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Les candidates de la saison 1 de Drag Race France (©Nathalie Guyon /France TV)

"Drag Race France" : retour sur le suc­cès sur­prise d'une émis­sion ovni, bien­veillante et inclusive

Alors que France Télévisions dif­fuse la sai­son 2 de Drag Race France, Causette a inter­ro­gé ses nou­velles can­di­dates pour com­prendre l'étonnant suc­cès de ce show, qui vient dépous­sié­rer le vieillis­sant PAF à coup de paillettes et de bienveillance.

« Lorsqu'on était en train de créer cette magie dans le noir, je me disais : "Est-​ce que la France est prête pour tout ce qu'on pré­sente ?" » Il y a tout juste un an, dans le plus grand des secrets et avec une pointe de stress, la drag-​queen Nicky Doll enre­gistre pour France Télévisions Drag Race France, adap­ta­tion fran­çaise du pro­gramme culte amé­ri­cain RuPaul's Drag Race, dont la deuxième sai­son est actuel­le­ment en cours de diffusion.

Depuis qua­torze ans, cette émis­sion, menée par l'iconique RuPaul, voit s'affronter une dizaine d'artistes à tra­vers des défis ori­gi­naux et hila­rants, dans les domaines de la mode, de la musique, du jeu ou de l'humour, pour être couronné·es la meilleure drag-​queen. Le tout, sau­pou­dré d'une bonne pin­cée d'humour et de kitsch. Adoubée par le public, elle connaît des décli­nai­sons un peu par­tout dans le monde, jusque dans l'Hexagone, en 2022 donc, sous l'impulsion de l'acteur et pro­duc­teur Raphaël Cioffi, qui l'adapte de A à Z. À la pré­sen­ta­tion, Nicky Doll, qui a elle-​même par­ti­ci­pé à la dou­zième sai­son amé­ri­caine. À ses côtés, dans le jury, la pré­sen­ta­trice Daphné Bürki et le DJ Kiddy Smile. 

Un sacré pari pour le ser­vice public, tant le show, queer et haut en cou­leur, ne res­semble à aucun autre dans le PAF : il lui faut à la fois convaincre un public large de se pas­sion­ner pour cette com­pé­ti­tion déli­rante et ras­su­rer les reines de la nuit sur ses inten­tions. « On avait peur que l'émission soit dévas­ta­trice pour notre éco­no­mie et pour la scène drag locale, en ne met­tant fina­le­ment en lumière que les can­di­dates y par­ti­ci­pant », se sou­vient Cooky Kunty, une drag-​queen pari­sienne déjà bien implan­tée, qui par­ti­cipe à la sai­son 2 du pro­gramme. « La télé­vi­sion fran­çaise n'est sou­vent pas l'écrin le plus adap­té aux pro­grammes queer, abonde Punani, une autre can­di­date de la sai­son 2. On avait peur qu'il y ait un côté "zoo avec des montres". »

À lire aus­si I « Il n'y a rien de plus fort que le diver­tis­se­ment pour ouvrir des débats et faire bou­ger les lignes » : Nicky Doll se confie à la veille du retour de "Drag Race France"

Des can­di­dates humaines et soudées

Avec sa sai­son 1, Drag Race France déjoue alors tous les pro­nos­tics. Tout l'été, l'Hexagone répond pré­sent au phé­no­mène. Comme en attestent ses bonnes audiences, avec tou­jours plu­sieurs cen­taines de mil­liers de téléspectateur·trices, dont 914.000 lors de sa pre­mière sur France 2, et l'enthousiasme sur les réseaux sociaux d'utilisateur·trices de tous les hori­zons. La tour­née des can­di­dates, sou­vent jouée à gui­chet fer­mé à tra­vers la France, a fini de par­ache­ver l'engouement pour le show.

« Nos craintes se sont révé­lées infon­dées », affirme aujourd'hui Cookie, qui sou­ligne la qua­li­té de Drag Race France. Selon elle, son suc­cès s'explique par son côté « artis­tique », « péda­go­gique » et « bien­veillant » : « Tous les élé­ments étaient réunis. » L'émission a été adap­tée « avec intel­li­gence », note Punani, qui loue « l'ingéniosité de l'écriture » et la « soro­ri­té » qui en émane. « C'est un peu un OVNI, à mi-​chemin entre le diver­tis­se­ment, l'éducation et la poli­tique, pour­suit cette der­nière. Beaucoup de gens se sont retrou­vés dedans, et pas que dans la com­mu­nau­té LGBT+. Des familles regar­daient ensemble le programme. »

