De la retouche photo, qu’elle qualifie de « crime contre un genre entier », à la guerre contre les boissons amincissantes et le manque d’inclusivité de la mode, l’actrice britannique de la série The Good Place lutte farouchement contre l’hypocrisie du star-system.
![Jameela Jamil, l'infiltrée du glam 1 HS10 Jameela Jamil © Capture ecran twitter](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/06/HS10-Jameela-Jamil-©-Capture-ecran-twitter-767x1024.jpg)
Ses détracteurs et détractrices lui reprochent de ressembler à la faune qu’elle critique. Mince comme un fil, hyper lookée, les cheveux en cascade, des duck faces un peu trop présentes et une mise en scène d’elle-même permanente sur les réseaux sociaux. Et pourtant ! Jameela Jamil a compris depuis bien longtemps que son physique, le milieu dans lequel elle évolue et les supports qu’elle utilise étaient les meilleurs instruments pour dénoncer de l’intérieur un monde d’images truquées qui marche sur la tête. À y regarder de plus près, donc, on comprend rapidement que Jameela Jamil est tout sauf une quiche et qu’elle s’emploie, au contraire, à prouver au monde entier qu’on nous prend pour des idiot·es !
À propos d’une photo d’elle publiée sur Twitter en mars, elle s’indigne : « Où sont mes vergetures ? » ; « Mon bras n’était pas si mince » ; « J’ai la peau plus foncée que ça », ou encore : « La retouche est la raison pour laquelle les femmes détestent leurs genoux », « Mes vrais genoux ressemblent à un vagin et c’est bien comme ça ! » annote-t-elle autour d’un cliché métamorphosé. Rappelant que ce genre de pratiques est une atteinte à « sa santé mentale ». Celles qu’elle vise en particulier ? Les jeunes filles, très influençables, qui pourraient se laisser berner comme elle l’a été à leur âge.
Vergetures et dents jaunes
Depuis qu’elle est partie en croisade contre le body shaming et le culte de la beauté, les comptes de Jameela Jamil n’en finissent pas de grimper. Deux millions d’abonné·es sur Instagram, 860 000 sur Twitter : « Je veux créer un espace non toxique sur les réseaux sociaux pour que les gens puissent venir s’exprimer et apprendre à mes côtés. J’aime être transparente sur mes défauts pour que les gens ne soient pas découragés par les leurs », explique à Causette celle qui n’hésite pas à prendre en photos ses vergetures ou ses dents jaunes.
Ex-présentatrice télé et animatrice radio, elle est aujourd’hui connue pour son personnage de riche héritière faussement modeste, amie de Beyoncé et du dalaï-lama, dans la série américaine fantastico-humoristique The Good Place. Ce qui lui a valu un certain nombre de couvertures de magazines. Elle sait donc de quoi elle parle en termes de retouches photo…
Mais son parcours n’a pas été un chemin de roses. Il commence en 1986 au nord de Londres. Sa mère est pakistanaise, son père indien, la famille ne roule pas sur l’or. Jameela est atteinte de labyrinthite (une infection de l’oreille interne) et passe son enfance à l’hôpital, entre opérations et violentes crises d’allergies.
Anorexie
Tout de même bonne élève, elle bénéficie d’une bourse. Mais, seule Sud-Asiatique en classe, elle est victime de harcèlement scolaire. À 14 ans, elle sombre dans l’anorexie. Trois ans de cauchemar dont elle pointe les coupables : « J’étais jeune et vulnérable. J’ai cru mes célébrités préférées quand je les voyais faire semblant de consommer toutes sortes de produits [amincissants]. Je les ai utilisés et j’ai complètement détruit ma santé. Mon métabolisme, ma thyroïde, mon système digestif et mes reins ne se sont jamais complètement rétablis. »
Elle a 17 ans lorsque survient « la meilleure chose qui [lui] soit jamais arrivée » : elle est percutée par une voiture qui lui laisse le dos en miettes. Le pronostic médical est sans appel : elle finira ses jours en fauteuil roulant. Mais Jameela est une multirésiliente ! Deux ans plus tard, elle marche avec un déambulateur, dont elle finira par se passer. « La perte de mes fonctions corporelles les plus élémentaires m’a fait réaliser à quel point je tenais mon corps pour acquis. À quel point j’avais été stupide de l’avoir blessé par mon anorexie ! Je ne me suis plus jamais affamée. Je veux protéger ce corps auquel je dois tant », nous explique-t-elle.
C’est à ce moment-là que la jeune femme – qui, à cette époque, donne des cours d’anglais – répond, pour s’amuser, à une annonce de T4, une émission de Channel 4. La voilà engagée.
Mais être visible, c’est s’exposer à la violence du monde. Obligée de suivre un traitement aux stéroïdes contre l’asthme, Jameela prend du poids, et les tabloïds ne se privent pas de railler ses variations physiques. « Pour les femmes en particulier, la célébrité est absurde. Elle vous accorde de grands privilèges, mais vous êtes aussi scrutée, sexualisée et diabolisée, bien au-delà de votre capacité à faire face. C’est une dynamique malsaine, surtout quand on est jeune », décrypte-t-elle.
