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© Reproductive Health Supplies Coalition

Le steal­thing, une vio­lence sexuelle répan­due mais tou­jours banalisée

En France, une femme sur dix serait vic­time du retrait du pré­ser­va­tif non consen­ti, une vio­lence sexuelle que l’on peine pour­tant à légi­ti­mer et à défi­nir juridiquement.

C’est une pra­tique dont on connaît à peine le nom, si ce n’est en anglais : le steal­thing. Derrière ce mot qui évoque un acte “fur­tif” et “dis­cret”, se cache le retrait non consen­ti de pré­ser­va­tif pen­dant un acte sexuel. Une forme de vio­lence sexuelle loin d’être rare, qui n’est pas encore répri­mée en France mais contre laquelle cer­tains Etats amé­ri­cains, l’Australie, le Canada, la Grande-​Bretagne et la Suisse ont légiféré. 

Selon une enquête réa­li­sée par le col­lec­tif fémi­niste Nous Toutes en mars 2020 auprès de 100 000 femmes, 10% des femmes inter­ro­gées déclarent que leur par­te­naire a déjà enle­vé un pré­ser­va­tif avant la fin du rap­port sexuel « mal­gré leur désac­cord ». Aux États-​Unis, la cher­cheuse Alexandra Brodsky pro­duit en 2015 un chiffre simi­laire : sur 150 000 femmes inter­ro­gées sur 27 cam­pus amé­ri­cains, 12% disent avoir été vic­times de stealthing. 

Lire aus­si l Au Canada, l’absence et le retrait du pré­ser­va­tif sans consen­te­ment pen­dant l’acte sont désor­mais des crimes sexuels

Mais alors que les dis­cus­sions autour du consen­te­ment dans le sexe s’imposent et se libèrent petit à petit, le steal­thing reste peu connu, ou peu abor­dé en tant que vio­lence. Car la zone grise au sein de laquelle il a lieu (le consen­te­ment est effec­ti­ve­ment don­né à l’origine du rap­port sexuel, mais pas res­pec­té dans les condi­tions dans les­quelles il a été don­né) rend dif­fi­cile son enca­dre­ment juri­dique, et pro­voque des res­sen­tis qui dif­fèrent chez les victimes. 

Entre humi­lia­tion et culpabilité 

À 44 ans, Alba, pro­fes­seure de chant d’origine espa­gnole vivant à Paris, a elle-​même eu du mal à qua­li­fier ce qu’elle raconte avoir vécu. Le 9 sep­tembre der­nier, elle ren­contre un homme sur Tinder, de pas­sage à Paris. Ils se découvrent de nom­breux points com­muns, dans leurs héri­tages fami­liaux mais aus­si dans leurs enga­ge­ments : ils militent tous les deux au sein du Parti com­mu­niste, et au sein du même syn­di­cat. « Il y avait quelque chose de beau dans cette ren­contre. Il tenait un dis­cours mili­tant et fémi­niste… Je me sen­tais en confiance », se sou­vient Alba. 

Après un pre­mier rendez-​vous dans un café, ils se rejoignent dans le Airbnb loué par Mathieu1 à Paris. « Quand on en vient à faire l’amour, il me dit ne t’inquiète pas, j’ai des pré­ser­va­tifs », relate-​t-​elle. Durant le rap­port, elle réa­lise que son par­te­naire n’en porte plus. « J’ai été prise d’un accès de panique et de colère, je lui ai crié des­sus », se remémore-​t-​elle, les mains cris­pées autour de son café. « Il me dit alors avec beau­coup de légè­re­té qu’il l’a enle­vé devant moi. Une image me revient vague­ment en tête. Mais j’aurais eu besoin de mots, qu’il me demande mon avis », explique Alba. Elle décrit aujourd’hui « l’impression d’un abus de confiance. Je me suis sen­tie sale, pas respectée ». 

