Futurs papas : boire ou pro­créer, il faut choisir

146 SAF des peres 2 A
© Severine Assous pour Causette

Si, pour une mère, boire de l’alcool pen­dant sa gros­sesse consti­tue un risque fon­da­men­tal pour le fœtus, des études attestent que la consom­ma­tion par le père avant même la concep­tion de l’embryon peut aus­si être dangereuse.

"Zéro alcool pen­dant la gros­sesse". Le mes­sage est clair, concis et uni­que­ment réser­vé aux femmes enceintes. Depuis la mise au jour du syn­drome d’alcoolisation fœtale en 1968 par un pédiatre fran­çais, la majo­ri­té des études et des recom­man­da­tions de san­té publique se sont orien­tées vers les futures mères, jugées seules res­pon­sables de cette patho­lo­gie, les hommes étant de leur côté épar­gnés. Selon la docu­men­ta­tion exis­tante, la consom­ma­tion de bois­sons alcoo­li­sées par les femmes enceintes peut pro­vo­quer un syn­drome d’alcoolisation fœtale (SAF) ou un ensemble des troubles cau­sés par l’alcoolisation fœtale (Etcaf), engen­drant chez l’enfant des retards de crois­sance, des mal­for­ma­tions du crâne et du visage, ou encore des défi­ciences neurologiques.

Pourtant, une récente étude apporte de nou­velles infor­ma­tions. Des chercheur·euses de l’université A & M du Texas ont démon­tré que l’exposition du père à l’alcool avant la concep­tion de l’embryon était éga­le­ment asso­ciée à un risque accru de SAF. "Nous avons consta­té que les expo­si­tions mas­cu­lines entraînent en fait cer­taines dif­fé­rences cra­nio­fa­ciales beau­coup plus fortes que les expo­si­tions mater­nelles, donc cet effet de pro­gram­ma­tion qui passe par le sperme a un effet pro­fond sur l’organisation, la crois­sance et la pro­por­tion des dif­fé­rents traits du visage", conclut ain­si Michael Golding, coau­teur de l’étude publiée dans le Journal of Clinical Investigation. En 2014 déjà, des tra­vaux de l’université de Chicago met­taient en évi­dence que le binge-​drinking des adolescent·es des deux sexes, et ce même bien avant la concep­tion, avait des effets nocifs sur leur future pro­gé­ni­ture. En 2017, c’est une méta-​analyse qui sou­li­gnait l’impact signi­fi­ca­tif de la consom­ma­tion d’alcool par les futurs pères sur la mor­pho­lo­gie de leurs sper­ma­to­zoïdes. En 2019 enfin, une revue de lit­té­ra­ture scien­ti­fique concluait que l’ingestion d’alcool chez le père pen­dant la période pré­con­cep­tion­nelle entraî­nait plus de risques d’anomalies car­diaques pour le futur bébé que celle de la mère. "Ça fait des années que l’on sait que la consom­ma­tion pré­con­cep­tion­nelle d’alcool, chez la mère comme chez le père, peut avoir des réper­cus­sions sur la des­cen­dance, constate Mickael Naassila, direc­teur de recherche sur l’alcool et les phar­ma­co­dé­pen­dances à l’Inserm. L’alcool peut modi­fier chi­mi­que­ment les gènes au niveau des sper­ma­to­zoïdes, entraî­nant ain­si des ano­ma­lies trans­mises dans l’œuf puis dans l’embryon, le fœtus et donc à l’enfant".

