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Les sages-femmes de l'hôpital de Lens crient leur colère. ©Timothée Legay

Les sages-​femmes en ont ras-le-bol

Mercredi 24 février, les sages-​femmes étaient en grève pour dénon­cer le manque d'effectifs, la non-​reconnaissance de leur sta­tut médi­cal et les salaires insuffisants. 

Aude Lesage vient de finir sa jour­née de garde à la mater­ni­té du centre hos­pi­ta­lier de Lens. Dans cette mater­ni­té de niveau 3, c’est-à-dire dotée d’un ser­vice de réani­ma­tion néo­na­tale et capable de suivre les gros­sesses patho­lo­giques, 2 500 bébés voient le jour. Comme chaque jour, elle a accueilli les patientes venues en consul­ta­tion ou sur le point d'accoucher. A une dif­fé­rence près : ce mer­cre­di 24 février, Aude est en grève. Mais elle n’a pas ces­sé le tra­vail. Seul le bras­sard qu’elle porte sur sa blouse jaune témoigne de sa colère. « Nous en sommes à notre troi­sième jour­née de mobi­li­sa­tion », lâche la soi­gnante qui exerce ce « métier pas­sion », comme elle le qua­li­fie, depuis cinq ans. Déjà gré­vistes le 26 jan­vier et le 10 février, Aude et ses col­lègues – la mater­ni­té affi­chait un taux de gré­vistes de 69 % le 10 février – ne comptent pas lâcher l’affaire. Pour par­ta­ger leur mes­sage sur les réseaux sociaux, l’équipe de Lens a d’ailleurs créé les comptes Twitter et Instagram Les Tuniques Jaunes. « Nous avons mon­té un pro­jet pho­to pour affi­cher notre colère et nous faire entendre, raconte Timothée Legay, l’un des rares hommes de la pro­fes­sion (ou « sage­fomme » comme il se défi­nit lui-​même). On a peint nos visages en mode guer­rier avec deux griffes rouges pour rap­pe­ler le code rouge, notre code d’urgence pour les césa­riennes, et on a rédi­gé des pan­cartes. »

À 700 kilo­mètres de Lens, en Gironde, les visages n’ont pas de pein­ture rouge mais la colère est iden­tique. Alice Pinson, en poste à l’hôpital de Libourne (1 700 nais­sances par an), a mani­fes­té, le 24 février, devant l’Hôtel de ville de Bordeaux avec une cin­quan­taine de consœurs. Covid oblige, les ras­sem­ble­ments sont limi­tés, mais elle a mal­gré tout tenu à des­cendre dans la rue. « On souffre d’un manque de recon­nais­sance chro­nique, lâche-​t-​elle. Déjà en 2001, en 2011 ou en 2013 on récla­mait plus de consi­dé­ra­tion. Rien ne bouge mais il serait temps que ça change. » 

Les syn­di­cats de la pro­fes­sion avaient rendez-​vous mer­cre­di 24 février avec les membres du cabi­net d’Olivier Véran, le ministre de la Santé. Objectif : obte­nir de la part du ministre des avan­cées concrètes et rat­tra­per l’oubli fâcheux du Ségur de la Santé, orga­ni­sé sans elles l’été der­nier et au cours duquel elles n’ont fina­le­ment obte­nu que des miettes (une reva­lo­ri­sa­tion de salaire de 183 euros net par mois, comme les secré­taires médi­cales). Camille Dumortier, de l’Organisation natio­nale des syn­di­cats de sages-​femmes (ONSSF) a par­ti­ci­pé à cette réunion Zoom avec les membres du minis­tère. Elle en res­sort avec un sen­ti­ment miti­gé. « Il y a une volon­té affi­chée de se pen­cher sur la ques­tion mais j’ai du mal à me dire que les choses vont vrai­ment bou­ger vite », estime-​t-​elle. Le minis­tère a pro­mis de lan­cer une mis­sion de l’inspection géné­rale des affaires sociales (Igas) dans les semaines à venir. Une nou­velle posi­tive même si on a bien envie de rétor­quer que le constat est fait depuis des lustres et qu’il y a urgence. Mais on s'égare un peu. « De toute façon, la situa­tion se dégrade tel­le­ment qu'on n'arrive pas à prio­ri­ser nos reven­di­ca­tions », enchaîne Camille Dumortier. 

