2021, son féminisme grandissant et ses applis de dating auraient enfin réussi a libérer les jeunes célibataires de la pression de devoir se mettre en couple. Mais dans les faits, c'est un peu moins idyllique que ça, et une autre injonction apparaît : celle de devoir multiplier les expériences.
![Normes : où en est-on de la pression pour se mettre en couple chez les 18-25 ans? 1 man and woman in park ride](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/04/oybhnt8xlzo-682x1024.jpg)
Ils et elles ont vu leurs parents ou ceux de leurs ami·es divorcer, les familles se recomposer, les codes des genres, des orientations sexuelles et des relations sentimentales se démultiplier grâce au mouvement queer. Les jeunes adultes vivant en France devraient théoriquement avoir un tapis rouge de liberté déroulé devant leurs pas dans la vie sexuelle et sentimentale – du moins, une fois sorti·es de la pandémie de Covid-19. Certes, il demeure quelques irréductibles enthousiastes de la vie en duo, convaincu·es qu’une vie hors couple ne peut être heureuse, mais la société ne stigmatise plus comme avant le célibat. L’âge du mariage a reculé, la durée des études s’est allongée, bref, les normes ont changé. Mais dans les faits ? Les enquêtes sociologiques qui s'intéressent au célibat chez les moins de 26 ans sont malheureusement rares. A la question du pourquoi, Philippe Brenot, psychiatre, thérapeute de couple et auteur de L'incroyable histoire du sexe, apporte un premier élément de réponse : « On ne parle pas autant de célibat dans la tranche d’âge des 18 – 25 ans parce que c'est le moment des rencontres. On considère que c'est un peu logique que beaucoup ne soient pas en couple. »
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La seule étude disponible sur le sujet a été mené en 2019 par l'agence de conseils Morar HPI et l’application de rencontre Tinder. Les chiffres sont assez parlants : 74% des jeunes entre 18 et 25 ans ayant répondu à l'enquête assument leur célibat. Pour l'expliquer, 44 % avancent le souhait de gagner un sentiment d'indépendance, 23 % d'empowerment et 17 % d'aventure. Cette aspiration à la liberté est encore plus forte chez les jeunes femmes : pour 51 % d’entre elles, l'idée d'indépendance est indissociable du célibat, alors que seuls 38 % des hommes pensent de même. Paradoxalement, la pression du couple serait pourtant plus pesante chez les jeunes femmes que chez les jeunes hommes.
De Bridget à Barney
En l’espace d’une quinzaine d’années, l’image du célibataire a beaucoup évolué. Les quadras d’aujourd’hui avaient comme référence Bridget Jones, trentenaire qui désespère de ne pas trouver l’homme de sa vie et doit faire face à l’inquiétude de sa mère de la voir finir « vieille fille ». Mélanie Mâge, fondatrice du blog LesBridgets.com dont le nom fait directement référence au Journal de Bridget Jones, comédie phare de 2001, confirme : « À l'époque, la figure de référence, c’était Bridget Jones. Puis il y a eu un changement dans la culture pop, qui valorise de plus en plus les célibataires, notamment grâce à des rôles où ils ne sont pas caricaturés comme des personnes en quête du grand amour. Le personnage de Barney Stinson dans How I Met Your Mother, par exemple, a apporté l’image du célibataire cool et heureux de sa situation. »
Certes, mais c’est un homme. Et dans ce domaine encore, ces messieurs n’ont jamais eu la même pression que les femmes. En témoignent deux symboles : la « vieille fille » et la Catherinette. La première est peut-être moins présente qu’il y a quelques années, mais son spectre sexiste plane toujours. Peu de femmes souhaitent finir « vieille fille ». Il faut dire que son portrait ne fait pas rêver : femme vivant seule parce qu’elle n’a pas su trouver ou « garder » d’homme, elle trompe son aigreur et son désespoir avec quelques chats. Sans doute a‑t-elle été, dans sa jeunesse, Catherinette. Les principes de cette tradition sont simples : chaque 25 novembre, les jeunes femmes de 25 ans toujours célibataires devaient, selon les régions, les époques et les familles, revêtir un chapeau aux couleurs jaune et vert, voire même participer à un défilé… De quoi ostraciser celles perçues alors comme vieilles célibataires, et, pourquoi pas, leur trouver un prétendant pour l'occasion. Depuis quelques années, ouf, la coutume se perd. Seule la petite ville de Vesoul en Haute-Saône s'évertue à la perpétrer, comme sourde oreille aux critiques des associations féministes.
"Alors, t’as un amoureux ?"
