Avec ses vidéos truculentes et son spectacle à succès, elle soigne les réflexes des zygomatiques de milliers de Français·es. Dans un tout autre genre, l'ex-infirmière aux urgences et humoriste Caroline Estremo montera les marches du festival de Cannes le 9 juillet pour son rôle dans La Fracture, de Catherine Corsini.
![Caroline Estremo, le rire sanitaire 1 10092020 0022](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/06/10092020-0022-682x1024.jpg)
Qu'elle raconte un rendez-vous gynéco – « Aïe, ça fait mal ! Attention c'était mon col, pas un ticket à gratter ! » – ou qu'elle campe un infirmier – « Moi, la tenue taille 0, elle me va super bien. Enfin, remarque, elle me bloque un peu au niveau du biceps » -, Caroline Estremo fait rire avec ses mimiques et son charmant accent dans lequel roule un torrent de cailloux. A 33 ans, l'ancienne infirmière aux urgences du CHU de Toulouse semble avoir trouvé sa voie, celle de la comédie, et se régale de faire rire les gens après les avoir soignés. Une transition naturelle pour la Toulousaine qui n'était pas la dernière à faire des blagues en salle de pause, tant, explique-t-elle à Causette, « il y a le besoin d'exorciser tout ce qu'on voit passer aux urgences d'agressivité parfois ou de détresse face à la maladie ou à la mort. » Et Caroline, qui vient de publier Salle de pause (éditions First), une autobiographie dans laquelle elle retrace son parcours des blocs opératoires aux estrades qui accueillent son one-woman show, a toujours été de celles à « utiliser l'humour comme un bouclier pour dépasser les difficultés de la vie ».
Un jour de 2016, démangée par le souvenir de son rêve d'enfant – devenir comédienne -, la jeune infirmière publie une vidéo de huit minutes (une éternité eu égard aux actuels standards de l'économie de l'attention sur Internet !), face caméra, sur Youtube. Dedans, elle y raconte comment elle a claqué la porte de ses études de droit, subitement appelée par une vocation altruiste, pour devenir infirmière, comme sa mère. « Je suis allée en stage, et je me suis rendu compte qu'il y avait une coquille, s'amuse celle qui rappelle que le salaire à l'entrée dans la profession est de 1 600 euros par mois. Mais j'ai insisté. J'ai bien vu qu'elles tiraient toutes la gueule, qu'elles étaient toutes en dépression. Et concrètement, elles roulaient toutes en Clio, j'aurais dû avoir un "doubt". »
La vidéo touche dans le mille, avant tout la communauté des infirmières et des personnels soignants des urgences, qui se la partagent en masse. Des médias la contacte, la jeune femme est lancée. Caroline Estremo n'avait aucune intention de faire passer un message politique, mais, en choisissant de faire rire en parlant de son métier, elle ne peut s'empêcher de porter un regard acerbe sur ses conditions de travail. « J'ai toujours dit que je n'étais pas porte-parole de revendications, affirme-t-elle quand Causette soulève la question. Mais c'est un fait, les infirmières sont débordées et mal payées, je ne dis rien de nouveau. J'essaie simplement d'amener ces observations par l'humour, pour que le message passe, après, les gens en font ce qu'ils veulent. » Très vite, le franc-parler de cette jolie brune aux yeux noirs immenses et aux tâches de rousseur prononcées fait recette.
Faire rire et dédramatiser
Aujourd'hui, l'humoriste est suivie par plus de 46 000 personnes sur Instagram, « des soignants avant tout, leur amoureux ou amoureuse, mais aussi par de plus en plus de gens qui ne sont pas liés au milieu ». De temps à autres, elle partage à sa commu, ses « petits chats », ainsi qu'elle les surnomme, des morceaux d'intimité où apparaissent la femme de sa vie « Elo » et leur fille Erika, née d'une PMA en Espagne. Surtout, elle a monté le spectacle Infirmière sa mère, qui devait tourner en 2020 avant que la pandémie de Covid ne s'abatte sur la scène.
