Une moitié de Terre pour les « gens de gauche », l'autre pour les « gens de droite », à proportion de la partie de l'humanité se réclamant de l'une ou de l'autre, et avec égalité de richesses et contraintes naturelles.
ÉDITO. L'autre fois, en voyant en Top Tweet sur Twitter les hashtags #CeSeraMélenchon d'un côté et #JeVoteZemmourLe10Avril de l'autre, le tout au milieu de #Boutcha et #CrimeDeGuerre, je me suis trouvée lasse et me suis posé une question. Ne serait-il pas temps de décréter que, pour mieux vivre le reste du temps qu'il nous incombe à chacun·e, l'heure est venue de séparer la Terre en deux ?
Une moitié pour les « gens de gauche », l'autre pour les « gens de droite », à proportion de la partie de l'humanité se réclamant de l'une ou de l'autre, et avec égalité de richesses et contraintes naturelles (tu prends le Sahara, je récupère l'Atacama).
Pour celles et ceux qui ne sauraient se situer sur l'échiquier politique aussi cruellement et bêtement synthétisé, un questionnaire serait fourni pour aider à voir plus clair : si vous deviez choisir entre ces deux valeurs cardinales, vous prendriez plutôt la liberté, ou l'égalité ? Et si vous penchez pour la liberté des mœurs, que pensez-vous de l'économie planifiée ? En fait, en y pensant, on pourrait rendre ce test obligatoire, car je suis persuadée que beaucoup de gens se racontant être de gauche sont des capitalistes en puissance, notamment quand il s'agit de bien vouloir arrêter de surconsommer pour sauver la planète. À l'inverse, il me semble que pas mal de gens s'affichent de droite mais ignorent qu'au fond, ils ne sont pas prêts à renoncer aux acquis sociaux durement arrachés par la gauche. Donc test obligatoire pour tout le monde.
Grand reset
Une fois l'humanité scientifiquement divisée en deux catégories (à cet égard, les proportions seront certainement inattendues), une fois le monde partagé en deux, on procède à un déménagement des un·es et des autres, puis chaque grande nouvelle Nation (l'une de gauche, l'autre de droite), mène sa vie comme elle l'entend.
Et là, ça commence à être intéressant. Que se passe-t-il donc ?
Serait-on, de chaque bord de ce nouveau monde, plus heureux entre soi, entre gens qui pensent comme nous et avec qui il est cohérent de faire société ?
La démocratie de la Nation de gauche va-t-elle tenir sans autoritarisme, en partant du présupposé que, dans cette Nation de gauche, personne n'a rien contre la fin de la domination des un·es sur les autres ? Les gens de gauche accepteront-ils, à la longue, d'avoir les mêmes privilèges que l'ensemble des membres de la Nation ou chercheront-ils à se singulariser par l'argent ou le pouvoir ? Seront-ils, dès lors, envoyés de force dans la partie droite du monde, mais par cet acte, la Nation de gauche ne prendra-t-elle pas automatiquement fin ?
La Nation de droite optera-t-elle pour une forme démocratique ou ne verra-t-elle pas d'inconvénient à être dirigée par une figure forte promettant plus d'efficacité ? Les gens de droite feront-ils acte de servitude volontaire ? Dans une société où le capitalisme sera définitivement sauvage, la mise en concurrence des individus en mettra sur le carreau : paupérisés, voudront-ils rejoindre l'autre partie du monde ou resteront-ils de droite et si oui, bon sang, pourquoi ?!
Échanges culturels & échanges d'enfants
Malgré ces difficultés, il n'empêche : imaginez une Nation de gauche où plus aucune femme ne sera emmerdée parce qu'elle avorte (être en accord avec le droit à l'IVG sera un impératif pour réussir le test d'entrée de la Nation de gauche). À l'inverse, imaginez une Nation de droite où les gens de droite ne paieront, enfin, plus d'impôt ! On ne sait pas trop comment la Nation de droite financera son hôpital public et ses écoles, c'est un secret d'État, mais on se réjouit pour le peuple de droite qu'il soit heureux comme ça.
Des échanges culturels et amicaux façon « correspondance avec un·e étranger·ère » pourront être mis en place entre les deux Nations, dans une optique d'enrichissement intellectuel pour les deux parties, mais aussi dans le but de maintenir une relation pacifique. Nous ne sommes en effet pas à l'abri des velléités expansionnistes de la Nation de droite, ni des risques que la Nation de gauche se sente soudainement investie de la nécessité d'aller convaincre par les armes les gens de la Nation de droite qu'être de gauche est l'option la plus humaniste possible.
Il est à envisager qu'une troisième partie de la planète, du type Groenland ou Arctique, soit confiée aux deux Nations pour y établir une colonie commune où envoyer les récalcitrant·es de gauche ou de droite. Car en effet, après vingt ans de vie de ce nouveau monde, il est probable que les nouvelles générations – les enfants des gens ayant fondé les Nations – prennent le contrepied politique de leurs parents. Au besoin et après leur avoir refait passer le test, on pourra échanger des enfants de gauche résidant sur le sol de droite avec des enfants de droite nés en terre de gauche.
Une solution à la crise écologique ?
Enfin, en ce qui concerne la dimension écologique de l'expérience, il sera là encore très intéressant pour notre connaissance de l'aventure humaine de voir comment évoluent les deux Nations. La Nation de gauche n'aura plus aucune excuse (ni grand·e patron·ne, ni politicien·ne oisif·ve) derrière laquelle se réfugier pour ne pas, enfin, mener à bien la transition écologique permettant sa survie. Après avoir cramé ses dernières réserves d'hydrocarbures, la Nation de droite devrait théoriquement se rendre à l'évidence que dans les fondamentaux de ses valeurs, on trouve aussi l'attachement au passé et à la Nature et se résoudre à passer au moins à la croissance verte. Dans cette perspective, il ne faut pas oublier non plus l'esprit gentiment concurrentiel entre ces deux Nations, qui pourraient alors rivaliser d'ingéniosité et de courage pour être la première à dépolluer définitivement sa terre.
En attendant que cette étrange dystopie voie le jour, allez voter dimanche.