Alors que France Télévisions diffuse la saison 2 de Drag Race France, Causette a interrogé ses nouvelles candidates pour comprendre l'étonnant succès de ce show, qui vient dépoussiérer le vieillissant PAF à coup de paillettes et de bienveillance.
« Lorsqu'on était en train de créer cette magie dans le noir, je me disais : "Est-ce que la France est prête pour tout ce qu'on présente ?" » Il y a tout juste un an, dans le plus grand des secrets et avec une pointe de stress, la drag-queen Nicky Doll enregistre pour France Télévisions Drag Race France, adaptation française du programme culte américain RuPaul's Drag Race, dont la deuxième saison est actuellement en cours de diffusion.
Depuis quatorze ans, cette émission, menée par l'iconique RuPaul, voit s'affronter une dizaine d'artistes à travers des défis originaux et hilarants, dans les domaines de la mode, de la musique, du jeu ou de l'humour, pour être couronné·es la meilleure drag-queen. Le tout, saupoudré d'une bonne pincée d'humour et de kitsch. Adoubée par le public, elle connaît des déclinaisons un peu partout dans le monde, jusque dans l'Hexagone, en 2022 donc, sous l'impulsion de l'acteur et producteur Raphaël Cioffi, qui l'adapte de A à Z. À la présentation, Nicky Doll, qui a elle-même participé à la douzième saison américaine. À ses côtés, dans le jury, la présentatrice Daphné Bürki et le DJ Kiddy Smile.
Un sacré pari pour le service public, tant le show, queer et haut en couleur, ne ressemble à aucun autre dans le PAF : il lui faut à la fois convaincre un public large de se passionner pour cette compétition délirante et rassurer les reines de la nuit sur ses intentions. « On avait peur que l'émission soit dévastatrice pour notre économie et pour la scène drag locale, en ne mettant finalement en lumière que les candidates y participant », se souvient Cooky Kunty, une drag-queen parisienne déjà bien implantée, qui participe à la saison 2 du programme. « La télévision française n'est souvent pas l'écrin le plus adapté aux programmes queer, abonde Punani, une autre candidate de la saison 2. On avait peur qu'il y ait un côté "zoo avec des montres". »
Des candidates humaines et soudées
Avec sa saison 1, Drag Race France déjoue alors tous les pronostics. Tout l'été, l'Hexagone répond présent au phénomène. Comme en attestent ses bonnes audiences, avec toujours plusieurs centaines de milliers de téléspectateur·trices, dont 914.000 lors de sa première sur France 2, et l'enthousiasme sur les réseaux sociaux d'utilisateur·trices de tous les horizons. La tournée des candidates, souvent jouée à guichet fermé à travers la France, a fini de parachever l'engouement pour le show.
« Nos craintes se sont révélées infondées », affirme aujourd'hui Cookie, qui souligne la qualité de Drag Race France. Selon elle, son succès s'explique par son côté « artistique », « pédagogique » et « bienveillant » : « Tous les éléments étaient réunis. » L'émission a été adaptée « avec intelligence », note Punani, qui loue « l'ingéniosité de l'écriture » et la « sororité » qui en émane. « C'est un peu un OVNI, à mi-chemin entre le divertissement, l'éducation et la politique, poursuit cette dernière. Beaucoup de gens se sont retrouvés dedans, et pas que dans la communauté LGBT+. Des familles regardaient ensemble le programme. »
Au lieu de montrer des drag-queens bitchy et extrêmement compétitrices, Drag Race France va contre les clichés, avec des candidates humaines et soudées. Derrière les paillettes, elles se confient sur leurs histoires personnelles parfois minées de discriminations, discutent des combats qu'elles mènent et informent le public de sujets parfois encore tabous. La sérophobie, la discrimination de personnes séropositives, est ainsi abordée avec émotion, mais aussi de façon artistique, sur le podium. La candidate Lolita Banana s'affiche lors du runway (le défilé de fin d'émission) avec écrit « U=U » sur ses mains : un sigle qui rappelle qu'une personne avec une charge virale indétectable ne peut pas transmettre le VIH. Autre instant fort et culte chez les fans, lorsque Lolita Banana, toujours elle, doit affronter La Big Bertha lors d'un duel musical pour rester dans l'aventure. Au lieu de se battre, elles s'entraînent et finissent dans les bras l'une de l'autre, submergées par l'émotion. Un véritable moment de télé, extrêmement fort et cathartique, sur le puissant Corps de la chanteuse Yseult.
« La France avait besoin d'un tel programme »
Contre toute attente, ce succès surprise sur le petit écran a aussi eu l'effet d'« une vague qui emportait tout avec elle, permettant à toutes les queens de travailler et d'être respectées en tant qu'artistes », analyse Cookie Kunty. « De manière générale, les drags ont une visibilité beaucoup plus grande, abonde Rose, une autre candidate de la deuxième saison. On a plus de booking et de demandes pour apparaître dans des événements. Les cachets ont aussi augmenté grâce à la considération plus grande pour cet art. » Cette dernière note, néanmoins, que le drag « reste toujours un milieu très précaire », car il coûte cher, peut parfois être vu comme marginal et n'est considéré que depuis peu comme « un vrai travail ».
« La France avait besoin d'un tel programme », estime Keiona, une autre queen de la saison 2. Selon elle, « il fallait que les Français voient des personnes queer, qui fournissent un travail artistique énorme, et surtout qui elles sont derrière leur perruque et leur maquillage ». L'émission représente « un vaisseau qui vient informer, divertir et ouvrir les yeux autant des personnes hétéros que de la communauté LGBT+ », souligne-t-elle. « Il existe énormément de masculinité toxique dans le milieu hétéro mais aussi dans notre communauté, poursuit-elle. Certains jeunes garçons qui font du maquillage, mettent des paillettes et portent des mini-shorts vont automatiquement être catalogués comme folles. L’émission va aider les personnes LGBT+ à déconstruire tout cela et à accepter leur part de féminité. On ne devrait pas se juger les uns les autres alors qu'on est déjà jugés par le monde extérieur. »
Le programme « participe plus largement à normaliser les vécus des personnes LGBT+, à les rendre accessibles », analyse Cookie Kunty. Avant de poursuivre : « Les gens qui nous rejettent et ne veulent pas nous regarder ne le feront pas. Mais le public qui veut faire avancer les choses va se plonger dans l'émission pour en savoir plus et devenir un meilleur allié de nos causes. » L'année dernière, Causette s'était d'ailleurs entretenue avec plusieurs hommes hétérosexuels qui avaient expliqué avoir apprécié l'humour, la bienveillance et le côté éducatif du programme. Démontrant que Drag Race France plaît au-delà du genre et de l'orientation sexuelle. Et pas seulement aux adeptes des perruques colorées et des talons de dix centimètres.
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