Violences sexuelles : "Une sur trois", une expo entre pho­to et art thérapie

Jusqu'au 20 mars à Paris, la pho­to­graphe Juliette Dupuis Carle expose Une sur trois, un tra­vail pho­to­gra­phique don­nant à voir les stig­mates, phy­siques et psy­chiques, des vio­lences sexuelles. Et redon­nant aux femmes vic­times le pou­voir sur leur histoire.

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Une sur trois, c'est le nombre de femmes dans le monde qui, au cours de leurs vies, seront vic­times de vio­lences sexuelles. C'est un chiffre ver­ti­gi­neux, que la pho­to­graphe Juliette Dupuis Carle s'applique à mettre en images dans Une sur trois, visible actuel­le­ment et jusqu'au 20 mars à l'Espace Beaurepaire (Paris Xème). Un finan­ce­ment par­ti­ci­pa­tif a été néces­saire pour louer le lieu qui se visite gra­tui­te­ment : son suc­cès montre pro­ba­ble­ment qu'après la défla­gra­tion #MeToo, après la mobi­li­sa­tion #NousToutes, nous sommes dans un moment col­lec­tif où nous avons envie et besoin de voir ce qui n'a pas été vu pen­dant si long­temps : l'ampleur des vio­lences sexuelles, qu'elles soient com­mises sur des enfants ou des adultes et les traces qu'elles laissent sur la peau ou dans l'esprit des victimes.

Dans Une sur trois, donc, Juliette Dupuis Carle a pro­po­sé à une tren­taine de femmes de réa­li­ser une pho­to­gra­phie qui montre les stig­mates, qu'ils soient visibles de prime abord ou pas, de viols par­fois inces­tueux ou d'agressions sexuelles. « Le corps me paraît le meilleur spectre pour expri­mer nos émo­tions », explique la jeune femme. Sur les pho­tos, les corps montrent les cica­trices ou la mai­greur, par­fois ils se contor­sionnent, d'autres fois ils paraissent inertes, allon­gés sur le sol, pour dire la dou­leur des âmes. Sabrina – 32 ans, vic­time d'inceste entre ses 4 et 9 ans – Gaëlle – 41 ans, vic­time d'agressions phy­siques et sexuelles et de viols conju­gaux de ses 21 à 37 ans – ou encore Nathalie, 55 ans, agres­sée à l'âge de 18 ans : toutes ont accep­té de faire confiance à Juliette Dupuis Carle à l'occasion d'une séance pho­to dont l'objet était de faire sur­gir les émo­tions enfouies. « Je ne leur par­lais pas de ce qu'elles avaient vécu car mon sujet, c'était leurs émo­tions, pas leur his­toire, raconte à Causette Juliette Dupuis Carle. Quand elles arri­vaient, cer­taines avaient une idée très claire de ce qu'elles vou­laient mon­trer ou pas [par­fois, la pho­to cap­ture des habits sans corps pour les por­ter, ndlr.] Dans tous les cas, le choix de la pho­to expo­sée est celui du modèle. »

« La pho­to­gra­phie devient la preuve que ce qu'on éprouve est réel, que ce qui nous angoisse est pré­sent et justifié. »

Juliette Dupuis Carle
©JDCarle Maëvane
Maëvane © Juliette Dupuis Carle

La pho­to­graphe tra­vaille en effet dans une démarche d'art thé­ra­pie. « L'enjeu est que ces femmes s'approprient le tra­vail que nous réa­li­sons ensemble car je crois que la pho­to peut aider à se recon­nec­ter avec un corps mal­me­né : elle apporte de la lumière sur les corps et devient la preuve que ce qu'on éprouve est réel, que ce qui nous angoisse est pré­sent et jus­ti­fié. Cela tient lieu de maté­ria­li­sa­tion, notam­ment pour celles qui n'ont pas pu avoir droit à la jus­tice. » En paral­lèle, l'artiste a deman­dé aux femmes d'écrire un texte libre qui accom­pagne chaque pho­to expo­sée. En prose ou par­fois en vers, cha­cun de ces textes est un upper­cut sur l'angoisse, le stress post-​traumatique, la honte, le déses­poir, la confu­sion des sen­ti­ments, les mon­tagnes russes émo­tion­nelles res­sen­ties depuis le viol, ou depuis qu'elles s'en sou­viennent puisque plu­sieurs de ces femmes ont vécu une amné­sie trau­ma­tique après avoir été vio­lées durant l'enfance. « Si rond j'ai fait le dos /​Pour ne pas tra­hir les deux com­pères /​Ça m'a coû­té la peau /​L'eczéma s'est fait soli­daire /​De cette éner­gie soli­daire /​Que je sen­tais de père en père » écrit par exemple Maëvane, 29 ans, vic­time d'inceste à l'âge de 4 ans. D'autres encore ont axé leurs écrits sur la façon dont elles cherchent à reprendre pied, à se réap­pro­prier leurs his­toires et leurs vies un temps volées. « Les années passent. Parfois je vis. Parfois pas. Sans cesse, je doute, redoute, renonce, pour­ris puis revis. Une véri­table héroïne en somme », écrit ain­si Sabrina.

Ce dis­po­si­tif « photo-​témoin » – texte libre est com­plé­té par un por­trait où les modèles posent assises sur fond blanc, les yeux droits dans l'objectif pour, dit Juliette Dupuis Carle, « cap­ter l'attention du visi­teur ». Pour sa pho­to por­trait, Sabrina pose dans un pull vio­let. Hasard ? C'est la même cou­leur de la robe de la petite fille appro­chée par son agres­seur dans le pre­mier sou­ve­nir reve­nu à Sabrina. On le com­prend alors aisé­ment : si les visiteur·rices ne sortent pas indemnes de cette expo­si­tion, nom­breuses sont les modèles qui ont confié à Juliette Dupuis Carle avoir déblo­qué quelque chose en elles en par­ti­ci­pant à cette œuvre de rési­lience collective.

©JDCarle Triptyque Sabrina
Sabrina © Juliette Dupuis Carle 

Lire aus­si l Reportage : avec de l’or, Laetitia Lesaffre répare sym­bo­li­que­ment les femmes vic­times de violences

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