L'Institut du monde arabe à Paris expose jusqu'au 19 février des artistes LGBT+, queer et allié·es, qui ont en commun de proposer des représentations amoureuses et sexuelles repoussant les limites du genre imposé.
![Expo "Habibi, les révolutions de l'amour" : (ré)jouissances queer à l'Institut du monde arabe 1 Alireza Shojaian Sous le ciel de Shiraz Arthur c Alireza Shojaian](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/09/Alireza-Shojaian-Sous-le-ciel-de-Shiraz-Arthur-c-Alireza-Shojaian--772x1024.jpg)
A le voir déambuler pensif dans les salles de l'Institut du monde arabe (IMA) à Paris, son regard tentant de s'accrocher aux oeuvres accrochées aux murs, on se dit qu'Alireza Shojaian a l'air fatigué de ceux qui n'ont pas beaucoup dormi. Il faut dire que, la veille, le vernissage de Habibi, les révolutions de l'amour semble avoir été festif, à en juger des vestiges de paillettes qui parsèment encore le visage de la commissaire d'exposition, Elodie Bouffard. Elle interrompt le commentaire d'oeuvre qu'elle nous prodiguait, le salue. On est ravies de mettre la main sur l'artiste iranien car c'est un peu la vedette du moment. L'un de ses tableaux, Sous le ciel de Shiraz, Arthur, a été choisi pour l'affiche de l'expo.
« Le personnage blanc sur l'épaule d'Arthur, c'est un djinn, un diablotin, à la manière des représentations traditionnelles de l'école de miniature de Shiraz, explique-t-il. Mon ambition avec ce tableau était de mélanger les influences persanes et occidentales et le nom de cette série est lié à ce que j'ai appris durant mon exil : lorsque ta terre natale te manque, une manière de te consoler est de considérer que le ciel que ce sont les mêmes étoiles que tu vois la nuit, à Paris comme à Téhéran. » Les yeux mélancoliques d'Alireza Shojaian, né en 1988 et vivant en France depuis quelques années après un passage à Beyrouth, s'illuminent lorsqu'on lui explique qu'on travaille pour un magazine féministe. « C'est important, ce qui se passe maintenant en Iran, vous savez, dit-il avec précipitation. Nous, hommes queer, nous ne pouvons qu'être solidaires avec les femmes qui meurent en ce moment pour leur liberté. Parce que même si elles représentent la moitié de la population, les Iraniennes ont le même statut de minorité que nous. »
On comprend, en l'écoutant, l'enjeu de visibilité que représente pour les artistes sélectioné·es issu·es du Mahgreb et des Proche et Moyen-Orient cette exposition dans l'institution IMA. Chacun·e à leur manière – peinture, bande dessinée, photographie, vidéo, installations – participe à la culture underground LGBT de ces pays, où l'homophobie d'Etat peut encore vous coûter la prison ou la vie. Comme pour conjurer la répression, l'intolérance et la peur, de nombreuses oeuvres proposées dans Habibi explosent de mille couleurs comme autant de revendications de joie, d'amour, de liberté et d'affirmation de soi. Ce sont les dessins interlopes du Marocain Soufiane Ababri (voir ci-dessous), les réinterprétations voluptueuses des miniatures de l'art musulman de la Libanaise Chaza Charafeddine (voir ci-dessous), ou encore les auto-portraits drag de la Tunisienne Khookha McQueer, performeuse transgenre non binaire.
Amour en bouteille et suppositoires
Beaucoup de ces artistes, comme Alireza Shojaian, ont rejoint Paris pour pouvoir exprimer librement leur art. La Tunisienne Aïcha Snoussi en fait partie. « Dans son installation Sépulture aux noyé·es, Aïcha invente les Tchech, une civilisation queer installée dans la Méditerranée sur l'île de Zembra il y a 7 000 ans, nous explique Elodie Bouffard devant une pyramide de bouteilles renfermant des messages calligraphiés en arabe (voir ci-dessous). Les Tchech partaient pour de nombreuses expéditions maritimes et, lorsque un amant ou une amante ne revenait pas, celui ou celle qui l'aimait ajoutait à un monticule une bouteille contenant un message d'amour, afin que leur mémoire reste vivante. »
Souvent onirique et poétique, Habibi laisse aussi la place à la dénonciation et aux revendications. Ainsi de l'ironique installation du Saoudien Raed Ibrahim qui, depuis la Jordanie, immagine Gayom, des suppositoires qui rendent les homosexuel·les « normaux ». En mélangeant les oeuvres de ces artistes étranger·ères à celles de Français·es issu·es de l'immigration, l'expo donne à voir une scène locale préoccupée par l'intersectionnalité des luttes. Dans Djinn, une série photo, la Franco-algérienne Camille Lenain capture les portraits de Français·es queer et de culture musulmane. Chaque photo est accompagnée d'une citation issue d'une conversation sur les discriminations doubles de la queerphobie, du racisme et de l'islamophobie. L'une d'elle (voir ci-dessous) dit ainsi : « C'est à travers le regard des autres que tu peux dire que je suis une femme trans, marocaine et musulmane, ou whatever the fuck you see. Mais de moi à moi-même, je suis juste une bête de meuf qui s'appelle Laila Rami. » Une réjouissante ôde collective à la liberté d'être soi.
![Expo "Habibi, les révolutions de l'amour" : (ré)jouissances queer à l'Institut du monde arabe 2 Soufiane Ababri Bed Work c Philippe Fuzeau 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/09/Soufiane-Ababri-Bed-Work-c-Philippe-Fuzeau-1-801x1024.jpg)
![Expo "Habibi, les révolutions de l'amour" : (ré)jouissances queer à l'Institut du monde arabe 3 Chaza Charafeddine LAnge Gardien II Divine comedy series c Chaza Charafeddine](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/09/Chaza-Charafeddine-LAnge-Gardien-II-Divine-comedy-series-c-Chaza-Charafeddine-682x1024.jpg)
© Chaza Charafeddine
![Expo "Habibi, les révolutions de l'amour" : (ré)jouissances queer à l'Institut du monde arabe 4 Aïcha Snoussi Sépulture aux noyé.e.s© Marc Domage 4](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/09/Aïcha-Snoussi-Sépulture-aux-noyé.e.s©-Marc-Domage-4-1024x658.jpg)
![Expo "Habibi, les révolutions de l'amour" : (ré)jouissances queer à l'Institut du monde arabe 5 CamilleLenain Lalla RamiBoulogne c Camille Lenain](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/09/CamilleLenain-Lalla-RamiBoulogne-c-Camille-Lenain-819x1024.jpg)
Habibi, les révolutions de l'amour, à l'Institut du monde arabe, jusqu'au 19 février 2023. De nombreux rendez-vous (cinéma, conférences) ponctueront ces mois d'exposition.