La recherche se penche de plus en plus sur les rots et bouses de vaches, et explore des pistes pour réduire leurs émissions de méthane. Car quand il faudra nourrir 9 milliards d’êtres humains et que la population mondiale des ruminants augmentera, on sera bien mal !
Lorsque le monde a les yeux rivés sur les émissions de dioxyde de carbone (CO2), les vaches en profitent pour éructer et lâcher des bouses. Quand elles le font, elles libèrent dans l’atmosphère le méthane qui s’est formé dans leurs panses au moment de la digestion. Problème, le méthane est un gaz à effet de serre qui possède un important pouvoir calorifique. Son potentiel de réchauffement global est vingt-huit fois plus puissant que celui du CO2 sur une période de cent ans. Les émissions de méthane sont certes plus faibles que celles du dioxyde de carbone – et elles se dégradent beaucoup plus rapidement (en une dizaine d’années, contre une centaine pour le CO2) –, mais c’est le gaz dont la concentration a connu la plus forte croissance entre la période préindustrielle et les années 2000. Ces émissions ont augmenté de 150 % entre les deux épisodes, contre « seulement » de 37 % pour le dioxyde de carbone.
Le méthane est responsable de 20 % du réchauffement climatique de la planète, selon les travaux du Global Carbon Project, organisation qui cherche à quantifier les émissions mondiales et leurs causes. La principale source émettrice est le secteur de l’agriculture, et plus particulièrement les éructations des bovins et leurs bouses.
Modifier la ration des vaches
« Dans l’état actuel des choses, les ruminants participent peu au réchauffement climatique, tempère Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint agriculture à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Le méthane ne reste pas longtemps dans l’atmosphère, donc nous sommes plutôt en flux constant. Le problème va se poser quand il faudra nourrir 9 milliards d’êtres humains et que la population mondiale des ruminants va augmenter. »
Chercheurs et éleveurs redoublent donc d’inventivité pour tenter de limiter les émissions produites par les bovins. « La piste alimentaire est celle qui a été la plus fouillée ces trente dernières années, explique Élodie Guégan, docteure en médecine vétérinaire, dont la thèse porte sur la réduction de la production de méthane par les vaches laitières. L’idée, c’est de modifier la ration de la vache, d’y ajouter des huiles, des oléagineux, de diversifier les fourrages, etc. Mais, dans les conditions de production intensives actuelles, si vous déséquilibrez un peu leur alimentation, cela entraîne vite des pathologies. Cela peut réduire la production de méthane, certes, mais au risque que cela se fasse au détriment de leur santé. »
De nombreuses solutions basées sur des additifs alimentaires, à partir d’ail, d’agrume, d’huiles essentielles, de graines de coriandre, de girofle…, apparaissent ici et là. Mais leur efficacité n’est pas toujours démontrée. L’Inra, qui cherche depuis des années les moyens de réduire la méthanogenèse, a trouvé une solution. Des scientifiques ont montré qu’en ajoutant des lipides dans les rations des vaches, des graines de lin notamment, la production de méthane pouvait chuter jusqu’à 20 % sans altérer leur bien-être. Une solution intéressante, mais coûteuse. « C’est plus cher que les céréales et les agriculteurs n’ont aucune incitation financière pour limiter la production de méthane », reconnaît Jean-Louis Peyraud.
De l’énergie à la génétique
Certains éleveurs se lancent, eux, dans la méthanisation, un procédé qui récupère le méthane pour le transformer en biocarburant. Francis Claudepierre, éleveur laitier bio en Lorraine et président de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France, le fait depuis dix-sept ans. Le gaz qu’il récupère ne provient pas des rots des vaches, mais de leurs bouses. « Nous les raclons trois fois par jour pour les mettre dans une fosse thermique, explique l’éleveur. Leur fermentation produit du biogaz, un carburant qui sert ensuite à un groupe électrogène qui produit de l’électricité et de la chaleur. » Résultat, le lisier de leurs 240 vaches fournit annuellement mille foyers en électricité et chauffe douze maisons, une école et une fromagerie ! En France, ils seraient environ 550 à utiliser ce procédé, d’après l’éleveur.
L’une des pistes les plus prometteuses, encore à l’étape de recherche, est la génétique. Au Canada, deux universités mènent actuellement une vaste étude financée par Génome Canada, agence de financement de projets de recherche en génomique. Avec l’aide de laboratoires internationaux, les chercheurs tentent d’identifier les gènes des vaches qui produisent le moins de gaz à effet de serre. À terme, cette base de données devrait permettre aux éleveurs du monde entier de sélectionner des taureaux sur leur valeur génétique. « Cette piste est une voie de progrès très intéressante, car gratuite pour les éleveurs », synthétise Jean-Louis Peyraud.
Un enthousiasme pas vraiment partagé par Élodie Guégan : « En France, les troupeaux sont déjà issus d’une sélection génomique. En sélectionnant des animaux au sein de cette population, vous augmentez le taux de consanguinité et, in fine, l’apparition de tares, de maladies et de malformations. »
Mais Jean-Louis Peyraud estime que l’on peut facilement gérer la biodiversité de la population : « Le mystère est de savoir si l’aptitude de certains bovins à produire moins de méthane vient de leurs gènes, de leurs microbiotes ou des deux ! » C’est ce microbiote, ensemble de bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes, qui intéresse beaucoup l’Inra. Les scientifiques espèrent pouvoir un jour le moduler, afin de « verdir » les vaches. « Un vieux rêve de chercheur ! » conclut le directeur.