![Lauren Bastide : « Restreindre l'accès public aux femmes musulmanes portant le voile est un geste qui manifeste une viscérale détestation des femmes » 1 lauren bastide marie rouge allary editions 3 1 a](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/lauren-bastide-marie-rouge-allary-editions-3-1_a-682x1024.jpg)
"Bien sûr, ça n’est pas la première fois qu’ils font le coup. Ça fait dix-sept ans – depuis la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école – que cette possibilité est agitée par le législateur. Bien sûr, l’amendement sera invalidé par le Conseil constitutionnel, ou rejeté par l’Assemblée. N’empêche, comme à chaque fois, je suis écœurée de constater que la France est le seul pays au monde qui, sous couvert de lutter contre les « séparatismes », fabrique de l’exclusion.
Le 30 mars, le Sénat a adopté un amendement au projet de loi « sur le respect des principes de la République » visant à « interdire le port ostensible de signes religieux pour les accompagnateurs de sorties scolaires ». Ni l’islam ni les femmes n’y sont nommées, mais on sait qui est visé : les femmes musulmanes portant un voile.
La sociologue Hanane Karimi, enseignante et chercheuse à l’université de Strasbourg, que j’ai eue au téléphone très récemment, parle de « l’effet d’itération » que produit l’occupation répétée de l’espace médiatique par le sujet. « On ne parle plus du voile comme on en parlait il y a vingt ans, constate-t-elle. Les instances politiques, à force d’associer voile et terrorisme, voile et séparatisme, ont réussi à déplacer la conversation. » Hanane Karimi explique comment « par capillarité », la « laïcité », initialement pensée comme la neutralité de l’État, « s’étend abusivement à un cercle de plus en plus large », au-delà des seul·es agent·es du service public. Les élèves, les parents d’élèves, les mineures dans l’espace public, les nageuses dans les piscines municipales… « Bientôt, cela va aller de soi que le voile est interdit dans l’ensemble de l’espace public. Cette répétition crée une lassitude, déplore-t-elle. Les ripostes sont peu visibles, comparées à la mobilisation aux États-Unis autour du hashtag #HandsOffMyHijab. (“Touche pas à mon hijab”). » J’ai aussi parlé avec Fatima Ouassak, politologue et porte-parole du syndicat de parents le Front de mères. Dans un texte de 2017 portant sur les conséquences qu’aurait l’adoption d’un tel amendement pour les enfants des mères concernées, elle écrivait : « L’enfant éprouve de la honte pour lui-même, la honte d’être l’enfant d’une mère qui n’est pas normale. » Et cette honte est un outil politique d’exclusion.
Sincèrement, j’aimerais parler d’autre chose. Cette « question du voile » devrait pouvoir se régler en un constat : les femmes s’habillent comme elles veulent. Mais j’en parle parce que Causette est un journal lu par des féministes, et que je sais que parmi elles·eux, certain·es continuent de penser que la restriction de l’accès à l’espace public aux femmes musulmanes portant le voile est un geste qui va dans le sens de la lutte contre le sexisme. Je me dis qu’ici, j’ai une chance de convaincre qu’à l’inverse, il s’agit selon moi d’un geste qui manifeste d’une viscérale détestation des femmes. Pour le comprendre, je voudrais vous encourager, vous qui parcourez ces lignes, à ne pas vous contenter des lectures simplistes de cette mesure. Et à aller plus loin en tendant l’oreille aux voix des personnes concernées, dont je déplore l’absence dans les grands médias. Ainsi, je vous encourage à lire La Puissance des mères, de Fatima Ouassak, et à écouter Hanane Karimi, notamment interviewée ce mois-ci dans l’excellent podcast Dialna. Et surtout à rester vigilant·es, car cette montée de la haine, à un an de l’élection présidentielle, n’augure décidément rien de bon."