Avec Justice !, les documentaristes Marion Guégan et Marie Chartron suivent plusieurs affaires de violences sexuelles à Caen et proposent une plongée rare dans le long processus menant aux procès pour viol.
C’est un chiffre effarant que les militantes féministes brandissent comme une preuve du dysfonctionnement de nos institutions policières et judiciaires : en France, on estime que moins de 1% des viols commis sont condamnés. D’une part, seules 10% des victimes porteraient plainte, d’autre part, moins de 10% de ces plaintes aboutissent à une condamnation. En suivant dans leur travail l’avocate pénaliste Aline Lebret et la substitut du procureur Farouz Benharkat, toutes deux travaillant à Caen, ainsi que de jeunes victimes ayant – ou pas – porté plainte, la série documentaire Justice ! (réalisée par Marion Guégan et Marie Chartron et disponible gratuitement sur France TV Slash) propose un précieux éclairage sur le processus expliquant le peu de condamnations. Et nous plonge, en cinq épisodes de vingt minutes, dans l’épreuve que représente ce long parcours pour les victimes – épreuve illustrée par le poignant morceau du générique écrit par la chanteuse Oxytocine pour la série, Je suis à moi.
« On te dit : quand tu es victime, il faut porter plainte car c’est comme ça que tu vas te reconstruire », observe amèrement Anna. La jeune femme, victime de viols conjugaux lorsqu’elle était adolescente avait trouvé la force de porter plainte en 2017. Mais celle à qui la police n’avait pas remis de copie de la plainte a appris qu’elle avait été… perdue. « On a déjà l’impression de faire perdre du temps [aux policiers quand on porte plainte, ndlr], soupire Anna, petite vingtaine aujourd’hui. On ne se sent pas légitimes, alors, lorsqu’ils ont perdu la plainte… » On la voit enchaîner les recours à l’aide du bureau des victimes du tribunal de Caen, tandis qu’Eliot, jeune homme trans, porte tout au long des épisodes de Justice ! un regard désabusé sur le système. Il n’a pas porté plainte et s’en explique : « Quelle crédibilité j’ai face à un mec cis ? […] Je pense que dans certains cas, la justice peut aider mais souvent, elle ravive plus qu’elle ne soigne les plaies. »
Préparer aux déceptions
Dans Justice !, il y a aussi la fragile Jessica qui se fait violence avec un immense courage pour aller au bout de sa démarche judiciaire contre un quadragénaire qui, s’étant fait passer en ligne pour un garçon de son âge, finira par la violer après l’avoir faite chanter à l’appui de photos intimes qu’elle lui avait confiées. Comme Anna et Eliot, la jeune femme a découvert la sexualité dans la violence. Cela fait six ans que la jeune femme, qui avait 15 ans à l’époque des faits, se bat pour obtenir justice. « Ça n’avance pas », glisse-t-elle lors du 4ème épisode, centré sur l’instruction, à son avocate, Me Aline Lebret. « On n’a pas affaire à des juges feignants, tente d’expliquer l’avocate, mais à une institution qui vous maltraite. Les juges d’instruction ont 120, parfois 150 dossiers en cours. On a autant de juges d’instruction qu’en 1850, alors que la population a triplé. » Empathique et combattive, Me Aline Lebret est suivie par la caméra de Justice ! sur plusieurs affaires. Son travail d’accompagnement vers l’obtention de la justice pour ses client·es passe nécessairement par celui de préparer aux déceptions. « S’il n’y a pas de condamnation, je n’arriverais pas à me reconstruire », affirme Laura. « Ne vous collez pas l’étiquette de victime, vous n’êtes pas que ça, avancez indépendamment de la justice », lui répond-elle.
Et puis le documentaire nous offre des images rares et très pédagogiques du travail d’une substitut du procureur, Farouz Benharkat. Depuis son bureau dans un étage conçu comme une immense verrière du tribunal de Caen, cette substitut du procureur du tribunal passe ses journées à recevoir des appels de policier·ères et lire des procès verbaux concernant des affaires de viols absolument sordides, surtout quand il s’agit d’inceste. « Ça ébranle toujours, glisse-t-elle aux réalisatrices, mais on est toujours dans l’action. Les émotions, je les évacue avec une bonne marche après le travail. » Son rôle ? Décider des suites à donner à une affaire : classer sans suite si les éléments ne sont pas suffisants, instruire, correctionnaliser, préparer un procès d’assise ou devant la cour criminelle, nouvelle juridiction censée éviter la correctionnalisation des viols et désengorger les assises. Le dernier épisode, d’ailleurs consacré aux procès devant la cour criminelle, s’appuie sur l’interview de Pascal Chaux, avocat général, qui raconte son métier. « L’individualisation de la peine, c’est quelque chose de fondamental », explique-t-il. Justice ! est une série documentaire qui montre à la fois l’espoir des victimes de viol mis dans l’institution et le travail de professionnel·les de la loi qui tentent d’exercer leur métier au plus juste et au plus réaliste. Un sacerdoce.