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Homophobie dans les stades : faut-​il sévir contre les supporters ?

D’un côté, une ministre des Sports, Roxana Maracineanu, déter­mi­née à éra­di­quer des stades les slo­gans issus d’un champ lexi­cal homo­phobe. De l’autre, des sup­por­ters bai­gnant dans une culture com­mune faite d’esprit de pro­vo­ca­tion et de mas­cu­li­ni­té exa­cer­bée. Au milieu, des arrêts de matchs, des bis­billes entre le minis­tère et la Fédération fran­çaise de foot­ball et une ques­tion de fond : vu le niveau glo­bal d’homophobie dans le pays, est-​il utile de sanc­tion­ner des « encu­lés » lan­cés à la volée sans avoir pris le temps de décons­truire la por­tée de cette insulte dans les esprits ?

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Frédérique Vidal

Administratrice de la Fédération spor­tive gaie et les­bienne (FSGL)

« Ces sup­por­ters ne sont peut-​être pas homo­phobes, mais leurs pro­pos le sont. Mettons-​nous à la place de la per­sonne homo­sexuelle qui les entend : c’est dégra­dant et violent. Face à cette atmo­sphère plom­bante, je ne suis pas éton­née qu’il n’y ait pas plus de coming out de sportifs. 

En tant que pre­mière fédé­ra­tion spor­tive – par son nombre de licencié·es et sa média­ti­sa­tion – la Fédération fran­çaise de foot­ball (FFF) a un devoir d’exemplarité. Elle devrait jouer un rôle moteur dans la lutte contre l’homophobie. Mais ce sujet a tou­jours été tabou et, pour le moment, cette dis­cri­mi­na­tion n’est pas trai­tée effi­ca­ce­ment. Au-​delà des sanc­tions, il faut ins­tau­rer un dia­logue, pour mener un vrai tra­vail au quo­ti­dien, avec les clubs, les clubs de sup­por­ters, le monde ama­teur… Un plan d’action cou­ra­geux de la FFF, comme elle l’a fait contre le racisme, est indis­pen­sable. Elle pour­rait s’appuyer sur ce que font aujourd’hui d’autres fédé­ra­tions, plus petites et moins média­ti­sées, comme le rol­ler der­by ou le basket-​ball, qui com­mencent à prendre conscience de cette pro­blé­ma­tique. L’homophobie est punie par la loi. Pourquoi ne l’est-elle pas par la FFF ? Les stades ne sont pas des zones de non-droit. »

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© Capture d'écran Wikipedia

Nicolas Hourcade

Sociologue à l’École cen­trale de Lyon, spé­cia­liste des sup­por­ters de football

« Il y a trente ans, une prise de conscience pro­gres­sive a eu lieu, de la part des diri­geants du foot­ball comme des sup­por­ters, sur le fait qu’éructer des cris de singe à l’encontre d’un joueur noir est un acte raciste. Dans la polé­mique de ces der­nières semaines, on a sanc­tion­né sans avoir défi­ni pré­ci­sé­ment ni l’objectif ni la méthode. Il devient urgent d’élaborer en com­mun, avec les asso­cia­tions LGBT et de sup­por­ters, des lignes infran­chis­sables en matière d’homophobie. Cette réflexion a déjà été amor­cée par cer­tains groupes ultras* qui ont com­pris, depuis des années, que « pédé » était une insulte homo­phobe et l’ont aban­don­née. Mais on ne peut pas sanc­tion­ner des sup­por­ters chan­tant « La ligue, on t’encule » quand la chan­teuse fémi­niste Angèle fre­donne elle-​même “Donc laisse-​moi te chan­ter d’aller te faire en-​mmhmmh” dans son tube Balance ton quoi – ce que cer­tains sup­por­ters n’ont pas man­qué de faire remar­quer avec humour sur leurs banderoles.

