478 BnF2022cMaison d Izieu
L’histoire d’Ivan Tsarawitch, l’un des trois grands rouleaux pour lanterne magique créés par les enfants d’Izieu en 1943-1944. © Maison d'Izieu

Expo : les des­sins réani­més des enfants juifs abri­tés durant la guerre à Izieu

Entre 1943 et 1944, la Maison d’Izieu, dans l’Ain, sert d’abri à une cen­taine d’enfants juif·ves de toute l’Europe. Dans cette paren­thèse d’insouciance, les petit·es pen­sion­naires bri­colent des his­toires fan­tas­tiques, pro­je­tées par une lan­terne magique. Celles-​ci reprennent vie aujourd’hui grâce à une expo­si­tion où sont pré­sen­tés, pour la pre­mière fois, les des­sins et lettres des petit·es réfugié·es.

Il en impose, Ivan Tsarawitch. C’est un guer­rier des steppes de Crimée, visage acé­ré sous sa toque de cosaque, tunique rouge sang, sabre à la main. On ima­gine l’excitation qui par­cou­rait le public quand, le soir, sa sil­houette sur­gis­sait sur les murs de la Maison d’Izieu (Ain), entre 1943 et 1944. Dans l’assistance, Liliane, Max, Otto, Sarah, Esther, Hans… Des enfants juif·ves, de 4 à 17 ans, qui ont trou­vé refuge au sein de cette bâtisse de pierre blanche. Ivan Tsarawitch, mais aus­si Le Trésor du capi­taine Blood et À la pour­suite du ban­dit : les enfants ont éla­bo­ré trois scé­na­rios, puis des­si­né et colo­rié les scènes sur des rou­leaux de papier de 1,80 mètre de long. À la nuit tom­bée, ils pro­jettent ces des­sins ani­més à la lueur d’une bou­gie, jouent les dia­logues et les brui­tages en direct. Un ciné­ma de bouts de ficelle, une échap­pée vers des mondes d’aventures, tan­dis que l’Europe s’enfonce dans la désolation.

Les premier·ères enfants sont arrivé·es dans la demeure, alors appe­lée « colo­nie », en mai 1943. « La plu­part avaient été sor­tis des camps admi­nis­trés par Vichy dans le sud de la France par des assis­tantes sociales d’une orga­ni­sa­tion d’entraide juive », relate Dominique Vidaud, direc­teur de la Maison d’Izieu, deve­nue un lieu de mémoire. À par­tir de 1942, après l’invasion de la zone libre, les Allemands confient à leurs alliés ita­liens l’administration des dépar­te­ments à l’est du Rhône. Les juif·ves y sont tou­te­fois moins menacé·es que dans les autres zones occu­pées, où opère la Gestapo. « Les auto­ri­tés de la zone d’occupation ita­lienne sont par­fois inter­venues pour faire libé­rer des familles juives », indique Dominique Vidaud. Faute de mieux, les asso­cia­tions qui s’efforcent de mettre à l’abri les enfants juif·ves s’installent dans la région, espé­rant y trou­ver refuge. 

Sabine Zlatin est membre de l’une d’elles, l’Œuvre de secours aux enfants (OSE). Cette tren­te­naire juive, fran­çaise d’origine polo­naise, est arri­vée en France dans les années 1920, comme son mari, Miron, venu de Russie. En 1940, le couple quitte la ferme où il s’était ins­tal­lé pour se réfu­gier à Montpellier. Sabine exerce comme infir­mière mili­taire de la Croix-​Rouge, avant d’être congé­diée par les lois antisémites.

Préserver les mômes du chaos 

Poussés par le pré­fet de l’Hérault, qui s’investit dans la mise à l’abri des enfants juif·ves, Sabine et Miron emmènent une poi­gnée d’entre eux·elles se réfu­gier en zone d’occupation ita­lienne. Un sous-​préfet de l’Ain met à leur dis­po­si­tion une grande mai­son inoc­cu­pée d’Izieu, un vil­lage aux confins de la Chartreuse et du Vercors. D’autres enfants affluent. En moins d’un an, la demeure per­due dans les col­lines devient une deuxième famille pour 105 d’entre eux·elles. S’ils·elles ont été exfiltré·es des camps du sud de la France, la plu­part sont né·es bien plus loin. Leurs parents ont quit­té la Pologne, ­l’Allemagne, l’Autriche ou encore la Hongrie les années pré­cé­dentes, espé­rant échap­per, en France, aux lois anti­sé­mites et à la menace de la déportation…

