D’un côté, une ministre des Sports, Roxana Maracineanu, déterminée à éradiquer des stades les slogans issus d’un champ lexical homophobe. De l’autre, des supporters baignant dans une culture commune faite d’esprit de provocation et de masculinité exacerbée. Au milieu, des arrêts de matchs, des bisbilles entre le ministère et la Fédération française de football et une question de fond : vu le niveau global d’homophobie dans le pays, est-il utile de sanctionner des « enculés » lancés à la volée sans avoir pris le temps de déconstruire la portée de cette insulte dans les esprits ?
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Frédérique Vidal
Administratrice de la Fédération sportive gaie et lesbienne (FSGL)
« Ces supporters ne sont peut-être pas homophobes, mais leurs propos le sont. Mettons-nous à la place de la personne homosexuelle qui les entend : c’est dégradant et violent. Face à cette atmosphère plombante, je ne suis pas étonnée qu’il n’y ait pas plus de coming out de sportifs.
En tant que première fédération sportive – par son nombre de licencié·es et sa médiatisation – la Fédération française de football (FFF) a un devoir d’exemplarité. Elle devrait jouer un rôle moteur dans la lutte contre l’homophobie. Mais ce sujet a toujours été tabou et, pour le moment, cette discrimination n’est pas traitée efficacement. Au-delà des sanctions, il faut instaurer un dialogue, pour mener un vrai travail au quotidien, avec les clubs, les clubs de supporters, le monde amateur… Un plan d’action courageux de la FFF, comme elle l’a fait contre le racisme, est indispensable. Elle pourrait s’appuyer sur ce que font aujourd’hui d’autres fédérations, plus petites et moins médiatisées, comme le roller derby ou le basket-ball, qui commencent à prendre conscience de cette problématique. L’homophobie est punie par la loi. Pourquoi ne l’est-elle pas par la FFF ? Les stades ne sont pas des zones de non-droit. »
![Homophobie dans les stades : faut-il sévir contre les supporters ? 3 Capture d’écran 2019 09 13 à 16.24.52](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/01/Capture-d’écran-2019-09-13-à-16.24.52-1024x762.jpg)
Nicolas Hourcade
Sociologue à l’École centrale de Lyon, spécialiste des supporters de football
« Il y a trente ans, une prise de conscience progressive a eu lieu, de la part des dirigeants du football comme des supporters, sur le fait qu’éructer des cris de singe à l’encontre d’un joueur noir est un acte raciste. Dans la polémique de ces dernières semaines, on a sanctionné sans avoir défini précisément ni l’objectif ni la méthode. Il devient urgent d’élaborer en commun, avec les associations LGBT et de supporters, des lignes infranchissables en matière d’homophobie. Cette réflexion a déjà été amorcée par certains groupes ultras* qui ont compris, depuis des années, que « pédé » était une insulte homophobe et l’ont abandonnée. Mais on ne peut pas sanctionner des supporters chantant « La ligue, on t’encule » quand la chanteuse féministe Angèle fredonne elle-même “Donc laisse-moi te chanter d’aller te faire en-mmhmmh” dans son tube Balance ton quoi – ce que certains supporters n’ont pas manqué de faire remarquer avec humour sur leurs banderoles.
Dans ce travail de longue haleine, les institutions peuvent s’appuyer sur le rôle d’acteur local et parfois social des groupes ultras : la fédération européenne des supporters mène un projet sur la bonne intégration des fans homosexuels dans les tribunes, et de nombreux groupes ultras travaillent localement avec des associations de lutte contre les discriminations. »
* Les ultras sont des supporters de foot qui soutiennent leur équipe, au sein d’un groupe organisé, de façon fanatique.
Mélissa Plaza
<em>Ancienne joueuse professionnelle <br> et doctorante en études de genre* </em>
« Nous n’avons pas à tolérer l’homophobie, les sanctions sont donc nécessaires. À ce titre, le fait que Noël Le Graët, président de la Fédération française de football, ait laissé entendre que les insultes homophobes sont moins graves que celles qui sont racistes est scandaleux. Même si ces insultes sont dites sans malice, par manque de connaissance de leur sens profond, les sanctions sont utiles parce qu’elles permettent une prise de conscience. En revanche, je ne suis pas sûre qu’il soit de la responsabilité de l’arbitre d’arrêter les matchs. Si on considère que les clubs sont responsables de leurs supporters, ce serait plutôt à eux de leur interdire temporairement le stade.<br> Il faut accompagner cette fermeté de campagnes de sensibilisation aux discriminations à l’encontre des LGBT dans le football, et cela passe aussi par la remise en question de la culture de la virilité. Bizarrement, c’est quand des supporters habitués au foot masculin viennent voir les matchs des femmes que fusent les insultes misogynes et les remarques sur le physique des joueuses. » <br> <strong>* Autrice de l’autobiographie <em>Pas pour les filles ?</em>, éd. Robert Laffont (2019).</strong>
Pierre Barthélemy
<em>Avocat de l’Association nationale <br> des supporters </em>
« La polémique s’est éteinte après que les instances du football, les représentants de supporters et les associations LGBT ont fini par faire ce qu’il aurait fallu commencer par faire : se rencontrer. Cela laisse un sentiment de gâchis : tant d’énergie perdue inutilement à caricaturer les supporters. Captifs d’arrêts de match improvisés dans un exercice de communication politique, ils y ont vu une stigmatisation supplémentaire.<br> Car il faut comprendre le contexte de répression croissante des supporters par les autorités. Outre, notamment, la recrudescence des interdictions de déplacement, ces derniers jours ont été marqués par la perquisition à 6 heures du matin et le placement en garde à vue de quatre supporters toulousains parce qu’ils auraient côtoyé d’autres supporters qui ont allumé des fumigènes au stade en août.<br> Le dialogue a facilement permis de constater que les supporters ne revendiquent aucun droit à discriminer ou à blesser en raison de l’orientation sexuelle. Si certains mots de leurs chants peuvent heurter, ils n’ont à porter le poids ni de l’homophobie de la société ni de la masculinité exacerbée du sport. La sensibilisation et le dialogue avec les associations LGBT doivent aussi prendre place dans les clubs et les centres de formation. »