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© Johan Mouchet / Unsplash

Les chro­niques du Dr Kpote : les coachs en séduc­tion Sur TikTok, des idées en toc

Le Dr Kpote inter­vient depuis une ving­taine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « ani­ma­teur de pré­ven­tion ». Il ren­contre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexua­li­té et les conduites addic­tives. Depuis une dizaine d’années il en rend compte dans Causette. Aujourd’hui il a par­lé des coach en séduc­tion qui sévissent sur Tik Tok avec huit jeunes filles. 

« Déjà si je le connais pas… Comment il sait que je suis belle quand je sou­ris ? ». Asma* n’est pas du genre à se faire embo­bi­ner par le pre­mier venu qui l’accoste dans la rue. Au milieu de ce groupe de huit jeunes filles sui­vies dans le cadre d’une AEMO (Aide Educative en Milieu Ouvert) et réunies en soi­rée pour une séance de pré­ven­tion Vie Affective et Sexualité, elle est d’ailleurs celle dont le visage est le plus impé­né­trable. 
« – Asma, si le mec insiste, tu fais quoi ? », lui ai-​je quand même deman­dé.
« – Je lui dis de cas­ser un tour. » Comme avec l’éducatrice pré­sente, on s’interrogeait sur le sens de l’expression, elle a rajou­té, en haus­sant deux sour­cils par­fai­te­ment des­si­nés, comme si ça rele­vait de l’évidence, « Ben, de déga­ger ».

Les filles trou­vaient que les mecs qui accos­taient dans la rue étaient sacré­ment « culot­tés », avec une légère pointe d’admiration visible dans le regard de cer­taines. Comme elles ques­tion­naient l’aisance dont cer­tains hommes pou­vaient faire preuve, je leur ai pro­po­sé d’écouter un coach en séduc­tion sur TikTok, his­toire de véri­fier si leur manière de faire s’inspirait des Pick-​up Artist !
« – Alors eux, ils sont tous céli­ba­taires ! », s’est indi­gnée Sofia. « Sinon ils s’occuperaient de leurs femmes au lieu de celles des autres ».
En deux balayages sur l’écran, on est tom­bé sur une vidéo avec des conseils pour « pécho de la go ». 

Le pre­mier disait « Montrer qu’on est en bonne san­té ». Comment fait-​on dans la rue ? En expi­rant à la face des autres pour prou­ver que son haleine n’est pas fétide ? En réa­li­sant une série de squats pour attes­ter d’un bon car­dio ? La bêtise du conseil m’a tou­te­fois per­mis d’aborder les IST sans symp­tômes appa­rents qui peuvent virer en mala­die (MST). 

Deuxième conseil du coach : « Avoir de bonnes res­sources finan­cières ». Pour Anaïs, le nombre de K sur la feuille de salaire était essen­tiel : « Si c’est un clo­chard, tu le recales ! » Elles étaient toutes d’accord que le style de mec, qui bédave toute la jour­née sur le cana­pé pou­vait prendre la porte avec sa PS4 sous le bras. Mais com­ment reconnait-​on si un type est vrai­ment blin­dé ou s’il nous fake avec du bling-​bling « tapé sur le mar­ché d’Aubervilliers ». « Il peut por­ter de la fausse marque, conduire une voi­ture de loca­tion » Ceux là, Asma les nom­mait les « prou­veurs », son syno­nyme per­so de ostentateur-menteur.

Le troi­sième conseil n’a pas rem­por­té l’unanimité. Loin de là. Le « Jouir d’une cer­taine noto­rié­té » était accep­table dans le quar­tier mais pas sur les réseaux. « Ah non, si t’es avec un mec connu, il y a plein de filles qui vont être des­sus ! », a assu­ré l’une d’elle. Les contacts fémi­nins étaient clai­re­ment iden­ti­fiés comme à haut risque. Et pas ques­tion pour l’heureux élu d’aller s’éclater en soi­rée avec ses col­lègues. En tout cas, quand tu es marié·e, « tu as des res­pon­sa­bi­li­tés et tu ne vas pas en boite de nuit », s’est réveillée Rima. Elle a ver­ba­li­sé sa méfiance vis à vis des « secré­taires en mini-​jupe qui tournent du boule au bureau » ! Le groupe a poin­té la libi­do tor­ride des secré­taires, pas celle des maris. Malheureusement je n’avais pas d’extraits de Mad Men sous la main. Leur jalou­sie pre­nait clai­re­ment le pas sur la sororité. 

« Procurer un sen­ti­ment de sécu­ri­té ». C’était le conseil le plus inté­res­sant à tra­vailler avec elles. On a poin­té cette socié­té qui for­mate les filles à se sen­tir en sécu­ri­té, uni­que­ment grâce à la pré­sence et le contrôle des hommes. C’était d’abord leurs frères qui endos­saient le rôle du Body Guard, et ensuite leurs mecs pre­naient le relais. Mais en avaient-​elles vrai­ment besoin ? Anaïs disait que si « un gros mec » lui en col­lait une, elle aime­rait bien que son gars inter­vienne. 
« – Perso, je ne risque pas ma peau, je fuis. », ai-​je tes­té.
« – Ben mis­kine ta femme ! » a‑t-​elle répon­du avec dégoût. 
J’ai expli­qué que ce rôle du gros bras au ser­vice du couple, ne me conve­nait pas. Et puis, ne pouvaient-​elles pas déve­lop­per des stra­té­gies d’évitement des affron­te­ments, une résis­tance à l’oppression sans avoir besoin d’un cha­pe­ron ? 
« Se défendre et être cou­ra­geux ». Asma m’a immé­dia­te­ment apos­tro­phé : « Pas comme toi qui va cou­rir ! » Et le groupe s’est esclaf­fé, tout en m’identifiant « mas­cu­li­ni­té subor­don­née », asso­ciée à la fragilité. 

Le bou­quet final du coach, soit « Lui mon­trer que tu n’hésiterais pas à la rem­pla­cer si elle ne se com­porte pas bien » les a fait hur­ler comme une seule femme. Elles seraient jetables comme une puff qui ne cli­gnote plus ? Elles étaient prêtes à le fumer dans les com­men­taires. J’ai mis mon véto. On n’allait tout de même pas repro­duire le pire du Mascu en cybe­rhar­ce­lant un coach en Tok… 

*Les pré­noms ont été modifiés

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