Jameela Jamil, l'infiltrée du glam

De la retouche pho­to, qu’elle qua­li­fie de « crime contre un genre entier », à la guerre contre les bois­sons amin­cis­santes et le manque d’inclusivité de la mode, l’actrice bri­tan­nique de la série The Good Place lutte farou­che­ment contre l’hypocrisie du star-system. 

HS10 Jameela Jamil © Capture ecran twitter
© Capture d'écran du compte Twitter de Jameela Jamil

Ses détrac­teurs et détrac­trices lui reprochent de res­sem­bler à la faune qu’elle cri­tique. Mince comme un fil, hyper loo­kée, les che­veux en cas­cade, des duck faces un peu trop pré­sentes et une mise en scène d’elle-même per­ma­nente sur les réseaux sociaux. Et pour­tant ! Jameela Jamil a com­pris depuis bien long­temps que son phy­sique, le milieu dans lequel elle évo­lue et les sup­ports qu’elle uti­lise étaient les meilleurs ins­tru­ments pour dénon­cer de l’intérieur un monde d’images tru­quées qui marche sur la tête. À y regar­der de plus près, donc, on com­prend rapi­de­ment que Jameela Jamil est tout sauf une quiche et qu’elle s’emploie, au contraire, à prou­ver au monde entier qu’on nous prend pour des idiot·es !

À pro­pos d’une pho­to d’elle publiée sur Twitter en mars, elle s’indigne : « Où sont mes ver­ge­tures ? » ; « Mon bras n’était pas si mince » ; « J’ai la peau plus fon­cée que ça », ou encore : « La retouche est la rai­son pour laquelle les femmes détestent leurs genoux », « Mes vrais genoux res­semblent à un vagin et c’est bien comme ça ! » annote-​t-​elle autour d’un cli­ché méta­mor­pho­sé. Rappelant que ce genre de pra­tiques est une atteinte à « sa san­té men­tale ». Celles qu’elle vise en par­ti­cu­lier ? Les jeunes filles, très influen­çables, qui pour­raient se lais­ser ber­ner comme elle l’a été à leur âge. 

Vergetures et dents jaunes

Depuis qu’elle est par­tie en croi­sade contre le body sha­ming et le culte de la beau­té, les comptes de Jameela Jamil n’en finissent pas de grim­per. Deux mil­lions d’abonné·es sur Instagram, 860 000 sur Twitter : « Je veux créer un espace non toxique sur les réseaux sociaux pour que les gens puissent venir s’exprimer et apprendre à mes côtés. J’aime être trans­pa­rente sur mes défauts pour que les gens ne soient pas décou­ra­gés par les leurs », explique à Causette celle qui n’hésite pas à prendre en pho­tos ses ver­ge­tures ou ses dents jaunes. 

Ex-​présentatrice télé et ani­ma­trice radio, elle est aujourd’hui connue pour son per­son­nage de riche héri­tière faus­se­ment modeste, amie de Beyoncé et du dalaï-​lama, dans la série amé­ri­caine fantastico-​humoristique The Good Place. Ce qui lui a valu un cer­tain nombre de cou­ver­tures de maga­zines. Elle sait donc de quoi elle parle en termes de retouches photo… 

Mais son par­cours n’a pas été un che­min de roses. Il com­mence en 1986 au nord de Londres. Sa mère est pakis­ta­naise, son père indien, la famille ne roule pas sur l’or. Jameela est atteinte de laby­rin­thite (une infec­tion de l’oreille interne) et passe son enfance à l’hôpital, entre opé­ra­tions et vio­lentes crises d’allergies. 

