Expo "Habibi, les révo­lu­tions de l'amour" : (ré)jouissances queer à l'Institut du monde arabe

L'Institut du monde arabe à Paris expose jusqu'au 19 février des artistes LGBT+, queer et allié·es, qui ont en com­mun de pro­po­ser des repré­sen­ta­tions amou­reuses et sexuelles repous­sant les limites du genre imposé.

Alireza Shojaian Sous le ciel de Shiraz Arthur c Alireza Shojaian
Sous le ciel de Shiraz, Arthur © Alireza Shojaian

A le voir déam­bu­ler pen­sif dans les salles de l'Institut du monde arabe (IMA) à Paris, son regard ten­tant de s'accrocher aux oeuvres accro­chées aux murs, on se dit qu'Alireza Shojaian a l'air fati­gué de ceux qui n'ont pas beau­coup dor­mi. Il faut dire que, la veille, le ver­nis­sage de Habibi, les révo­lu­tions de l'amour semble avoir été fes­tif, à en juger des ves­tiges de paillettes qui par­sèment encore le visage de la com­mis­saire d'exposition, Elodie Bouffard. Elle inter­rompt le com­men­taire d'oeuvre qu'elle nous pro­di­guait, le salue. On est ravies de mettre la main sur l'artiste ira­nien car c'est un peu la vedette du moment. L'un de ses tableaux, Sous le ciel de Shiraz, Arthur, a été choi­si pour l'affiche de l'expo.

« Le per­son­nage blanc sur l'épaule d'Arthur, c'est un djinn, un dia­blo­tin, à la manière des repré­sen­ta­tions tra­di­tion­nelles de l'école de minia­ture de Shiraz, explique-​t-​il. Mon ambi­tion avec ce tableau était de mélan­ger les influences per­sanes et occi­den­tales et le nom de cette série est lié à ce que j'ai appris durant mon exil : lorsque ta terre natale te manque, une manière de te conso­ler est de consi­dé­rer que le ciel que ce sont les mêmes étoiles que tu vois la nuit, à Paris comme à Téhéran. » Les yeux mélan­co­liques d'Alireza Shojaian, né en 1988 et vivant en France depuis quelques années après un pas­sage à Beyrouth, s'illuminent lorsqu'on lui explique qu'on tra­vaille pour un maga­zine fémi­niste. « C'est impor­tant, ce qui se passe main­te­nant en Iran, vous savez, dit-​il avec pré­ci­pi­ta­tion. Nous, hommes queer, nous ne pou­vons qu'être soli­daires avec les femmes qui meurent en ce moment pour leur liber­té. Parce que même si elles repré­sentent la moi­tié de la popu­la­tion, les Iraniennes ont le même sta­tut de mino­ri­té que nous. »

On com­prend, en l'écoutant, l'enjeu de visi­bi­li­té que repré­sente pour les artistes sélectioné·es issu·es du Mahgreb et des Proche et Moyen-​Orient cette expo­si­tion dans l'institution IMA. Chacun·e à leur manière – pein­ture, bande des­si­née, pho­to­gra­phie, vidéo, ins­tal­la­tions – par­ti­cipe à la culture under­ground LGBT de ces pays, où l'homophobie d'Etat peut encore vous coû­ter la pri­son ou la vie. Comme pour conju­rer la répres­sion, l'intolérance et la peur, de nom­breuses oeuvres pro­po­sées dans Habibi explosent de mille cou­leurs comme autant de reven­di­ca­tions de joie, d'amour, de liber­té et d'affirmation de soi. Ce sont les des­sins inter­lopes du Marocain Soufiane Ababri (voir ci-​dessous), les réin­ter­pré­ta­tions volup­tueuses des minia­tures de l'art musul­man de la Libanaise Chaza Charafeddine (voir ci-​dessous), ou encore les auto-​portraits drag de la Tunisienne Khookha McQueer, per­for­meuse trans­genre non binaire.

Amour en bou­teille et suppositoires

Beaucoup de ces artistes, comme Alireza Shojaian, ont rejoint Paris pour pou­voir expri­mer libre­ment leur art. La Tunisienne Aïcha Snoussi en fait par­tie. « Dans son ins­tal­la­tion Sépulture aux noyé·es, Aïcha invente les Tchech, une civi­li­sa­tion queer ins­tal­lée dans la Méditerranée sur l'île de Zembra il y a 7 000 ans, nous explique Elodie Bouffard devant une pyra­mide de bou­teilles ren­fer­mant des mes­sages cal­li­gra­phiés en arabe (voir ci-​dessous). Les Tchech par­taient pour de nom­breuses expé­di­tions mari­times et, lorsque un amant ou une amante ne reve­nait pas, celui ou celle qui l'aimait ajou­tait à un mon­ti­cule une bou­teille conte­nant un mes­sage d'amour, afin que leur mémoire reste vivante. »

Souvent oni­rique et poé­tique, Habibi laisse aus­si la place à la dénon­cia­tion et aux reven­di­ca­tions. Ainsi de l'ironique ins­tal­la­tion du Saoudien Raed Ibrahim qui, depuis la Jordanie, imma­gine Gayom, des sup­po­si­toires qui rendent les homosexuel·les « nor­maux ». En mélan­geant les oeuvres de ces artistes étranger·ères à celles de Français·es issu·es de l'immigration, l'expo donne à voir une scène locale pré­oc­cu­pée par l'intersectionnalité des luttes. Dans Djinn, une série pho­to, la Franco-​algérienne Camille Lenain cap­ture les por­traits de Français·es queer et de culture musul­mane. Chaque pho­to est accom­pa­gnée d'une cita­tion issue d'une conver­sa­tion sur les dis­cri­mi­na­tions doubles de la queer­pho­bie, du racisme et de l'islamophobie. L'une d'elle (voir ci-​dessous) dit ain­si : « C'est à tra­vers le regard des autres que tu peux dire que je suis une femme trans, maro­caine et musul­mane, ou wha­te­ver the fuck you see. Mais de moi à moi-​même, je suis juste une bête de meuf qui s'appelle Laila Rami. » Une réjouis­sante ôde col­lec­tive à la liber­té d'être soi.

Soufiane Ababri Bed Work c Philippe Fuzeau 1
Soufiane Ababri – Bed Work © Philippe Fuzeau
Chaza Charafeddine LAnge Gardien II Divine comedy series c Chaza Charafeddine
L'Ange Gardien II – série Divine come­dy
© Chaza Charafeddine
Aïcha Snoussi Sépulture aux noyé.e.s© Marc Domage 4
Aïcha Snoussi, Sépulture aux noyé.e.s © Marc Domage
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Lalla Rami, Boulogne © Camille Lenain

Habibi, les révo­lu­tions de l'amour, à l'Institut du monde arabe, jusqu'au 19 février 2023. De nom­breux rendez-​vous (ciné­ma, confé­rences) ponc­tue­ront ces mois d'exposition.

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