Carole Karemera ©DR
Carole Karemera ©DR

30 ans du géno­cide : au Rwanda, Carole Karemera œuvre à la récon­ci­lia­tion des Hutus et des Tutsi par le théâtre

Alors que le Rwanda s’apprête à célé­brer, le 7 avril, le tren­tième anni­ver­saire du géno­cide de 1994, Causette a ren­con­tré l’artiste belge d’origine rwan­daise Carole Karemera, qui œuvre depuis bien­tôt vingt ans à la récon­ci­lia­tion des Hutu et des Tutsi par le théâtre.

Chaque réponse de Carole Karemera est ima­gée, pleine de poé­sie. Comme si elle déli­vrait des répliques de théâtre de sa voix chaude. Actrice, dan­seuse, saxo­pho­niste et met­teuse en scène, elle approche des 50 ans. Son pays, lui, approche d’un triste anni­ver­saire : les trente ans du géno­cide des Tutsi au Rwanda, qui s’est dérou­lé du 7 avril au 17 juillet 1994. En visio depuis Kigali, la capi­tale, elle détaille la pré­pa­ra­tion des com­mé­mo­ra­tions, pour les­quelles elle a enca­dré des jeunes artistes chargé·es de pen­ser la céré­mo­nie d’ouverture. “Pour la veillée de recueille­ment le 7 avril, nous fai­sons une grande marche à tra­vers Kigali jusqu’au stade Amahoro. L’objectif est d’embarquer le maxi­mum d’habitants, mais aus­si des gens à tra­vers le monde. Des artistes vont com­po­ser des uni­vers sonores que l’on pour­ra entendre dans une qua­ran­taine de lieux dans le monde. Au stade, durant toute la nuit, on écoute des témoi­gnages, des chants, des poèmes. Les gens font corps, pour se remémorer.” 

À Kigali, le stade Amahoro est un lieu char­gé de sym­boles. C’est là que près de 12 000 Tutsi s’étaient réfugié·es en avril 1994 pour échap­per aux tue­ries grâce à la pro­tec­tion de l’ONU. À cette époque, Carole Karemera vit en Belgique, où ses parents s’étaient expa­triés pour fuir les pre­miers mas­sacres contre les Tutsi, débu­tés bien avant 1994. À Bruxelles, elle étu­die au conser­va­toire natio­nal de théâtre et de danse, puis joue rapi­de­ment dans dif­fé­rentes créa­tions qui racontent le géno­cide. De 2000 à 2004, elle tient l’un des pre­miers rôles de la pièce Rwanda 94, de Jacques Delcuvellerie. Puis elle joue dans Quelques jours en avril, télé­film de Raoul Peck sur le drame rwandais.

En 2005, elle décide de s’installer dans son pays d’origine et ouvre, un an plus tard, avec sept autres femmes, l’Ishyo Arts Centre. Avec ce pro­jet, elle démo­cra­tise l’accès à la culture et œuvre pour la recons­truc­tion du Rwanda. Les pièces inter­ac­tives qu’elle crée se jouent dans les cafés, dans les rues, chez les gens. Ce “théâtre de répa­ra­tion” inves­tit l’espace public et panse les bles­sures tou­jours pré­sentes, car il per­met aux spec­ta­teurs et spec­ta­trices de dia­lo­guer sur leur his­toire com­mune. Après dix-​huit années de créa­tions, au Rwanda ou à l’international, elle veut pas­ser à autre chose. “On va essayer de ralen­tir le rythme de pro­duc­tion pour pré­ser­ver l’équipe de pro­duc­trices. D’autant que nous menons en paral­lèle un pro­jet de construc­tion d’un vrai théâtre, le pre­mier au Rwanda, que l’on pour­ra céder à la nou­velle géné­ra­tion d’artistes. Je veux lais­ser un héri­tage, une trace un peu plus indé­lé­bile que ce que j’ai fait jusqu’à pré­sent avec le théâtre de rue.” La Fabrik devrait ain­si voir le jour en 2027, sous la forme d’un lieu de créa­tion plu­ri­dis­ci­pli­naire, qui accueille­ra les publics sco­laires pour faire de l’éducation artis­tique et fera col­la­bo­rer une com­mu­nau­té d’artistes à l’échelle du pays, voire du conti­nent. 
Trente ans après le géno­cide, une nou­velle géné­ra­tion d’artistes com­mence à poin­ter son nez. En février, le Rwanda a orga­ni­sé la pre­mière trien­nale de Kigali, immense évé­ne­ment cultu­rel qui a mis en lumière les artistes du pays, mais a éga­le­ment fait venir de nom­breux acteurs inter­na­tio­naux du monde de la culture. De quoi réjouir Carole Karemera. “Ma géné­ra­tion était dans la vigi­lance, dans la peur de ne pas être à la hau­teur des morts. La géné­ra­tion des 20–25 ans est éton­nam­ment plus libre. Elle porte la res­pon­sa­bi­li­té avec grâce, elle voit de la lumière et ça se res­sent dans la dyna­mique artis­tique. Le Rwanda est leur matière pre­mière. Cette géné­ra­tion a tou­jours un far­deau à por­ter, mais on peut lui faire confiance pour tenir la barre du pays.”

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.