Impliquer les futurs papas

Le pré­sident de la Société fran­çaise d’alcoologie rap­pelle tou­te­fois le manque de don­nées sur le sujet. À l’image de la récente étude de l’université du Texas, réa­li­sée sur des sou­ris, les recherches sont en effet sou­vent menées sur les ani­maux et peu sur les êtres humains. Ces lacunes dans les don­nées publiées freinent ain­si les orga­nismes de san­té publique à s’engager sur ce ter­rain. "Ce sont des sujets de recherche émer­gents, mais il est encore trop tôt pour faire une grande recom­man­da­tion offi­cielle qui inci­te­rait les futurs pères à s’abstenir de consom­mer de l’alcool en période de pré­con­cep­tion, jus­ti­fie Viêt Nguyen Thanh, res­pon­sable de l’unité addic­tions chez Santé publique France. En revanche, c’est un champ de recherches qui pour­rait être assez por­teur, notam­ment pour impli­quer de façon active les futurs pères et pour créer une soli­da­ri­té autour de la femme enceinte". Si les cam­pagnes de sen­si­bi­li­sa­tion à l’alcoolisation fœtale com­mencent en effet à englo­ber l’entourage de la future mère, c’est pour­tant elle qui reste prin­ci­pa­le­ment ciblée par les mes­sages de pré­ven­tion. "Il faut impli­quer le père direc­te­ment, insiste Mickael Naassila. La sen­si­bi­li­sa­tion doit se faire en amont, en intro­dui­sant l’idée qu’un bébé se fait à deux et que l’hygiène de vie du père, y com­pris sa consom­ma­tion d’alcool, compte aus­si dans la san­té de l’enfant à naître". Plusieurs pistes sont avan­cées par les chercheur·euses sen­sibles à cette pro­blé­ma­tique, comme la modi­fi­ca­tion du pic­to­gramme d’avertissement sur les bou­teilles d’alcool, afin d’y repré­sen­ter les deux parents, ou des mes­sages inci­tant les futurs géniteur·rices à arrê­ter de boire dès le pro­jet d’enfant.

"Ne pas consom­mer pen­dant les trois mois avant la conception"

Pour abor­der cette cores­pon­sa­bi­li­té en amont, l’association SAF France a lan­cé, il y a cinq ans, des inter­ven­tions dans les col­lèges et lycées de La Réunion et pré­voit d’étendre ses actions en métro­pole. "Il faut en par­ler à un âge pré­coce car le 'parent pauvre', c’est la pré­ven­tion et la sen­si­bi­li­sa­tion dès le plus jeune âge auprès du grand public, milite Denis Lamblin, pédiatre à la retraite et pré­sident de l’association. Nous essayons d’expliquer aux jeunes hommes pour­quoi ce pro­blème d’alcoolisation fœtale les concerne aus­si et de les orien­ter, par exemple en conseillant de ne pas consom­mer pen­dant les trois mois avant la concep­tion [la durée de la sper­ma­to­ge­nèse, ndlr]". L’association Vivre avec le SAF par­ti­cipe quant à elle à des for­ma­tions du per­son­nel médi­cal, des sages-​femmes aux auxi­liaires de pué­ri­cul­ture, dans plu­sieurs régions de France. "Ces infor­ma­tions doivent per­co­ler dans le grand public et ça se fait aus­si via les pro­fes­sion­nels de san­té, signale Catherine Metelski, sa pré­si­dente. Dans mes confé­rences auprès des futurs soi­gnants, j’explique l’état des connais­sances actuelles sur le rôle du père et je pré­cise qu’il est impor­tant de décul­pa­bi­li­ser les mères, en leur rap­pe­lant que le père peut aus­si être res­pon­sable". Les asso­cia­tions s’en remettent à l’engagement poli­tique de l’État pour accé­lé­rer les choses. Santé publique France a réa­li­sé une grande com­mu­ni­ca­tion sur le SAF à l’occasion de la Journée mon­diale sur le sujet le 9 sep­tembre dernier.

UN SYNDROME ET DES CHIFFRES

Chaque année dans l’Hexagone, un enfant sur mille naît avec un syn­drome d’alcoolisation fœtale com­plet et un enfant sur cent pré­sente un trouble lié à l’alcoolisation fœtale. Près de 500 000 Français·es vivraient ain­si avec des symp­tômes variés liés à la consom­ma­tion d’alcool par les parents avant la concep­tion ou pen­dant la gros­sesse. Aucun trai­te­ment n’existe pour soi­gner ces troubles,seul un diag­nos­tic pré­coce per­met une prise en charge adaptée.

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