Dans ce tra­vail de longue haleine, les ­ins­ti­tu­tions peuvent s’appuyer sur le rôle d’acteur local et par­fois social des groupes ultras : la fédé­ra­tion euro­péenne des sup­por­ters mène un pro­jet sur la bonne inté­gra­tion des fans homo­sexuels dans les tri­bunes, et de nom­breux groupes ultras tra­vaillent loca­le­ment avec des asso­cia­tions de lutte contre les discriminations. » 

* Les ultras sont des sup­por­ters de foot qui sou­tiennent leur équipe, au sein d’un groupe orga­ni­sé, de façon fanatique.

Mélissa Plaza

<em>Ancienne joueuse pro­fes­sion­nelle <br> et doc­to­rante en études de genre* </​em>

« Nous n’avons pas à tolé­rer l’homophobie, les sanc­tions sont donc néces­saires. À ce titre, le fait que Noël Le Graët, pré­sident de la Fédération fran­çaise de foot­ball, ait lais­sé entendre que les insultes homo­phobes sont moins graves que celles qui sont racistes est scan­da­leux. Même si ces insultes sont dites sans malice, par manque de connais­sance de leur sens pro­fond, les sanc­tions sont utiles parce qu’elles per­mettent une prise de conscience. En revanche, je ne suis pas sûre qu’il soit de la res­pon­sa­bi­li­té de l’arbitre ­d’arrêter les matchs. Si on consi­dère que les clubs sont res­pon­sables de leurs sup­por­ters, ce serait plu­tôt à eux de leur inter­dire tem­po­rai­re­ment le stade.<br> Il faut accom­pa­gner cette fer­me­té de cam­pagnes de sen­si­bi­li­sa­tion aux dis­cri­mi­na­tions à l’encontre des LGBT dans le foot­ball, et cela passe aus­si par la remise en ques­tion de la culture de la viri­li­té. Bizarrement, c’est quand des sup­por­ters habi­tués au foot mas­cu­lin viennent voir les matchs des femmes que fusent les insultes miso­gynes et les remarques sur le phy­sique des joueuses. » <br> <strong>* Autrice de l’autobiographie <em>Pas pour les filles ?</​em>, éd. Robert Laffont (2019).</strong>

Pierre Barthélemy

<em>Avocat de l’Association natio­nale <br> des sup­por­ters </​em>

« La polé­mique s’est éteinte après que les ins­tances du foot­ball, les repré­sen­tants de sup­por­ters et les asso­cia­tions LGBT ont fini par faire ce qu’il aurait fal­lu com­men­cer par faire : se ren­con­trer. Cela laisse un sen­ti­ment de gâchis : tant d’énergie per­due inuti­le­ment à cari­ca­tu­rer les sup­por­ters. Captifs d’arrêts de match impro­vi­sés dans un exer­cice de com­mu­ni­ca­tion poli­tique, ils y ont vu une stig­ma­ti­sa­tion supplémentaire.<br> Car il faut com­prendre le contexte de répres­sion crois­sante des sup­por­ters par les auto­ri­tés. Outre, notam­ment, la recru­des­cence des inter­dic­tions de dépla­ce­ment, ces der­niers jours ont été mar­qués par la per­qui­si­tion à 6 heures du matin et le pla­ce­ment en garde à vue de quatre sup­por­ters tou­lou­sains parce qu’ils auraient côtoyé d’autres sup­por­ters qui ont allu­mé des fumi­gènes au stade en août.<br> Le dia­logue a faci­le­ment per­mis de consta­ter que les sup­por­ters ne reven­diquent aucun droit à dis­cri­mi­ner ou à bles­ser en rai­son de l’orientation sexuelle. Si cer­tains mots de leurs chants peuvent heur­ter, ils n’ont à por­ter le poids ni de l’homophobie de la socié­té ni de la mas­cu­li­ni­té exa­cer­bée du sport. La sen­si­bi­li­sa­tion et le dia­logue avec les asso­cia­tions LGBT doivent aus­si prendre place dans les clubs et les centres de formation. » 

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