Normes : où en est-​on de la pres­sion pour se mettre en couple chez les 18–25 ans ?

2021, son fémi­nisme gran­dis­sant et ses applis de dating auraient enfin réus­si a libé­rer les jeunes céli­ba­taires de la pres­sion de devoir se mettre en couple. Mais dans les faits, c'est un peu moins idyl­lique que ça, et une autre injonc­tion appa­raît : celle de devoir mul­ti­plier les expériences.

man and woman in park ride
© Kae Ng

Ils et elles ont vu leurs parents ou ceux de leurs ami·es divor­cer, les familles se recom­po­ser, les codes des genres, des orien­ta­tions sexuelles et des rela­tions sen­ti­men­tales se démul­ti­plier grâce au mou­ve­ment queer. Les jeunes adultes vivant en France devraient théo­ri­que­ment avoir un tapis rouge de liber­té dérou­lé devant leurs pas dans la vie sexuelle et sen­ti­men­tale – du moins, une fois sorti·es de la pan­dé­mie de Covid-​19. Certes, il demeure quelques irré­duc­tibles enthou­siastes de la vie en duo, convaincu·es qu’une vie hors couple ne peut être heu­reuse, mais la socié­té ne stig­ma­tise plus comme avant le céli­bat. L’âge du mariage a recu­lé, la durée des études s’est allon­gée, bref, les normes ont chan­gé. Mais dans les faits ? Les enquêtes socio­lo­giques qui s'intéressent au céli­bat chez les moins de 26 ans sont mal­heu­reu­se­ment rares. A la ques­tion du pour­quoi, Philippe Brenot, psy­chiatre, thé­ra­peute de couple et auteur de L'incroyable his­toire du sexe, apporte un pre­mier élé­ment de réponse : « On ne parle pas autant de céli­bat dans la tranche d’âge des 18 – 25 ans parce que c'est le moment des ren­contres. On consi­dère que c'est un peu logique que beau­coup ne soient pas en couple. »

A lire aus­si l Dossier Empowerment : le céli­bat fait un tabac

La seule étude dis­po­nible sur le sujet a été mené en 2019 par l'agence de conseils Morar HPI et l’application de ren­contre Tinder. Les chiffres sont assez par­lants : 74% des jeunes entre 18 et 25 ans ayant répon­du à l'enquête assument leur céli­bat. Pour l'expliquer, 44 % avancent le sou­hait de gagner un sen­ti­ment d'indépendance, 23 % d'empowerment et 17 % d'aventure. Cette aspi­ra­tion à la liber­té est encore plus forte chez les jeunes femmes : pour 51 % d’entre elles, l'idée d'indépendance est indis­so­ciable du céli­bat, alors que seuls 38 % des hommes pensent de même. Paradoxalement, la pres­sion du couple serait pour­tant plus pesante chez les jeunes femmes que chez les jeunes hommes. 

De Bridget à Barney

En l’espace d’une quin­zaine d’années, l’image du céli­ba­taire a beau­coup évo­lué. Les qua­dras d’aujourd’hui avaient comme réfé­rence Bridget Jones, tren­te­naire qui déses­père de ne pas trou­ver l’homme de sa vie et doit faire face à l’inquiétude de sa mère de la voir finir « vieille fille ». Mélanie Mâge, fon­da­trice du blog LesBridgets.com dont le nom fait direc­te­ment réfé­rence au Journal de Bridget Jones, comé­die phare de 2001, confirme : « À l'époque, la figure de réfé­rence, c’était Bridget Jones. Puis il y a eu un chan­ge­ment dans la culture pop, qui valo­rise de plus en plus les céli­ba­taires, notam­ment grâce à des rôles où ils ne sont pas cari­ca­tu­rés comme des per­sonnes en quête du grand amour. Le per­son­nage de Barney Stinson dans How I Met Your Mother, par exemple, a appor­té l’image du céli­ba­taire cool et heu­reux de sa situation. »

