper­to­riées comme vic­times de viol en RDC depuis le milieu des années 90. Si le conflit est fini depuis une ving­taine d’années, le viol est, lui, tou­jours là. « Les viols n'ont pas ces­sés, assure Tatiana Mukanire Bandalire. Plus de 1500 femmes sont tou­jours vio­lées chaque jour en RDC. »

Ces vic­times se consi­dèrent aujourd'hui comme des sur­vi­vantes. Au-​delà d’être l’une d’entre elles, Tatiana Mukanire Bandalire se fait leur porte-​voix. Au fil des pages de son livre, on découvre les témoi­gnages gla­çants de ces femmes : Gisèle, vio­lée pour la pre­mière fois à 13 ans. Ghislaine, qui, après avoir été vio­lée par cinq hommes armés, a été contrainte de faire cuire sur le feu la tête et les entrailles de son mari égor­gé. Ou encore Munya, vio­lée à de mul­tiples reprises lorsqu'elle était mineure et qui fut pen­dant huit mois une esclave sexuelle. Au total, plus de cin­quante témoi­gnages insou­te­nables sont livrés par­mi les cen­taines que reçoit chaque jour Tatiana. « L'insoutenable est néces­saire pour prendre conscience de ce qu'est la réa­li­té pour beau­coup de Congolaises », pré­cise l'éditrice et co-​directrice des édi­tions Des femmes – Antoinette Fouque, Christine Villeneuve. 

Sur sa propre his­toire, Tatiana déclare sim­ple­ment avoir été vio­lée à 21 ans en 2004 au bord d’une route, alors qu’elle ren­trait de l’université. Une pudeur volon­taire pour l’autrice. « C’est un choix de ne pas ren­trer dans les détails, développe-​t-​elle. Ces femmes n’ont pas l’occasion de par­ler et la plu­part sont anal­pha­bètes. A tra­vers moi, elles peuvent s’exprimer et mon his­toire n’est pas plus forte que la leur. Si je devais seule­ment racon­ter la mienne, ça n’aurait pas de sens. »

« Dans ma tête c’était un chaos. »

Parler. Prendre chaque occa­sion pour por­ter haut et fort la voix des 5 000 sur­vi­vantes que compte aujourd’hui le Mouvement. Parler pour celles aus­si qui – par peur du rejet et de la honte – n'osent encore fran­chir le pas. Pendant plus de dix ans, Tatiana n’a rien dit. « Après mon viol, je pen­sais que j’allais reprendre ma vie d’avant mais la dou­leur s’intensifiait de jour en jour, confie t‑elle, émue. La dou­leur phy­sique mais sur­tout la dou­leur men­tale. Dans ma tête, c’était un chaos. » Avant son viol, Tatiana pesait 55 kilos. Elle finit par fuir sa famille et, six mois après, elle pesait 120 kilos. « Je vou­lais me détruire, je n’avais envie de rien, je me suis noyée dans l’alcool en pen­sant que ça allait m’aider à oublier mais ça ne chan­geait rien. »

C’est une ren­contre à la cli­nique de Bukavu, il y a dix ans, avec « celui qui répare les femmes », le gyné­co­logue et prix Nobel de la paix Denis Mukwege – qui a d’ailleurs pré­fa­cé son livre – qui chan­ge­ra sa vie. « Il m’a per­mis d’accepter mon sta­tut de vic­time, raconte Tatiana. Comme si j’avais vécu pen­dant dix ans dans la peau de quelqu’un d’autre. » Dix longues années de soli­tude. « Mes rela­tions avec les hommes étaient très com­pli­quées, livre t‑elle. Dès que j’en par­lais, ils fuyaient. » Quand Tatiana a ren­con­tré Juvénal il y a cinq ans, elle a donc mis du temps avant de lui confier son his­toire. « Je ne vou­lais pas qu’il l’apprenne par quelqu’un d’autre mais ça a été très dur. J’avais peur qu’il me rejette, déclare ‑t-​elle. Ça n’a pas for­cé­ment été facile au début mais il est res­té et m’a sou­te­nue. Je sais que beau­coup d’autres femmes n’ont pas cette chance. » 

Mobiliser

Assis en face d’elle, Juvénal ne perd pas d'une oreille le récit de son épouse tout en écou­tant de l'autre l’interview qu’elle a don­née la veille à RFI. « Je suis très fier d’elle, de son enga­ge­ment et c’est impor­tant pour moi de l’accompagner en France pour en par­ler, affirme-​il. Le viol est un fléau en RDC, nous devons tous nous enga­ger pour que les femmes soient recon­nues en tant que vic­times par le gouvernement. »

Un enga­ge­ment aujourd’hui por­té par l’édition Des Femmes – Antoinette Fouque. « Pour nous, il ne s’agit pas seule­ment de publier un livre de plus, c’est avant tout un outil de sen­si­bi­li­sa­tion, de prise de conscience et de mobi­li­sa­tion, sou­tient Christine Villeneuve. C’est une femme extra­or­di­naire, on veut la faire entendre et mobi­li­ser la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale. » Une ren­contre était d'ailleurs orga­ni­sée le soir même avec des mili­tantes fémi­nistes fran­çaises, cette fois sans caméra. 

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Au-​delà de nos larmes, de Tatiana Mukanire Bandalire.
Des Femmes Antoinette Fouque, 2021, 76 pages. 

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