À Izieu, tout est fait pour pré­ser­ver les mômes du chaos. Les pro­té­ger, c’est aus­si leur offrir la liber­té de s’amuser, de jouer, de chan­ter, de rêver. L’été, il règne un air de grandes vacances. On se baigne dans le Rhône, on jar­dine pen­dant que les plus âgé·es bri­colent. Les enfants sont encadré·es par des membres des orga­ni­sa­tions d’entraide, sous la direc­tion de Sabine et de Miron. L’Inspection aca­dé­mique envoie aus­si une ins­ti­tu­trice. Le cui­si­nier de 24 ans ini­tie les enfants à l’art de la bande des­si­née, pro­je­tée ensuite à la lan­terne magique. Indiens et cow-​boys, chasse aux tigres, his­toires de cape et d’épée… Les des­sins sont truf­fés de réfé­rences à la culture popu­laire de l’époque.

Un tré­sor redé­cou­vert en 2020

Les réfugié·es ne res­tent par­fois que quelques semaines avant que des proches viennent les récu­pé­rer. Certain·es par­viennent à fuir en Suisse. Mais la bulle d’Izieu finit par se fis­su­rer. À l’automne 1943, lorsque l’Italie capi­tule face aux Alliés, l’Allemagne reprend la main sur le sud-​est de la France, les dépor­ta­tions s’accélèrent. Le 6 avril 1944, la Gestapo déboule devant la colo­nie. L’ordre vient de Klaus Barbie, l’un des res­pon­sables de la police poli­tique à Lyon. Le télex qui rend compte de la dépor­ta­tion des enfants joue­ra un rôle déter­mi­nant dans sa condam­na­tion, en 1987, pour crime contre l’humanité. Quarante-​quatre enfants ain­si que sept édu­ca­teurs et édu­ca­trices sont arrêté·es. La quasi-​totalité d’entre eux·elles est assas­si­née à leur arri­vée à Auschwitz ou fusillée. Seule une adulte sur­vi­vra à la déportation.

Ce jour-​là, Sabine Zlatin s’était absen­tée de la mai­son quand la Gestapo est arri­vée. Elle échappe à la rafle. De retour à Izieu, elle empa­quette les affaires des enfants et finit la guerre à Paris, dans la Résistance. En 1945, elle accueille les rescapé·es des camps à l’hôtel Lutetia. Pendant près de qua­rante ans, les bandes des­si­nées, mais aus­si d’autres cro­quis, pho­tos, lettres et petits mots, prières et cartes d’anniversaire, dorment dans ses archives. « Soigneusement gar­dés, jamais regar­dés car trop lourds de sou­ve­nirs », écrit-​elle en 1994, un an après avoir confié la mémoire des enfants d’Izieu à la Bibliothèque natio­nale de France (BNF).

Pendant plu­sieurs années encore, le petit tré­sor som­meille au dépar­te­ment des estampes. Puis un conser­va­teur le redé­couvre et, en 2020, l’équipe qui veille sur la mémoire de la Maison d’Izieu est prise d’une idée folle : « Prolonger le geste des enfants de 1944 », résume Dominique Vidaud, en redon­nant vie à Ivan Tsarawitch. L’école d’art Émile-​Cohl, à Lyon, accepte de créer un petit film à par­tir des planches scan­nées, com­plé­tées et ani­mées. L’enregistrement de la nar­ra­tion et des brui­tages est confié à des élèves primo-arrivant·es en France, comme un pont entre deux géné­ra­tions de l’exil : ils·elles frappent leurs mains sur leur poi­trine pour faire galo­per les che­vaux des Tatars, claquent deux livres l’un contre l’autre pour les coups de feu.

Depuis le 6 avril, Ivan Tsarawitch, res­sus­ci­té par l’animation, est pro­je­té à Izieu comme lors des soi­rées de 1943–1944. Des des­sins et docu­ments ori­gi­naux, prê­tés par la BNF et l’avocat Serge Klarsfeld, sont expo­sés pour la pre­mière fois. Dominique Vidaud aime pré­sen­ter la Maison comme un des rares mémo­riaux « où des enfants ont vécu heu­reux ». Ce n’est pas une flamme qui ravive leur sou­ve­nir aujourd’hui, mais une lan­terne magique.

Exposition Couleurs de l’insouciance. Paroles et images des enfants de la Maison d’Izieu dans les col­lec­tions de la BNF, à la Maison d’Izieu (Ain), jusqu’au 6 juillet. 

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