Le Dr Kpote intervient depuis une vingtaine d’années dans les lycées et centres d’apprentissage d’Île-de-France comme « animateur de prévention ». Il rencontre des dizaines de jeunes avec lesquel·les il échange sur la sexualité et les conduites addictives. Depuis une dizaine d’années il en rend compte dans Causette. Aujourd’hui il a parlé des coach en séduction qui sévissent sur Tik Tok avec huit jeunes filles.
« Déjà si je le connais pas… Comment il sait que je suis belle quand je souris ? ». Asma* n’est pas du genre à se faire embobiner par le premier venu qui l’accoste dans la rue. Au milieu de ce groupe de huit jeunes filles suivies dans le cadre d’une AEMO (Aide Educative en Milieu Ouvert) et réunies en soirée pour une séance de prévention Vie Affective et Sexualité, elle est d’ailleurs celle dont le visage est le plus impénétrable.
« – Asma, si le mec insiste, tu fais quoi ? », lui ai-je quand même demandé.
« – Je lui dis de casser un tour. » Comme avec l’éducatrice présente, on s’interrogeait sur le sens de l’expression, elle a rajouté, en haussant deux sourcils parfaitement dessinés, comme si ça relevait de l’évidence, « Ben, de dégager ».
Les filles trouvaient que les mecs qui accostaient dans la rue étaient sacrément « culottés », avec une légère pointe d’admiration visible dans le regard de certaines. Comme elles questionnaient l’aisance dont certains hommes pouvaient faire preuve, je leur ai proposé d’écouter un coach en séduction sur TikTok, histoire de vérifier si leur manière de faire s’inspirait des Pick-up Artist !
« – Alors eux, ils sont tous célibataires ! », s’est indignée Sofia. « Sinon ils s’occuperaient de leurs femmes au lieu de celles des autres ».
En deux balayages sur l’écran, on est tombé sur une vidéo avec des conseils pour « pécho de la go ».
Le premier disait « Montrer qu’on est en bonne santé ». Comment fait-on dans la rue ? En expirant à la face des autres pour prouver que son haleine n’est pas fétide ? En réalisant une série de squats pour attester d’un bon cardio ? La bêtise du conseil m’a toutefois permis d’aborder les IST sans symptômes apparents qui peuvent virer en maladie (MST).
Deuxième conseil du coach : « Avoir de bonnes ressources financières ». Pour Anaïs, le nombre de K sur la feuille de salaire était essentiel : « Si c’est un clochard, tu le recales ! » Elles étaient toutes d’accord que le style de mec, qui bédave toute la journée sur le canapé pouvait prendre la porte avec sa PS4 sous le bras. Mais comment reconnait-on si un type est vraiment blindé ou s’il nous fake avec du bling-bling « tapé sur le marché d’Aubervilliers ». « Il peut porter de la fausse marque, conduire une voiture de location » Ceux là, Asma les nommait les « prouveurs », son synonyme perso de ostentateur-menteur.
Le troisième conseil n’a pas remporté l’unanimité. Loin de là. Le « Jouir d’une certaine notoriété » était acceptable dans le quartier mais pas sur les réseaux. « Ah non, si t’es avec un mec connu, il y a plein de filles qui vont être dessus ! », a assuré l’une d’elle. Les contacts féminins étaient clairement identifiés comme à haut risque. Et pas question pour l’heureux élu d’aller s’éclater en soirée avec ses collègues. En tout cas, quand tu es marié·e, « tu as des responsabilités et tu ne vas pas en boite de nuit », s’est réveillée Rima. Elle a verbalisé sa méfiance vis à vis des « secrétaires en mini-jupe qui tournent du boule au bureau » ! Le groupe a pointé la libido torride des secrétaires, pas celle des maris. Malheureusement je n’avais pas d’extraits de Mad Men sous la main. Leur jalousie prenait clairement le pas sur la sororité.
« Procurer un sentiment de sécurité ». C’était le conseil le plus intéressant à travailler avec elles. On a pointé cette société qui formate les filles à se sentir en sécurité, uniquement grâce à la présence et le contrôle des hommes. C’était d’abord leurs frères qui endossaient le rôle du Body Guard, et ensuite leurs mecs prenaient le relais. Mais en avaient-elles vraiment besoin ? Anaïs disait que si « un gros mec » lui en collait une, elle aimerait bien que son gars intervienne.
« – Perso, je ne risque pas ma peau, je fuis. », ai-je testé.
« – Ben miskine ta femme ! » a‑t-elle répondu avec dégoût.
J’ai expliqué que ce rôle du gros bras au service du couple, ne me convenait pas. Et puis, ne pouvaient-elles pas développer des stratégies d’évitement des affrontements, une résistance à l’oppression sans avoir besoin d’un chaperon ?
« Se défendre et être courageux ». Asma m’a immédiatement apostrophé : « Pas comme toi qui va courir ! » Et le groupe s’est esclaffé, tout en m’identifiant « masculinité subordonnée », associée à la fragilité.
Le bouquet final du coach, soit « Lui montrer que tu n’hésiterais pas à la remplacer si elle ne se comporte pas bien » les a fait hurler comme une seule femme. Elles seraient jetables comme une puff qui ne clignote plus ? Elles étaient prêtes à le fumer dans les commentaires. J’ai mis mon véto. On n’allait tout de même pas reproduire le pire du Mascu en cyberharcelant un coach en Tok…
*Les prénoms ont été modifiés