Lauren Bastide : « Restreindre l'accès public aux femmes musul­manes por­tant le voile est un geste qui mani­feste une vis­cé­rale détes­ta­tion des femmes »

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© Marie Rouge/​Editions Allary

"Bien sûr, ça n’est pas la pre­mière fois qu’ils font le coup. Ça fait dix-​sept ans – depuis la loi de 2004 sur les signes reli­gieux à l’école – que cette pos­si­bi­li­té est agi­tée par le légis­la­teur. Bien sûr, l’amendement sera inva­li­dé par le Conseil consti­tu­tion­nel, ou reje­té par l’Assemblée. N’empêche, comme à chaque fois, je suis écœu­rée de consta­ter que la France est le seul pays au monde qui, sous cou­vert de lut­ter contre les « sépa­ra­tismes », fabrique de l’exclusion. 

Le 30 mars, le Sénat a adop­té un amen­de­ment au pro­jet de loi « sur le res­pect des prin­cipes de la République » visant à « inter­dire le port osten­sible de signes reli­gieux pour les accom­pa­gna­teurs de sor­ties sco­laires ». Ni l’islam ni les femmes n’y sont nom­mées, mais on sait qui est visé : les femmes musul­manes por­tant un voile. 

La socio­logue Hanane Karimi, ensei­gnante et cher­cheuse à l’université de Strasbourg, que j’ai eue au télé­phone très récem­ment, parle de « l’effet d’itération » que pro­duit l’occupation répé­tée de l’espace média­tique par le sujet. « On ne parle plus du voile comme on en par­lait il y a vingt ans, constate-​t-​elle. Les ins­tances poli­tiques, à force d’associer voile et ter­ro­risme, voile et sépa­ra­tisme, ont réus­si à dépla­cer la conver­sa­tion. » Hanane Karimi explique com­ment « par capil­la­ri­té », la « laï­ci­té », ini­tia­le­ment pen­sée comme la neu­tra­li­té de l’État, « s’étend abu­si­ve­ment à un cercle de plus en plus large », au-​delà des seul·es agent·es du ser­vice public. Les élèves, les parents d’élèves, les mineures dans l’espace public, les nageuses dans les pis­cines muni­ci­pales… « Bientôt, cela va aller de soi que le voile est inter­dit dans l’ensemble de l’espace public. Cette répé­ti­tion crée une las­si­tude, déplore-​t-​elle. Les ripostes sont peu visibles, com­pa­rées à la mobi­li­sa­tion aux États-​Unis autour du hash­tag #HandsOffMyHijab. (“Touche pas à mon hijab”). » J’ai aus­si par­lé avec Fatima Ouassak, poli­to­logue et porte-​parole du syn­di­cat de parents le Front de mères. Dans un texte de 2017 por­tant sur les consé­quences qu’aurait l’adoption d’un tel amen­de­ment pour les enfants des mères concer­nées, elle écri­vait : « L’enfant éprouve de la honte pour lui-​même, la honte d’être l’enfant d’une mère qui n’est pas nor­male. » Et cette honte est un outil poli­tique d’exclusion. 

Sincèrement, j’aimerais par­ler d’autre chose. Cette « ques­tion du voile » devrait pou­voir se régler en un constat : les femmes s’habillent comme elles veulent. Mais j’en parle parce que Causette est un jour­nal lu par des fémi­nistes, et que je sais que par­mi elles·eux, certain·es conti­nuent de pen­ser que la res­tric­tion de l’accès à l’espace public aux femmes musul­manes por­tant le voile est un geste qui va dans le sens de la lutte contre le sexisme. Je me dis qu’ici, j’ai une chance de convaincre qu’à l’inverse, il s’agit selon moi d’un geste qui mani­feste d’une vis­cé­rale détes­ta­tion des femmes. Pour le com­prendre, je vou­drais vous encou­ra­ger, vous qui par­cou­rez ces lignes, à ne pas vous conten­ter des lec­tures sim­plistes de cette mesure. Et à aller plus loin en ten­dant l’oreille aux voix des per­sonnes concer­nées, dont je déplore l’absence dans les grands médias. Ainsi, je vous encou­rage à lire La Puissance des mères, de Fatima Ouassak, et à écou­ter Hanane Karimi, notam­ment inter­viewée ce mois-​ci dans l’excellent pod­cast Dialna. Et sur­tout à res­ter vigilant·es, car cette mon­tée de la haine, à un an de l’élection pré­si­den­tielle, n’augure déci­dé­ment rien de bon."

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