Si la société semble peu à peu avoir accepté le fait que le célibat peut être heureux, c’est souvent moins une évidence chez les proches. Là-dessus, les avis sont unanimes, ce sont eux les premiers vecteurs de pression. Pour Amaëlle, 23 ans, célibataire de 19 à 22 ans, l'injonction vient de tout côté : de la famille et ses questions gentiment inquisitrices (« Alors, t’as un amoureux ? »), aux ami·es beaucoup moins subtil·es (« tu n'as pas couché depuis combien de temps ? »). Alors elle répond, « toujours avec ce sourire un peu navré, comme si je m’excusais de ne pas rentrer dans les clous. » Dans le fond pourtant, elle n'est pas désolée. Car ce célibat, elle l'a choisi. Encore mieux : elle le savoure. « Après presque quatre ans de relation, j’avais besoin de me retrouver, de prendre du temps pour moi et de voir que je pouvais vivre autrement qu’à travers quelqu’un. C’était très clair dans ma tête. Mais c’est pour les autres que ça avait l’air assez incompréhensible. »
Pourquoi alors une telle pression des proches ? Jean-Claude Kaufmann sociologue, offre un premier élément de réponse : « Il y a une théorie officielle qui est "chacun fait ce qu’il veut". Mais dans les faits, il y a quand même ce qu'on appelle des normes discrètes : elles ne sont pas obligatoires, mais elles donnent des références collectives qui peuvent se traduire en pression. Cela dépend du contexte dans lequel on est. » Et puis il y a aussi la peur des parents de ne pas voir la filiation perdurer. « Ce n'est pas tellement le couple qui compte, mais le couple pour plus tard avoir des enfants. Dans l’imaginaire collectif, il y a une idée de transmission, d’aller au-delà de soi. Avoir des enfants, qui auront eux-mêmes des enfants et à qui on va transmettre » termine l'auteur de auteur de Pas envie ce soir, la question du consentement dans le couple.
Certains se laissent alors aller à l'expérience de la vie à deux. C'est le cas de Sarah, 26 ans, qui après avoir rencontré un garçon se retrouve rapidement dans « une vie de couple ultra sérieuse à base de brunchs, de présentations officielles et de projets à deux ». Sauf que ni elle, ni lui, ne sont vraiment prêt·es pour cette aventure. La réaction de leur entourage et la validation sociale qu'ils tirent de la situation dissipe un peu les doutes. « Tout le monde était heureux pour moi, surtout ma mère qui "s'inquiétait de me savoir seule dans une si grande ville". » Elle-même admet se sentir alors « un peu "accomplie" et rassurée, car cela semble être la suite logique pour [elle]. » Suivra une rupture. « En fait, on était tous les deux, sans le savoir, sous "la pression du célibat" et on jouait au petit couple parfait pour satisfaire ce modèle-là. »
Mais cette pression familiale n’est pas la même si l’on vient d’un milieu rural ou d’une grande ville, si l’on est issu·e d’un milieu social aisé ou plus populaire, si l’on a fait des études ou pas. Mélanie Mâge témoigne : « Après plusieurs années à Paris, je suis aujourd'hui en Bretagne. Je côtoie pas mal de gens et je vois bien qu'ici la norme est davantage d'être en couple très jeune, que d'être célibataire. À Paris, je ne le ressentais pas du tout. Il m'arrivait de croiser des jeunes de 18 à 25 ans pour qui se mettre en couple n'était pas du tout à l'ordre du jour. »
Dater pour être validé
« À l’ordre du jour » parce qu'en matière d’amour et de relation, il semblerait qu’il y ait un agenda bien précis à respecter, dépassant les disparités sociologiques. 30 ans sonne le glas : c'est l'heure de se ranger. Alors, avant que n’arrive cette échéance, il faut profiter. Tombe sur les épaules des célibataires une autre forme de pression, principalement exercée par le cercle amical et les pairs : l’injonction à s’amuser.
Pendant sa « traversée du désert », Amaëlle l’a parfaitement ressenti. « Je ne peux pas compter le nombre de fois où mes potes m’ont poussée vers un garçon en soirée, ou ont voulu installer Tinder sur mon téléphone » se souvient-elle en précisant que cela partait pourtant d'un sentiment bienveillant. Après plusieurs années de célibat à son actif, Sarah, confirme. « Quand tu dates, quand tu papillonnes, tu ressens comme une espèce de validation sociale, genre "cette meuf est cool, elle vit une vie folle". Par contre, assumer que l'on est sur une appli pour trouver l'amour, ou assumer de vouloir simplement être seule : ça, c'est considéré comme triste. » Maud, 24 ans, en solo depuis un peu plus d'un an, le dit sans détour : « C'est comme si on avait plus le droit de s'ennuyer et de ne voir personne dans ce monde ! »
A tel point que lorsque l’envie de papillonner n’y est pas, la ou le célibataire se remet (une fois encore) en question. Comme Yléanna, 23 ans, quelques histoires brèves à son actif. « À un moment, j'en suis même venue à me demander si je n'étais pas asexuelle ou aromantique [le fait de ne pas ressentir d'attirance romantique, ndlr] tellement je me sentais en dehors de toutes ces préoccupations. Il s'avère que non, je ne suis ni l'un ni l'autre. Simplement, je ne place pas le couple ou l'amour de l'autre au centre de ma vie. » Peu à peu, les mentalités changent. Jean-Claude Kaufmann est confiant : « A la foi, on a avancé, on est plus ouvert plus tolérant, mais il reste, notamment pour les modes de vies personnelles, des normes discrètes. Il faut plus de temps pour faire évoluer les choses. »