Certes, mais c’est un homme. Et dans ce domaine encore, ces mes­sieurs n’ont jamais eu la même pres­sion que les femmes. En témoignent deux sym­boles : la « vieille fille » et la Catherinette. La pre­mière est peut-​être moins pré­sente qu’il y a quelques années, mais son spectre sexiste plane tou­jours. Peu de femmes sou­haitent finir « vieille fille ». Il faut dire que son por­trait ne fait pas rêver : femme vivant seule parce qu’elle n’a pas su trou­ver ou « gar­der » d’homme, elle trompe son aigreur et son déses­poir avec quelques chats. Sans doute a‑t-​elle été, dans sa jeu­nesse, Catherinette. Les prin­cipes de cette tra­di­tion sont simples : chaque 25 novembre, les jeunes femmes de 25 ans tou­jours céli­ba­taires devaient, selon les régions, les époques et les familles, revê­tir un cha­peau aux cou­leurs jaune et vert, voire même par­ti­ci­per à un défi­lé… De quoi ostra­ci­ser celles per­çues alors comme vieilles céli­ba­taires, et, pour­quoi pas, leur trou­ver un pré­ten­dant pour l'occasion. Depuis quelques années, ouf, la cou­tume se perd. Seule la petite ville de Vesoul en Haute-​Saône s'évertue à la per­pé­trer, comme sourde oreille aux cri­tiques des asso­cia­tions féministes. 

"Alors, t’as un amoureux ?"

Si la socié­té semble peu à peu avoir accep­té le fait que le céli­bat peut être heu­reux, c’est sou­vent moins une évi­dence chez les proches. Là-​dessus, les avis sont una­nimes, ce sont eux les pre­miers vec­teurs de pres­sion. Pour Amaëlle, 23 ans, céli­ba­taire de 19 à 22 ans, l'injonction vient de tout côté : de la famille et ses ques­tions gen­ti­ment inqui­si­trices (« Alors, t’as un amou­reux ? »), aux ami·es beau­coup moins subtil·es (« tu n'as pas cou­ché depuis com­bien de temps ? »). Alors elle répond, « tou­jours avec ce sou­rire un peu navré, comme si je m’excusais de ne pas ren­trer dans les clous. » Dans le fond pour­tant, elle n'est pas déso­lée. Car ce céli­bat, elle l'a choi­si. Encore mieux : elle le savoure. « Après presque quatre ans de rela­tion, j’avais besoin de me retrou­ver, de prendre du temps pour moi et de voir que je pou­vais vivre autre­ment qu’à tra­vers quelqu’un. C’était très clair dans ma tête. Mais c’est pour les autres que ça avait l’air assez incompréhensible. » 

Pourquoi alors une telle pres­sion des proches ? Jean-​Claude Kaufmann socio­logue, offre un pre­mier élé­ment de réponse : « Il y a une théo­rie offi­cielle qui est "cha­cun fait ce qu’il veut". Mais dans les faits, il y a quand même ce qu'on appelle des normes dis­crètes : elles ne sont pas obli­ga­toires, mais elles donnent des réfé­rences col­lec­tives qui peuvent se tra­duire en pres­sion. Cela dépend du contexte dans lequel on est. » Et puis il y a aus­si la peur des parents de ne pas voir la filia­tion per­du­rer. « Ce n'est pas tel­le­ment le couple qui compte, mais le couple pour plus tard avoir des enfants. Dans l’imaginaire col­lec­tif, il y a une idée de trans­mis­sion, d’aller au-​delà de soi. Avoir des enfants, qui auront eux-​mêmes des enfants et à qui on va trans­mettre » ter­mine l'auteur de auteur de Pas envie ce soir, la ques­tion du consen­te­ment dans le couple.