Aujourd’hui, à 33 ans, la vie de Jameela Jamil est ailleurs. Et surtout dans l’activisme. Son cheval de bataille ? Les influenceuses qui font la promotion sur leurs comptes Instagram de produits supposément « détox » mais qui ne sont, en réalité, que des laxatifs, et qui proposent à leurs followers des codes promotionnels pour les obtenir. À Cardi B, Iggy Azalea, Amber Rose ou Khloé Kardashian, elle reproche de cacher le fait qu’elles ont un·e coach, un·e nutritionniste et, probablement, un·e cuisinier·ère et un·e chirurgien·ne esthétique. Et, surtout, d’omettre les effets secondaires de ces produits.
Elle n’épargne pas les membres du très puissant clan des Kardashian, qu’elle appelle les « agents doubles du patriarcat » et qu’elle trouve irresponsables quant aux nouvelles générations. Sous une photo d’une énième promo de Khloé Kardashian ratiboisée sur Photoshop, elle écrit : « C’est affreux que cette industrie vous ait tyrannisée au point que vous deveniez si obsédée par votre apparence. […] Ne réintroduisez pas ça dans le monde et ne faites pas de mal à d’autres filles. »
Plus efficace que la FDA
Pour ridiculiser ces pratiques, elle poste une vidéo d’elle en robe de soirée, un mélange détox à la main, misérable, assise sur des toilettes. Elle pète, son Rimmel coule, tout comme le contenu de son estomac qui se déverse dans la cuvette. Elle s’en prend également à Instagram et Facebook, qu’elle accuse de complicité, en lançant une pétition qui recueillera près de 250 000 signatures. L’université de Harvard a même démontré que les campagnes de Jameela Jamil étaient plus efficaces que celles de la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine de régulation des denrées alimentaires et des médicaments, pour sensibiliser les consommateur et consommatrices. Enfin, elle inspire la Première ministre britannique, qui fait adopter des lois sur les ventes de ces faux aliments détox. Même la famille royale salue son travail !
Sororité et bienveillance sont les mots d’ordre de cette « féministe en progrès », comme elle dit. Sur ces points, elle tente d’être exemplaire : « J’essaie de représenter le changement que j’espère voir advenir. J’essaie d’être pour les autres ce dont j’ai manqué. C’est excitant de briser des portes et de lutter contre l’effacement des personnes qui me ressemblent. C’est difficile, mais ça en vaut la peine. Et c’est très important pour les jeunes Sud-Asiatiques. »
I Weigh
En 2018, l’actrice découvre sur Instagram un jeu qui consiste à faire deviner le poids des sœurs Kardashian-Jenner. C’en est trop pour celle qui trouve indécent que des femmes d’affaires ayant construit un empire, « malgré tout ce qu’on peut penser d’elles », ne soient évaluées qu’à l’aune de leur poids. « Nous avons tellement plus à offrir. Nous méritons plus de respect que cela », nous dit-elle. Elle crée alors le mouvement I Weigh, qui propose à chacun·e de raconter non pas le poids qu’il ou elle pèse, mais le poids de ce qu’il ou elle vaut. De ce dont il·elle est fier·ère. Elle-même ouvre le bal en écrivant sur sa photo : « Je pèse : une jolie relation amoureuse. De merveilleux amis. Je ris tous les jours. J’aime mon travail. J’exerce une activité honnête. Je suis financièrement indépendante. Je milite pour les droits des femmes. J’aime mes dessous de bras chauves-souris. Je m’aime malgré tout ce que les médias m’ont appris à détester chez moi. » I Weigh compte aujourd’hui 770 000 abonné·es sur Instagram : « Aucune de mes campagnes ne serait efficace sans la communauté I Weigh derrière moi, criant avec moi. Nous le faisons ensemble comme une révolution contre cette honte de nos propres corps qu’on voudrait nous imposer », dit-elle.
La grossophobie du monde de la mode l’insupporte tout autant. Début mai, elle se filme après un essayage : « J’ai essayé une robe de couturier très chère, elle a explosé à la hauteur de mon cul […] et je fais du 38 ! » Elle termine sa vidéo sur un lapidaire « Au créateur dont la robe a explosé, […] honte à toi, pas honte à moi. »
« Non seulement c’est mal d’écarter une certaine catégorie de personnes de la mode, mais c’est surtout une aberration commerciale. Cristian Siriano a triplé ses revenus en créant des tailles plus grandes pour sa marque de haute couture. Être également plus inclusif avec les personnes racisées est nécessaire et… payant ! Le succès phénoménal des films Black Panther et Crazy Rich Asians en est la preuve. Les jours de la vision mince et pro-valides de la suprématie blanche sont comptés », assure Jameela Jamil, qui place beaucoup d’espoir dans la nouvelle génération. Précisément celle à qui elle s’adresse : « Elle est beaucoup plus avertie et sensibilisée que celle qui l’a précédée. Ils sont très conscients et passionnés et se réveillent d’une manière que je n’avais pas prévue. Ce sont eux qui nous sauveront. » Jameela, elle, est déjà sauvée !