Au lieu de mon­trer des drag-​queens bit­chy et extrê­me­ment com­pé­ti­trices, Drag Race France va contre les cli­chés, avec des can­di­dates humaines et sou­dées. Derrière les paillettes, elles se confient sur leurs his­toires per­son­nelles par­fois minées de dis­cri­mi­na­tions, dis­cutent des com­bats qu'elles mènent et informent le public de sujets par­fois encore tabous. La séro­pho­bie, la dis­cri­mi­na­tion de per­sonnes séro­po­si­tives, est ain­si abor­dée avec émo­tion, mais aus­si de façon artis­tique, sur le podium. La can­di­date Lolita Banana s'affiche lors du run­way (le défi­lé de fin d'émission) avec écrit « U=U » sur ses mains : un sigle qui rap­pelle qu'une per­sonne avec une charge virale indé­tec­table ne peut pas trans­mettre le VIH. Autre ins­tant fort et culte chez les fans, lorsque Lolita Banana, tou­jours elle, doit affron­ter La Big Bertha lors d'un duel musi­cal pour res­ter dans l'aventure. Au lieu de se battre, elles s'entraînent et finissent dans les bras l'une de l'autre, sub­mer­gées par l'émotion. Un véri­table moment de télé, extrê­me­ment fort et cathar­tique, sur le puis­sant Corps de la chan­teuse Yseult. 

« La France avait besoin d'un tel programme »

Contre toute attente, ce suc­cès sur­prise sur le petit écran a aus­si eu l'effet d'« une vague qui empor­tait tout avec elle, per­met­tant à toutes les queens de tra­vailler et d'être res­pec­tées en tant qu'artistes », ana­lyse Cookie Kunty. « De manière géné­rale, les drags ont une visi­bi­li­té beau­coup plus grande, abonde Rose, une autre can­di­date de la deuxième sai­son. On a plus de boo­king et de demandes pour appa­raître dans des évé­ne­ments. Les cachets ont aus­si aug­men­té grâce à la consi­dé­ra­tion plus grande pour cet art. » Cette der­nière note, néan­moins, que le drag « reste tou­jours un milieu très pré­caire », car il coûte cher, peut par­fois être vu comme mar­gi­nal et n'est consi­dé­ré que depuis peu comme « un vrai tra­vail ».

« La France avait besoin d'un tel pro­gramme », estime Keiona, une autre queen de la sai­son 2. Selon elle, « il fal­lait que les Français voient des per­sonnes queer, qui four­nissent un tra­vail artis­tique énorme, et sur­tout qui elles sont der­rière leur per­ruque et leur maquillage ». L'émission repré­sente « un vais­seau qui vient infor­mer, diver­tir et ouvrir les yeux autant des per­sonnes hété­ros que de la com­mu­nau­té LGBT+ », souligne-​t-​elle. « Il existe énor­mé­ment de mas­cu­li­ni­té toxique dans le milieu hété­ro mais aus­si dans notre com­mu­nau­té, poursuit-​elle. Certains jeunes gar­çons qui font du maquillage, mettent des paillettes et portent des mini-​shorts vont auto­ma­ti­que­ment être cata­lo­gués comme folles. L’émission va aider les per­sonnes LGBT+ à décons­truire tout cela et à accep­ter leur part de fémi­ni­té. On ne devrait pas se juger les uns les autres alors qu'on est déjà jugés par le monde exté­rieur. » 

Le pro­gramme « par­ti­cipe plus lar­ge­ment à nor­ma­li­ser les vécus des per­sonnes LGBT+, à les rendre acces­sible», ana­lyse Cookie Kunty. Avant de pour­suivre : « Les gens qui nous rejettent et ne veulent pas nous regar­der ne le feront pas. Mais le public qui veut faire avan­cer les choses va se plon­ger dans l'émission pour en savoir plus et deve­nir un meilleur allié de nos causes. » L'année der­nière, Causette s'était d'ailleurs entre­te­nue avec plu­sieurs hommes hété­ro­sexuels qui avaient expli­qué avoir appré­cié l'humour, la bien­veillance et le côté édu­ca­tif du pro­gramme. Démontrant que Drag Race France plaît au-​delà du genre et de l'orientation sexuelle. Et pas seule­ment aux adeptes des per­ruques colo­rées et des talons de dix centimètres.

À lire aus­si I « Drôle, bien­veillant et inclu­sif » : des hommes hété­ros racontent ce qu'ils ont pen­sé de "Drag Race France"

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