Interview avec les scé­na­ristes de « Mental », la série qui parle de la san­té men­tale des jeunes

Vendredi 2 avril sort, sur France.tv Slash, la saison 2 de Mental, série française de grande qualité sur un groupe d’ados atteints de troubles psychiques, accueillis dans une clinique pédopsychiatrique. Un show qui parvient à mêler habilement vraie problématique sociétale, réelle habileté dans le récit et humour sur un sujet pourtant sensible et qui n’a jamais autant résonné avec l’actualité… Interview avec ses deux scénaristes : Marine Maugrain-Legagneur et Victor Lockwood. Et en prime, un extrait en exclu !

MENTAL 2 A

Causette : Comment est née, au tout départ, l’idée de créer une série sur la santé mentale des jeunes ?
Marine Maugrain-Legagneur et Victor Lockwood :
Au tout départ, en fait, le producteur de la série cherchait à faire une adaptation d’un format finlandais préexistant. Un format un peu particulier avec des épisodes de longueurs variables. Plutôt des instantanés à l’hôpital. De notre côté, nous avons donc tout remis à plat en créant une série avec de vraies lignes narratives. À l’instar d’autres séries ados de référence comme Skins. Et puis avec une tonalité un peu rock’n’roll. Drama et joyeux à la fois. On est partis de cette couleur-là.

Ça ne faisait pas peur aux chaînes un thème comme celui-ci ?
M. M.-L. et V. L. :
À l’époque, France.tv Slash [qui diffuse le programme, ndlr] était déjà au courant et intéressé sur le papier. Mais ensuite, il a fallu proposer quelque chose de convaincant pour que la chose passe. Il faut savoir que c’est toujours plus facile de vendre une idée à une chaîne quand il y a un projet préexistant. D’autant que la série d’origine a eu son petit succès. À l’écriture, on est allés assez loin, on pensait se faire retoquer plein de choses, mais en fait non. On a bénéficié d’une grande liberté de ton. Notre projet c’était d’écrire quelque chose de pas trop plombant tout en n’évitant pas notre sujet. De dessiner des personnages d’une grande flamboyance sans passer sous silence le plus noir. L’irrévérence pour nous était très importante. Car c’est le propre de l’adolescence. Être rugueux, vulgaire, faillible. On veut assumer qu’ils puissent faire du mal autour d’eux. Et à eux-mêmes.

La saison 1 portait plutôt sur le fait que les personnages admettent qu’ils étaient malades. Comment décririez-vous les enjeux de cette saison 2 ?
M. M.-L. et V. L. :
C’est une saison où les ados ont pris conscience de la maladie et essaient de comprendre comment l’intégrer à leur parcours, à leur identité. Sans la laisser définir uniquement leur identité. De notre point de vue de scénaristes, on essaie de se mettre à leur hauteur. Ils ont tous quelque chose de très singulier dans leur façon de vivre la chose. Le personnage de Simon, par exemple, a ce qu’on appelle une personnalité borderline ou un état limite. Les soignants le mettent souvent en garde sur ses élans du cœur. Pour autant, il ne va pas suspendre ses émotions, même si démêler le vrai du faux entre ce qu’il ressent vraiment et ce qui est lié à son état n’est pas toujours évident pour lui.

Lire aussi l Mental, saison 2 : tous zinzins de ces ados

Comment on se met à hauteur d’ados ?
M. M.-L. et V. L. :
Tout d’abord, on se souvient tous les deux assez bien de notre adolescence. Et nous avons une forte empathie pour cette période de la vie. L’intensité avec laquelle on vit les choses quand on est ados est difficilement oubliable. Mais il nous semble que les ados d’aujourd’hui ont le sentiment d’être dans le flou plus longtemps quant à qui ils sont vraiment.
On est aussi spectateurs de fictions ados. On a regardé pas mal de productions faites par des ados eux-mêmes. Et puis on a été traîner devant les lycées, sur les réseaux sociaux. Et, bien sûr, on a rencontré des patients et ex-patients de ces instituts là. Concernant le langage, on n’a pas non plus totalement collé à ce qui se pratique aujourd’hui, sinon on ne comprendrait rien ! Et dans l’espoir que la série soit encore regardable dans dix ans avec le même vocabulaire.

