La mobilisation #WhenIwas15, lancée cet été par l’écrivain contre la censure d’un livre pour ados, est devenue aujourd’hui un recueil, Lire et dire le désir, dont une partie des bénéfices sera reversée au Planning familial. Entretien.
Le 17 juillet dernier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin annonçait l’interdiction de la vente aux mineur·es du livre de Manu Causse, Bien trop petit, paru en 2022 chez Thierry Magnier qui faisait partie d’une collection érotique à destination des ados. Selon l'arrêté pris par le ministre, l'ouvrage constituait "un contenu à caractère pornographique, présentant de ce fait un danger pour les mineurs qui pourraient l'acquérir ou le consulter".“Thierry Magnier n’est pas un dangereux pornographe, s’emporte encore aujourd'hui l'écrivain Nicolas Mathieu. Cette censure est d’autant plus aberrante que des gens comme Manu Causse font de la littérature exprès pour aider les ados à se décomplexer. Ils jouent un vrai rôle d’accompagnement et de pédagogie.”
En réaction à cette censure, l'auteur de Nos enfants après nous et de Connemara lançait dans la foulée sur son compte Instagram le hashtag #WhenIWas15, invitant les internautes à lui envoyer des récits de leurs premiers émois littéraires. L’initiative rencontre alors un succès fulgurant et il reçoit près de cinq cents textes. Il se souvient : “Certains étaient très bons, très politiques, et disaient des choses sur la vie des gens et à quel point les livres les aidaient à s’émanciper, notamment dans des situations de domination.” Rapidement, l’auteur et l’éditeur Thierry Magnier décident de les publier et c'est ce livre qui sort aujourd'hui : “Les lecteurs eux-mêmes me disaient qu’il ne fallait pas que ça se perde,” avance-t-il. “Et puis c’est une bonne vengeance [rires] ! Ce livre est un petit acte de résistance par rapport à la censure et il permet de donner de l’argent à un organisme qu’on aime bien, le Planning familial.”
Rétrospectivement, l'écrivain s’interroge sur cette affaire : “Il est choquant qu’une petite commission [la Commission de surveillance des publications jeunesse, ndlr] demande à un ministre d’interdire un livre alors qu’en trois clics on a accès à toute la pornographie que l’on veut. Je me demande bien quelle association ou quel groupe ont signalé ce livre au ministre”,
Vengeance : soixante-dix témoignages sont ainsi compilés dans un livre, Lire et dire le désir, assortis d’une préface de Nicolas Mathieu et d’une note de Manu Causse, l’auteur incriminé. On y trouve aussi bien des anonymes que des personnalités, comme les autrices jeunesse Melody Gornet et Jessie Magana, qui apportent leur soutien à la liberté d’expression. “Dans l’un des textes, une jeune femme égyptienne raconte qu’elle travaillait dans une librairie française au Caire et que des livres étaient renvoyés car jugés licencieux. Grâce à eux, elle s’est rendu compte qu’on pouvait faire l’amour hors mariage, qu’ils avaient une vraie puissance émancipatrice.” Nicolas Mathieu relève que peu d’hommes ont participé à cette initiative épistolaire et mémorielle. “Parmi les seuls qui m’ont écrit, il y a cet homme qui raconte la découverte de son homosexualité dans une petite ville de province et la lecture d’Armistead Maupin [Les chroniques de San Francisco]. Ça l’a libéré, ça lui a ouvert le champ des possibles”.
Régine Deforges et Sade sous les draps
Parmi les témoignages sélectionnés dans Lire et dire le désir, on trouve de nombreux souvenirs moites et récits de premières fois : “Il y a des textes olé olé réjouissants, et un côté rétro et nostalgique,” s’amuse l’écrivain. Parmi les références littéraires ayant servi de support masturbatoire aux lecteur·rices pour découvrir leur corps, citons La Bicyclette bleue (1981) de Régine Deforges, les polars sulfureux SAS de Gérard de Villiers ou encore le classique SM de Sade. Nicolas Mathieu lui-même se souvient de la lecture émoustillée de la revue Métal hurlant, dénichée à la bibliothèque municipale. “Il y avait aussi Wilbur Smith, un auteur zambien que lisait ma mère. Puis Arthur Miller.”
Il conclut, à propos de la publication du recueil : “Tout cela m’a confirmé dans mes intuitions, à savoir que la littérature éveille les sens, qu’elle a tout à voir avec les premiers émois.”
![Sortie du livre #WhenIwas15 coordonné par Nicolas Mathieu : “C'est un petit acte de résistance par rapport à la censure” 2 couvbandeau](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2023/10/couvbandeau-582x1024.png)
#WhenIwas15. Lire et dire le désir, préface de Nicolas Mathieu. Éditions Thierry Magnier, 176 pages, 10 euros. En librairie.
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