Si, pour une mère, boire de l’alcool pendant sa grossesse constitue un risque fondamental pour le fœtus, des études attestent que la consommation par le père avant même la conception de l’embryon peut aussi être dangereuse.
"Zéro alcool pendant la grossesse". Le message est clair, concis et uniquement réservé aux femmes enceintes. Depuis la mise au jour du syndrome d’alcoolisation fœtale en 1968 par un pédiatre français, la majorité des études et des recommandations de santé publique se sont orientées vers les futures mères, jugées seules responsables de cette pathologie, les hommes étant de leur côté épargnés. Selon la documentation existante, la consommation de boissons alcoolisées par les femmes enceintes peut provoquer un syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) ou un ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (Etcaf), engendrant chez l’enfant des retards de croissance, des malformations du crâne et du visage, ou encore des déficiences neurologiques.
Pourtant, une récente étude apporte de nouvelles informations. Des chercheur·euses de l’université A & M du Texas ont démontré que l’exposition du père à l’alcool avant la conception de l’embryon était également associée à un risque accru de SAF. "Nous avons constaté que les expositions masculines entraînent en fait certaines différences craniofaciales beaucoup plus fortes que les expositions maternelles, donc cet effet de programmation qui passe par le sperme a un effet profond sur l’organisation, la croissance et la proportion des différents traits du visage", conclut ainsi Michael Golding, coauteur de l’étude publiée dans le Journal of Clinical Investigation. En 2014 déjà, des travaux de l’université de Chicago mettaient en évidence que le binge-drinking des adolescent·es des deux sexes, et ce même bien avant la conception, avait des effets nocifs sur leur future progéniture. En 2017, c’est une méta-analyse qui soulignait l’impact significatif de la consommation d’alcool par les futurs pères sur la morphologie de leurs spermatozoïdes. En 2019 enfin, une revue de littérature scientifique concluait que l’ingestion d’alcool chez le père pendant la période préconceptionnelle entraînait plus de risques d’anomalies cardiaques pour le futur bébé que celle de la mère. "Ça fait des années que l’on sait que la consommation préconceptionnelle d’alcool, chez la mère comme chez le père, peut avoir des répercussions sur la descendance, constate Mickael Naassila, directeur de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances à l’Inserm. L’alcool peut modifier chimiquement les gènes au niveau des spermatozoïdes, entraînant ainsi des anomalies transmises dans l’œuf puis dans l’embryon, le fœtus et donc à l’enfant".
Impliquer les futurs papas
Le président de la Société française d’alcoologie rappelle toutefois le manque de données sur le sujet. À l’image de la récente étude de l’université du Texas, réalisée sur des souris, les recherches sont en effet souvent menées sur les animaux et peu sur les êtres humains. Ces lacunes dans les données publiées freinent ainsi les organismes de santé publique à s’engager sur ce terrain. "Ce sont des sujets de recherche émergents, mais il est encore trop tôt pour faire une grande recommandation officielle qui inciterait les futurs pères à s’abstenir de consommer de l’alcool en période de préconception, justifie Viêt Nguyen Thanh, responsable de l’unité addictions chez Santé publique France. En revanche, c’est un champ de recherches qui pourrait être assez porteur, notamment pour impliquer de façon active les futurs pères et pour créer une solidarité autour de la femme enceinte". Si les campagnes de sensibilisation à l’alcoolisation fœtale commencent en effet à englober l’entourage de la future mère, c’est pourtant elle qui reste principalement ciblée par les messages de prévention. "Il faut impliquer le père directement, insiste Mickael Naassila. La sensibilisation doit se faire en amont, en introduisant l’idée qu’un bébé se fait à deux et que l’hygiène de vie du père, y compris sa consommation d’alcool, compte aussi dans la santé de l’enfant à naître". Plusieurs pistes sont avancées par les chercheur·euses sensibles à cette problématique, comme la modification du pictogramme d’avertissement sur les bouteilles d’alcool, afin d’y représenter les deux parents, ou des messages incitant les futurs géniteur·rices à arrêter de boire dès le projet d’enfant.
"Ne pas consommer pendant les trois mois avant la conception"
Pour aborder cette coresponsabilité en amont, l’association SAF France a lancé, il y a cinq ans, des interventions dans les collèges et lycées de La Réunion et prévoit d’étendre ses actions en métropole. "Il faut en parler à un âge précoce car le 'parent pauvre', c’est la prévention et la sensibilisation dès le plus jeune âge auprès du grand public, milite Denis Lamblin, pédiatre à la retraite et président de l’association. Nous essayons d’expliquer aux jeunes hommes pourquoi ce problème d’alcoolisation fœtale les concerne aussi et de les orienter, par exemple en conseillant de ne pas consommer pendant les trois mois avant la conception [la durée de la spermatogenèse, ndlr]". L’association Vivre avec le SAF participe quant à elle à des formations du personnel médical, des sages-femmes aux auxiliaires de puériculture, dans plusieurs régions de France. "Ces informations doivent percoler dans le grand public et ça se fait aussi via les professionnels de santé, signale Catherine Metelski, sa présidente. Dans mes conférences auprès des futurs soignants, j’explique l’état des connaissances actuelles sur le rôle du père et je précise qu’il est important de déculpabiliser les mères, en leur rappelant que le père peut aussi être responsable". Les associations s’en remettent à l’engagement politique de l’État pour accélérer les choses. Santé publique France a réalisé une grande communication sur le SAF à l’occasion de la Journée mondiale sur le sujet le 9 septembre dernier.
UN SYNDROME ET DES CHIFFRES
Chaque année dans l’Hexagone, un enfant sur mille naît avec un syndrome d’alcoolisation fœtale complet et un enfant sur cent présente un trouble lié à l’alcoolisation fœtale. Près de 500 000 Français·es vivraient ainsi avec des symptômes variés liés à la consommation d’alcool par les parents avant la conception ou pendant la grossesse. Aucun traitement n’existe pour soigner ces troubles,seul un diagnostic précoce permet une prise en charge adaptée.