Anorexie

Tout de même bonne élève, elle béné­fi­cie d’une bourse. Mais, seule Sud-​Asiatique en classe, elle est vic­time de har­cè­le­ment sco­laire. À 14 ans, elle sombre dans l’anorexie. Trois ans de cau­che­mar dont elle pointe les cou­pables : « J’étais jeune et vul­né­rable. J’ai cru mes célé­bri­tés pré­fé­rées quand je les voyais faire sem­blant de consom­mer toutes sortes de pro­duits [amin­cis­sants]. Je les ai uti­li­sés et j’ai com­plè­te­ment détruit ma san­té. Mon méta­bo­lisme, ma thy­roïde, mon sys­tème diges­tif et mes reins ne se sont jamais com­plè­te­ment réta­blis. » 

Elle a 17 ans lorsque sur­vient « la meilleure chose qui [lui] soit jamais arri­vée » : elle est per­cu­tée par une voi­ture qui lui laisse le dos en miettes. Le pro­nos­tic médi­cal est sans appel : elle fini­ra ses jours en fau­teuil rou­lant. Mais Jameela est une mul­ti­ré­si­liente ! Deux ans plus tard, elle marche avec un déam­bu­la­teur, dont elle fini­ra par se pas­ser. « La perte de mes fonc­tions cor­po­relles les plus élé­men­taires m’a fait réa­li­ser à quel point je tenais mon corps pour acquis. À quel point j’avais été stu­pide de l’avoir bles­sé par mon ano­rexie ! Je ne me suis plus jamais affa­mée. Je veux pro­té­ger ce corps auquel je dois tant », nous explique-t-elle. 

C’est à ce moment-​là que la jeune femme – qui, à cette époque, donne des cours d’anglais – répond, pour s’amuser, à une annonce de T4, une émis­sion de Channel 4. La voi­là engagée. 

Mais être visible, c’est s’exposer à la vio­lence du monde. Obligée de suivre un trai­te­ment aux sté­roïdes contre l’asthme, Jameela prend du poids, et les tabloïds ne se privent pas de railler ses varia­tions phy­siques. « Pour les femmes en par­ti­cu­lier, la célé­bri­té est absurde. Elle vous accorde de grands pri­vi­lèges, mais vous êtes aus­si scru­tée, sexua­li­sée et dia­bo­li­sée, bien au-​delà de votre capa­ci­té à faire face. C’est une dyna­mique mal­saine, sur­tout quand on est jeune », décrypte-t-elle. 

Aujourd’hui, à 33 ans, la vie de Jameela Jamil est ailleurs. Et sur­tout dans l’activisme. Son che­val de bataille ? Les influen­ceuses qui font la pro­mo­tion sur leurs comptes Instagram de pro­duits sup­po­sé­ment « détox » mais qui ne sont, en réa­li­té, que des laxa­tifs, et qui pro­posent à leurs fol­lo­wers des codes pro­mo­tion­nels pour les obte­nir. À Cardi B, Iggy Azalea, Amber Rose ou Khloé Kardashian, elle reproche de cacher le fait qu’elles ont un·e coach, un·e nutri­tion­niste et, pro­ba­ble­ment, un·e cuisinier·ère et un·e chirurgien·ne esthé­tique. Et, sur­tout, d’omettre les effets secon­daires de ces produits.

Elle n’épargne pas les membres du très puis­sant clan des Kardashian, qu’elle appelle les « agents doubles du patriar­cat » et qu’elle trouve irres­pon­sables quant aux nou­velles géné­ra­tions. Sous une pho­to d’une énième pro­mo de Khloé Kardashian rati­boi­sée sur Photoshop, elle écrit : « C’est affreux que cette indus­trie vous ait tyran­ni­sée au point que vous deve­niez si obsé­dée par votre appa­rence. […] Ne réin­tro­dui­sez pas ça dans le monde et ne faites pas de mal à d’autres filles. »

Plus effi­cace que la FDA

Pour ridi­cu­li­ser ces pra­tiques, elle poste une vidéo d’elle en robe de soi­rée, un mélange détox à la main, misé­rable, assise sur des toi­lettes. Elle pète, son Rimmel coule, tout comme le conte­nu de son esto­mac qui se déverse dans la cuvette. Elle s’en prend éga­le­ment à Instagram et Facebook, qu’elle accuse de com­pli­ci­té, en lan­çant une péti­tion qui recueille­ra près de 250 000 signa­tures. L’université de Harvard a même démon­tré que les cam­pagnes de Jameela Jamil étaient plus effi­caces que celles de la Food and Drug Administration (FDA), l’agence amé­ri­caine de régu­la­tion des den­rées ali­men­taires et des médi­ca­ments, pour sen­si­bi­li­ser les consom­ma­teur et consom­ma­trices. Enfin, elle ins­pire la Première ministre bri­tan­nique, qui fait adop­ter des lois sur les ventes de ces faux ali­ments détox. Même la famille royale salue son travail !