Gaël1, jeune homme gay de 23 ans et pro­fes­seur de danse à Lyon, témoigne d’une expé­rience simi­laire durant un rap­port sexuel avec un coup d’un soir, ami d’ami ren­con­tré dans une soi­rée et revu après. « J’ai sen­ti lors de l’éjaculation qu’il avait enle­vé le pré­ser­va­tif. Lorsque je l’ai confron­té, il m’a dit que ça l’avait “saou­lé” parce qu’il avait eu peur de ne pas “y arri­ver” avec une capote, explique Gaël. Je lui avais pour­tant très clai­re­ment dit que j’exigeais de mettre un pré­ser­va­tif. Je me suis sen­ti humi­lié parce que mon sou­hait n’avait pas été pris en compte, et uti­li­sé comme un objet. » 

Gaël comme Alba décrivent un sen­ti­ment de culpa­bi­li­té. « Je m’en suis vou­lu de ne pas avoir vu les signes. Il avait déjà rechi­gné à mettre le pré­ser­va­tif au début du rap­port », se sou­vient le pre­mier. Alba dit de son côté s’être sen­tie res­pon­sable. « Je me suis dit que je menais une vie trop légère, que je n’aurais pas dû accor­der ma confiance comme cela à un homme. Ça m'a fait réa­li­ser que je ne peux bais­ser la garde et me détendre, même avec les mecs sym­pas et qui se disent fémi­nistes », développe-​t-​elle. 

L’angoisse de la mala­die sexuel­le­ment transmissible 

Des cas de steal­thing, le doc­teur Sophie Florence en entend « au moins une fois par semaine en consul­ta­tion » au sein du centre de Santé sexuelle d'Hôtel Dieu. Cette struc­ture dépen­dante de l’APHP reçoit plus de 16 000 patient·es chaque année. « Certaines per­sonnes vivent le steal­thing comme une agres­sion sexuelle ou un viol et en sont trau­ma­ti­sées, d’autres non. Environ 20% d’entre elles ont besoin d’un accom­pa­gne­ment psy­cho­lo­gique », éta­blit la médecin. 

En paral­lèle ou indé­pen­dam­ment du sen­ti­ment d’agression peut s’ajouter la peur d’une gros­sesse, ou d’une mala­die sexuel­le­ment trans­mis­sible. « Les vic­times viennent la plu­part du temps pour se faire dépis­ter et béné­fi­cier d’un trai­te­ment post-​exposition au VIH, qui doit se prendre dans les 48 heures, explique Sophie Florence. Beaucoup sont extrê­me­ment angois­sées par ce risque ». L’attente est longue : six semaines sont néces­saires avant de rece­voir les résul­tats des tests finaux. 

Au tri­bu­nal, plai­der le viol par surprise ?

En France, la loi n’a pas encore fait juris­pru­dence en condam­nant clai­re­ment cette pra­tique comme une agres­sion sexuelle ou un viol. Mais selon Antonin Paillet, avo­cat au bar­reau de Seine-​Saint-​Denis spé­cia­li­sé dans les vio­lences sexuelles, « le steal­thing peut et devrait être qua­li­fié par la loi de viol par sur­prise2. Il y a certes un consen­te­ment à l’origine, mais le prin­cipe même du steal­thing est d’agir par sur­prise en bri­sant les moda­li­tés du consen­te­ment initial. »

Particulièrement dif­fi­cile à prou­ver à moins d’un aveu, « les cas de steal­thing ne passent sou­vent pas les portes du com­mis­sa­riat », regrette Antonin Paillet. S’il a envi­sa­gé une plainte quelque temps après l'événement, Gaël a rapi­de­ment renon­cé. « J’ai pen­sé qu’on ne me pren­drait pas au sérieux, puisqu’à la base je dési­rais ce rap­port sexuel. Et puis, je ne savais même pas si cela pou­vait ren­trer dans le cadre d’une plainte », constate-​t-​il. Alba, elle, a déci­dé de dépo­ser une main cou­rante contre Mathieu, mal­gré ses excuses. « Je vou­lais que ça soit ins­crit quelque part, que mon expé­rience existe » murmure-t-elle. 

  1. Le pré­nom a été modi­fié[][]
  2. En France, la défi­ni­tion légale du viol est un acte sexuel com­mis avec vio­lence, contrainte, menace ou sur­prise.[]
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