Deux universitaires, Marie Mathieu et Laurine Thizy, font le point sur la recherche en sciences sociales autour de l’avortement et de son actualité dans un essai éclairant, Sociologie de l’avortement (La Découverte).
Causette : Vous parlez de « travail abortif », en quoi consiste-t-il ?
Marie Mathieu : Il y a d’abord le « travail procréatif », un ensemble de tâches liées à la procréation et à la non-procréation (comme les consultations gynécologiques). Parmi ces séquences, il y a l’avortement, qui concerne à la fois le travail des femmes et des professionnel·les de soin. À côté de la méthode par aspiration, la méthode médicamenteuse délègue une partie du travail abortif aux femmes. Cette redistribution du travail donne à voir des tâches relativement invisibilisées et permet de mettre l’accent sur le fait que c’est du temps, de l’énergie et de la charge mentale.
Pourquoi l’avortement continue-t-il d’être stigmatisé aujourd’hui ?
Laurine Thizy : La stigmatisation n’est pas liée à l’avortement en lui-même, mais à l’état actuel des rapports de genre, c’est-à-dire à la position de pouvoir de la classe des hommes. En France, il est à peu près toléré d’avorter, mais le problème est la publicisation de cet acte. Le dire trop fort, c’est remettre en cause la norme de genre, signaler aux hommes qu’ils sont fertiles 100 % du temps et responsables, et que le destin féminin ne se pense pas nécessairement par rapport à la maternité.
Quelles sont les inégalités abortives qui persistent ?
M.M. : Il existe toujours des inégalités par rapport à l’information sur l’avortement. Mais aussi des inégalités d’accès, avec des disparités territoriales et des trajets plus ou moins longs. Et des disparités sur le choix de la méthode, car l’offre de service est inégale sur l’ensemble du territoire.
Il y a le projet d’inscrire l’IVG dans la Constitution, mais aussi des attaques contre des Plannings familiaux…
M.M. : Il y a eu le signal fort envoyé par la remise en question de Roe v. Wade aux États-Unis ou, chez nous, la pénurie de misoprostol [un composant de la pilule abortive]. Quant à l’inscription dans la Constitution, elle n’est toujours pas actée, et le texte rediscuté au Sénat a été dénaturé.
L.T. : Ce que l’on voit, c’est que c’est un sujet qu’on ne pourra jamais tenir pour acquis, quand bien même, en France, il est relativement accessible et défendu par les pouvoirs publics. C’est un acte qui continue toujours à poser question.
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