Dans la lignée de la vidéo qui l'a faite connaître, Infirmière sa mère est une catharsis drolatique d'un métier-courage où travailler relève souvent du sport de combat. Dans son autobiographie Salle de pause, la comédienne raconte d'ailleurs ces moments où les équipes doivent gérer des gens alcoolisés qui n'hésitent pas à déféquer devant les infirmier·ères pour faire part de leur mécontentement quant au manque de rapidité du service. En confrontation, les semaines de printemps 2020 où la jeune femme – qui avait dit au revoir à l'hôpital début 2020 pour se lancer définitivement dans la carrière de comédienne – n'a pas hésité à revenir travailler pour renforcer les équipes du CHU durant la première vague pandémique, lui ont parues presque calmes. « Pour accueillir au mieux les patients coronavirus, la direction de l'hôpital avait envoyé toute la "bobologie" aux cliniques de la ville, se souvient-elle. Par ailleurs, le sud-ouest a été très épargné par la première vague, comparé au nord et à l'est de la France. Donc cette période a certes été flippante car, comme tout le monde, nous ne savions pas comment nous protéger de ce virus inconnu, mais relativement calme chez nous. » La jeune femme profite de ce retour dans les couloirs de l'hôpital pour continuer à faire rire et « dédramatiser » la pandémie, en publiant sur son compte Instagram des pastilles « Merci Coco », dans lesquelles elle relaie les incongruités de l'organisation des unités Covid telles que racontées par ses followers en première ligne ou des perles de patient·es, comme ce couple qui emmène son enfant à l'hôpital pour cause de Covid sans se protéger tout en étant eux aussi porteurs du virus.
Aujourd'hui, le Covid semble loin derrière Caroline Estremo. On lui demande si, en tant qu'infirmière, elle a déjà été challengée par des anti-vax complotistes pénibles, mais non, les « petits chats » sont particulièrement bienveillants (et c'est sans doute pour ça qu'elle les appelle ainsi). Tout au plus, se remémore-t-elle, « le truc le plus méchant qu'un internaute m'ait dit, la vanne était exceptionnelle, c'est : "On pourrait faire atterrir un avion sur son nez". J'ai rigolé autant que j'ai été vexée. »
Des salles de pause aux salles de ciné
Caroline et son nez de caractère viennent de reprendre la scène là où ils l'ont laissée (les dates de la tournée sont ici). Et, mieux, elle s'apprête à monter, le 9 juillet, les marches du festival de Cannes, rien que ça ! La jeune femme a en effet décroché un petit rôle dans La Fracture, aux côtés de Valeria Bruni-Tedeschi, Marina Foïs et Pio Marmaï. Le film de Catherine Corsini sélectionné en compétition officielle s'inspire d'un événement de mai 2019, dans lequel plusieurs manifestant·es gilets jaunes avaient fait irruption avec fracas dans la Pitié-Salpêtrière à Paris pour se protéger de la police. Repérée en tant que professionnelle médicale sachant jouer par la casteuse, Caroline Estremo a dû ranger ses blagues au placard pour réaliser un autre rêve d'enfant : faire du cinoche. « J'avais fait un peu de théâtre durant mon adolescence, mais jouer au théâtre est très différent de jouer dans un one-woman show ou de faire du cinéma, détaille la comédienne. Le tournage était exigeant mais fantastique. Catherine Corsini tenait à ce que les scènes médicales soient les plus réalistes possibles, et demandait aux professionnels médicaux comme moi qui jouaient de ne pas hésiter à dire s'il y avait des choses incohérentes, qui relevaient plus de la série américaine que de notre quotidien de soignant. Là où j'ai été le plus à l'aise (rires), c'est les scènes de colère contre les patients insupportables, ça, je le tenais bien ! »
Un jour, elle le sait, le personnage d'infirmière sera un peu usé des planches, et il faudra passer à autre chose. « Ça tombe bien, j'ai plein d'idées ! »
![Caroline Estremo, le rire sanitaire 2 9782412069455ORI](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/06/9782412069455ORI.jpg)
Salle de pause, de Caroline Estremo, aux éditions First