Sororité et bien­veillance sont les mots d’ordre de cette « fémi­niste en pro­grès », comme elle dit. Sur ces points, elle tente d’être exem­plaire : « J’essaie de repré­sen­ter le chan­ge­ment que j’espère voir adve­nir. J’essaie d’être pour les autres ce dont j’ai man­qué. C’est exci­tant de bri­ser des portes et de lut­ter contre l’effacement des per­sonnes qui me res­semblent. C’est dif­fi­cile, mais ça en vaut la peine. Et c’est très impor­tant pour les jeunes Sud-​Asiatiques. » 

I Weigh

En 2018, l’actrice découvre sur Instagram un jeu qui consiste à faire devi­ner le poids des sœurs Kardashian-​Jenner. C’en est trop pour celle qui trouve indé­cent que des femmes d’affaires ayant construit un empire, « mal­gré tout ce qu’on peut pen­ser d’elles », ne soient éva­luées qu’à l’aune de leur poids. « Nous avons tel­le­ment plus à offrir. Nous méri­tons plus de res­pect que cela », nous dit-​elle. Elle crée alors le mou­ve­ment I Weigh, qui pro­pose à chacun·e de racon­ter non pas le poids qu’il ou elle pèse, mais le poids de ce qu’il ou elle vaut. De ce dont il·elle est fier·ère. Elle-​même ouvre le bal en écri­vant sur sa pho­to : « Je pèse : une jolie rela­tion amou­reuse. De mer­veilleux amis. Je ris tous les jours. J’aime mon tra­vail. J’exerce une acti­vi­té hon­nête. Je suis finan­ciè­re­ment indé­pen­dante. Je milite pour les droits des femmes. J’aime mes des­sous de bras chauves-​souris. Je m’aime mal­gré tout ce que les médias m’ont appris à détes­ter chez moi. » I Weigh compte aujourd’hui 770 000 abonné·es sur Instagram : « Aucune de mes cam­pagnes ne serait effi­cace sans la com­mu­nau­té I Weigh der­rière moi, criant avec moi. Nous le fai­sons ensemble comme une révo­lu­tion contre cette honte de nos propres corps qu’on vou­drait nous impo­ser », dit-​elle. 

La gros­so­pho­bie du monde de la mode l’insupporte tout autant. Début mai, elle se filme après un essayage : « J’ai essayé une robe de cou­tu­rier très chère, elle a explo­sé à la hau­teur de mon cul […] et je fais du 38 ! » Elle ter­mine sa vidéo sur un lapi­daire « Au créa­teur dont la robe a explo­sé, […] honte à toi, pas honte à moi. » 

« Non seule­ment c’est mal d’écarter une cer­taine caté­go­rie de per­sonnes de la mode, mais c’est sur­tout une aber­ra­tion com­mer­ciale. Cristian Siriano a tri­plé ses reve­nus en créant des tailles plus grandes pour sa marque de haute cou­ture. Être éga­le­ment plus inclu­sif avec les per­sonnes raci­sées est néces­saire et… payant ! Le suc­cès phé­no­mé­nal des films Black Panther et Crazy Rich Asians en est la preuve. Les jours de la vision mince et pro-​valides de la supré­ma­tie blanche sont comp­tés », assure Jameela Jamil, qui place beau­coup d’espoir dans la nou­velle géné­ra­tion. Précisément celle à qui elle s’adresse : « Elle est beau­coup plus aver­tie et sen­si­bi­li­sée que celle qui l’a pré­cé­dée. Ils sont très conscients et pas­sion­nés et se réveillent d’une manière que je n’avais pas pré­vue. Ce sont eux qui nous sau­ve­ront. » Jameela, elle, est déjà sauvée !

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