Comment, en tant que scénariste, on se familiarise puis on s’approprie le sujet de la santé mentale ?
M. M.-L. et V. L. :
Nos recherches sur la santé mentale sont allées de pair avec l’envie que nous avions de raconter l’adolescence de façon assez universelle. Notre volonté était de montrer comment les deux se télescopent. Nous avons été suivis par deux pédopsy, qui ont été nos consultantes à plusieurs étapes du texte afin de vérifier la crédibilité des personnages et de leurs troubles. Elles ont vérifié que tout était cohérent et juste scientifiquement.
Elles nous ont fait visiter des lieux, rencontrer des gens. Elles ont même accompagné les comédiens dans certaines lectures. Notamment pour les faire descendre un peu en intensité au niveau de leur jeu. Ils ont appris, avec elles, que ce n’était pas nécessaire d’en faire trop. Qu’en fait ça ne se passe pas forcément comme ça. On a beaucoup raisonné en termes d’échelle. La santé mentale, c’est un spectre. Il n’y a pas les fous d’un côté et les gens normaux de l’autre. C’est beaucoup plus complexe et nuancé que ça.

Comment met-on en mots et en histoire quelque chose qui se passe autant à l’intérieur des êtres ?
M. M.-L. et V. L. :
Tout l’enjeu est de réussir à mettre en scène un état d’anxiété, ou même certaines hallucinations sans être dans la caricature. Notre façon de faire, c’est de ne pas se concentrer sur des crises, mais bien que toutes les interactions des personnages, leur façon de parler, d’agir, de se comporter soient finalement une expression du trouble. C’est à travers les situations, les dialogues qu’on raconte leur mal être.

Il y a deux nouveaux personnages dans cette série. Tout d’abord, un nouveau directeur, en la personne du Dr Bourdon. Que souhaitiez-vous faire incarner à ce personnage ?
M. M.-L. et V. L. :
Il est très théorique, un peu le prof de fac. Hyper bienveillant et persuadé de savoir comment faire, mais il se confronte au réel et ça le dépasse rapidement. Nous voulions montrer que, parfois, les adultes encadrants ont tout autant de mal que les jeunes à gérer les choses. On a croisé dans nos recherches des gens un peu comme ça. Qui ont des théories bienveillantes, intéressantes, mais dont la mise en pratique n’est pas si simple. Et les ados n’ont pas forcément envie qu’on leur fasse faire des jeux de rôle ou ce genre de choses. Il n’y a pas d’évidence. Chaque centre doit trouver ses propres méthodes. Tout le monde essaie comme il peut et tout le monde se plante, car il n’y a pas de modèle quand on parle de la santé mentale.

Et puis il y a le personnage qu’incarne Deborah Lukumuena, Max, qui a clairement une sensibilité féministe.
M. M.-L. et V. L. :
Sa dimension politique s’est imposée assez vite. C’est un combat d’actualité porté par des jeunes femmes aujourd’hui. Elle a ce truc des ados qu’on a pu croiser : porter un féminisme assez fort, assez rentre dedans. C’est pas forcément hyper formulé, mais dans ses tripes, elle est persuadée qu’il faut défendre ça. Elle est une femme, noire, en surpoids donc triplement en lutte contre les oppressions. Ça va aussi avec son trouble. Max est à la fois cette femme forte, solide, déterminée même si en privé, c’est plus compliqué que ça. Le politique la tient aussi. Elle a beau combattre le patriarcat, et elle a les moyens de le combattre, elle en subit quand même les conséquences.

Extrait en exclu :

La question du genre et de l’orientation sexuelle est très présente dans la série. Pour cette saison 2, vous avez amené la question de l’asexualité. Chose très rare dans les séries. Pourquoi ça vous semblait important et comment vous avez travaillé pour aborder cette question ?
M. M.-L. et V. L. :
Précisément parce qu’on ne la voit jamais représentée. Nous avions déjà créé le personnage de Simon, qui est bisexuel, et c’est assumé et revendiqué. Il est très mature là-dessus. Ce n’est pas un sujet en soi dans la série. Puis, pendant nos recherches sur les questions d’identité sexuelle à l’adolescence, on a découvert cette communauté assez forte politiquement aussi. Ils et elles se battent pour que ça soit reconnu comme une orientation sexuelle. Pour qu’on ne leur explique pas en permanence que l’appétit vient en mangeant, etc. Ça peut être très violent comme genre d’injonctions aussi. Dans une société très sexuelle, il est intéressant de laisser de la place à autre chose, à un autre modèle. Donner aux asexuels une existence en fiction, c’est important. Ça crée des modèles identificatoires. Et le personnage en question en super sexy en l’occurrence. Mais pas sexuel. Il ne voit pas le désir qu’il peut provoquer. C’est intéressant.

Vous avez fait le choix de ne pas faire mention de la crise sanitaire. Pourquoi ?
M. M.-L. et V. L. :
Cela risquait de trop dater la série dans le temps. Et puis quand on a écrit, on ne pensait pas que ça durerait si longtemps. Pour autant, on traite de l’isolement, de l’angoisse, de la peur du lendemain. Ça existe déjà de toute façon. Et on espère que ça fera du bien aux jeunes qui traversent un moment difficile en ce moment de voir cela représenté à l’écran.

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