Une créatrice d’entreprise qui jongle avec brio entre biberons et business plan : bienvenue chez la « mumpreneuse » ! Un concept en vogue qui valorise l’entrepreneuriat des femmes, mais les cantonne surtout dans leur rôle de mère.
« Mampreneuse, le modèle qui triomphe », « Mompreneurs : obligées de réussir », « Vocation : mompreneur »… Difficile de passer à côté : depuis une dizaine d’années, les médias en pincent pour les « mumpreneuses », ces femmes qui créent leur entreprise à la faveur d’une maternité. Non pas une banale mère active, mais une sorte de Shiva du XXIe siècle qui répond aux appels d’offres d’une main et donne, de l’autre, son repas (fait maison) au petit dernier. Il faut reconnaître que tous les ingrédients étaient réunis pour le buzz médiatique. Primo, de belles histoires de femmes qui montent leur boîte, mais qui, fort heureusement, restent avant tout des mères dévouées. Deuxio, un joli néologisme anglo-saxon, né de la contraction des termes mum (maman) et entrepreneur, qui donne sa touche moderne à la chose. Tertio, un message très « start-up nation » : la création d’entreprise, c’est dans l’air du temps (merci la Macronie !), et ce serait même la solution par-fai-te pour concilier son boulot, ses mômes et les dix machines hebdomadaires qui vont avec.
Un nid de CSP++
Mais si la tendance des « mumpreneuses » a eu un tel écho, « c’est aussi parce qu’elle a été portée par des femmes qui avaient des attributs socio-économiques très favorisés », ajoute la sociologue Julie Landour, qui a consacré une thèse * à ces mumpreneuses. Parmi les fondatrices du réseau MOMpreneurs, créé en 2009, on retrouve ainsi Laure Baubigeat (issue d’une grande famille implantée dans la finance et l’industrie) ou Chloé Bolloré (belle-fille de Vincent et nièce de Martin Bouygues). Sauf que, passé l’effervescence (et le beau coup de pub) des débuts, certaines ont vite pris leurs distances avec cette étiquette… Comme Anne-Laure Constanza, ancienne présidente de MOMpreneurs, ou Marlène Schiappa, qui fut l’une des premières membres du réseau Mampreneures. « Ces femmes souhaitaient valoriser l’inventivité économique des femmes, et notamment des mères, mais elles se sont rendu compte qu’en mettant en avant la maternité et la féminité, elles n’étaient pas vraiment prises au sérieux », résume Julie Landour. Tiens donc !
Sexisme enrobé de modernité
Parmi les 39 % de femmes créatrices d’entreprises, certaines continuent pourtant de porter fièrement cette casquette. Une façon de se réinventer après avoir été essorées par le monde de l’entreprise, de rendre visible leur activité professionnelle et ainsi d’échapper à l’image – ici jugée peu glorieuse – de la « mère au foyer »… tout en valorisant tout de même leurs compétences maternelles. « Globalement, les mompreneurs se classent en haut de la hiérarchie parentale, devant les mères qui n’ont pas autant de temps à consacrer à leurs enfants, mais aussi devant les pères. Car pour elles, ce sont les femmes qui sont les mieux à même de répondre aux besoins des enfants. C’est très conservateur, au fond », poursuit la sociologue Julie Landour. Eh oui, sous son vernis de modernité, le concept de « mumpreneuse » fleure bon le vieux cliché sexiste. D’ailleurs, vous avez beaucoup entendu parler des « dadpreneurs », vous ? « Le terme prend beaucoup moins, observe l’économiste Anne Boring, qui dirige la chaire pour l’entrepreneuriat des femmes de Sciences Po. Tout simplement parce qu’un homme, même père de famille, va être reconnu en tant qu’entrepreneur sans qu’on ait besoin de créer une histoire autour de ça. » Stéréotype, quand tu nous tiens…
* « S’engager dans la parentalité et créer son activité : l’entreprise paradoxale des Mompreneurs en France (2008−2014) », thèse soutenue en 2015.