40 % des sages-​femmes hos­pi­ta­lières s'estiment en burn-out

Un point semble tout de même cru­cial dans la bataille : celui de la recon­nais­sance du sta­tut. Selon le code de la san­té publique, les sages-​femmes exercent une pro­fes­sion médi­cale, à l’instar des den­tistes ou des méde­cins. Pourtant, selon le clas­si­fi­ca­tion INSEE et quand elles sont recru­tées à l’hôpital, elles se retrouvent assi­mi­lées aux pro­fes­sions para­mé­di­cales. « On sou­hai­te­rait une réelle recon­nais­sance de notre sta­tut médi­cal, tel que défi­ni dans le code de la san­té publique, s’agace Aude. On fait la pre­mière année de méde­cine et ensuite on se spé­cia­lise pen­dant quatre années sup­plé­men­taires. Une fois recru­tées à l'hôpital, nos car­rières sont gérées comme les pro­fes­sions para­mé­di­cales car nous sommes fonc­tion­naires alors que les méde­cins, eux, sont pra­ti­ciens hos­pi­ta­liers. » Les sages femmes sou­haitent qu'on leur crée un sta­tut médi­cal dédié dans la fonc­tion publique ou bien qu'on leur octroie le sta­tut de pra­ti­cien hos­pi­ta­lier avec une grille de salaire en adé­qua­tion avec leurs compétences. 

Les sages femmes souffrent de cet imbro­glio sta­tu­taire. Elles souffrent aus­si du manque de connais­sance de leur métier, aux contours très variés. Outre la réa­li­sa­tion des accou­che­ments, elles assurent aus­si le sui­vi gyné­co­lo­gique des femmes, mènent par­fois des écho­gra­phies – si, comme Aude, elles ont pas­sé le diplôme dédié – ont le droit de pres­crire cer­tains médi­ca­ments (la pilule notam­ment) ou de pra­ti­quer des IVG médi­ca­men­teuses. Depuis le 14 décembre der­nier, une expé­ri­men­ta­tion de trois ans leur per­met même de pra­ti­quer l’IVG chi­rur­gi­cale. Autant de com­pé­tences variées qui, en début de car­rière hos­pi­ta­lière, sont rému­né­rées entre 1 500 et 1 700 euros net par mois, selon la prise en compte des primes de nuit ou de week-​end. « En cas de pro­blème, par contre, notre res­pon­sa­bi­li­té médi­cale est totale », sou­ligne Alice Pinson. Elle pour­suit : « Nos mau­vaises condi­tions de tra­vail donnent lieu à une forme de mal­trai­tance des patientes, évi­dem­ment invo­lon­taire. Mais quand il faut assu­rer trois accou­che­ments par garde ou s’occuper de trois femmes en tra­vail en même temps, c’est très dif­fi­cile d’accueillir les enfants et d’accompagner ces familles comme on le vou­drait. » Selon les chiffres du Collège natio­nal des sages-​femmes datant de juin 2020, 40% des pra­ti­ciennes hos­pi­ta­lières disent souf­frir de syn­drome d’épuisement émo­tion­nel – c'est-à-dire de burn-out. 

« Une femme, une sage-​femme »

Cette « mal­trai­tance » non volon­taire a déjà été dénon­cée par la sage-​femme et pod­cas­teuse Anna Roy dans une vidéo dif­fu­sée par le site Brut en novembre der­nier. De ce cri du cœur avait décou­lé une péti­tion, tou­jours active, au slo­gan simple : « Une femme, une sage-​femme. » Le prin­cipe : que chaque femme soit accom­pa­gnée par une sage-​femme pen­dant toute la durée du tra­vail et de l’accouchement. « Hélas, on en est très loin », se désole Alice Pinson, qui estime éga­le­ment qu’il fau­drait tendre au sui­vi per­son­na­li­sé des femmes par une seule et même sage-​femme tout au long de leur vie. 

Un pro­jet de loi sur le sys­tème de san­té por­té par la dépu­tée LREM Stéphanie Rist vient d’être adop­té par le Sénat. Les Sénateurs ont jus­te­ment intro­duit dans le texte des avan­cées notables pour la pro­fes­sion en matière de pres­crip­tions ou en don­nant à une sage-​femme la pos­si­bi­li­té d’être réfé­rente dans le sui­vi péri­na­tal. Des avan­cées faites contre l’avis du gou­ver­ne­ment. Le texte doit être dis­cu­té en com­mis­sion mixte pari­taire, le 2 mars pro­chain, mais il y a peu de chances que ces avan­cées res­tent… Qu’importe, le com­bat des sages-​femmes conti­nue. Elles appellent à une nou­velle jour­née de grève et de mobi­li­sa­tion le 8 mars, jour sym­bo­lique pour les droits des femmes. Toutes se prennent à rêver d’une forme de conver­gence des luttes. « On est des femmes qui s’occupent des femmes, estime Aude Lesage. Et c’est vrai­ment la triple peine. Mais là, ça com­mence à se voir qu’on ne nous prend pas au sérieux. » Le code rouge est acti­vé.

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