Lire aus­si l Trois ques­tions à Jean-​Claude Kaufmann, pour son nou­vel ouvrage "Pas envie ce soir, la ques­tion du consen­te­ment dans le couple 

Certains se laissent alors aller à l'expérience de la vie à deux. C'est le cas de Sarah, 26 ans, qui après avoir ren­con­tré un gar­çon se retrouve rapi­de­ment dans « une vie de couple ultra sérieuse à base de brunchs, de pré­sen­ta­tions offi­cielles et de pro­jets à deux ». Sauf que ni elle, ni lui, ne sont vrai­ment prêt·es pour cette aven­ture. La réac­tion de leur entou­rage et la vali­da­tion sociale qu'ils tirent de la situa­tion dis­sipe un peu les doutes. « Tout le monde était heu­reux pour moi, sur­tout ma mère qui "s'inquiétait de me savoir seule dans une si grande ville". » Elle-​même admet se sen­tir alors « un peu "accom­plie" et ras­su­rée, car cela semble être la suite logique pour [elle]. » Suivra une rup­ture. « En fait, on était tous les deux, sans le savoir, sous "la pres­sion du céli­bat" et on jouait au petit couple par­fait pour satis­faire ce modèle-là. »

Mais cette pres­sion fami­liale n’est pas la même si l’on vient d’un milieu rural ou d’une grande ville, si l’on est issu·e d’un milieu social aisé ou plus popu­laire, si l’on a fait des études ou pas. Mélanie Mâge témoigne : « Après plu­sieurs années à Paris, je suis aujourd'hui en Bretagne. Je côtoie pas mal de gens et je vois bien qu'ici la norme est davan­tage d'être en couple très jeune, que d'être céli­ba­taire. À Paris, je ne le res­sen­tais pas du tout. Il m'arrivait de croi­ser des jeunes de 18 à 25 ans pour qui se mettre en couple n'était pas du tout à l'ordre du jour. »

Dater pour être validé

« À l’ordre du jour » parce qu'en matière d’amour et de rela­tion, il sem­ble­rait qu’il y ait un agen­da bien pré­cis à res­pec­ter, dépas­sant les dis­pa­ri­tés socio­lo­giques. 30 ans sonne le glas : c'est l'heure de se ran­ger. Alors, avant que n’arrive cette échéance, il faut pro­fi­ter. Tombe sur les épaules des céli­ba­taires une autre forme de pres­sion, prin­ci­pa­le­ment exer­cée par le cercle ami­cal et les pairs : l’injonction à s’amuser. 

Pendant sa « tra­ver­sée du désert », Amaëlle l’a par­fai­te­ment res­sen­ti. « Je ne peux pas comp­ter le nombre de fois où mes potes m’ont pous­sée vers un gar­çon en soi­rée, ou ont vou­lu ins­tal­ler Tinder sur mon télé­phone » se souvient-​elle en pré­ci­sant que cela par­tait pour­tant d'un sen­ti­ment bien­veillant. Après plu­sieurs années de céli­bat à son actif, Sarah, confirme. « Quand tu dates, quand tu papillonnes, tu res­sens comme une espèce de vali­da­tion sociale, genre "cette meuf est cool, elle vit une vie folle". Par contre, assu­mer que l'on est sur une appli pour trou­ver l'amour, ou assu­mer de vou­loir sim­ple­ment être seule : ça, c'est consi­dé­ré comme triste. » Maud, 24 ans, en solo depuis un peu plus d'un an, le dit sans détour : « C'est comme si on avait plus le droit de s'ennuyer et de ne voir per­sonne dans ce monde ! »

A tel point que lorsque l’envie de papillon­ner n’y est pas, la ou le céli­ba­taire se remet (une fois encore) en ques­tion. Comme Yléanna, 23 ans, quelques his­toires brèves à son actif. « À un moment, j'en suis même venue à me deman­der si je n'étais pas asexuelle ou aro­man­tique [le fait de ne pas res­sen­tir d'attirance roman­tique, ndlr] tel­le­ment je me sen­tais en dehors de toutes ces pré­oc­cu­pa­tions. Il s'avère que non, je ne suis ni l'un ni l'autre. Simplement, je ne place pas le couple ou l'amour de l'autre au centre de ma vie. » Peu à peu, les men­ta­li­tés changent. Jean-​Claude Kaufmann est confiant : « A la foi, on a avan­cé, on est plus ouvert plus tolé­rant, mais il reste, notam­ment pour les modes de vies per­son­nelles, des normes dis­crètes. Il faut plus de temps pour faire évo­luer les choses. » 

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