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© Capture d'écran d'ne vidéo de Yahoo.it

Statue sexy : le génie rince‑l’œil incom­pris d’un sculp­teur italien

En don­nant corps à La Spigolatrice di Sapri, l’un des poèmes fon­da­teurs de l’unité natio­nale de l’Italie, le sculp­teur Emanuele Stifano a choi­si de repré­sen­ter la gla­neuse nar­ra­trice du poème dans une pos­ture trans­pi­rant le male gaze. Ce qui n’était clai­re­ment pas nécessaire.

La cri­tique est aisée, l’art est dif­fi­cile. Voilà ce que se dit Emanuele Stifano, sculp­teur d’art, à la suite de la polé­mique sus­ci­tée par l’inauguration de sa sta­tue en bronze ren­dant hom­mage à La Spigolatrice di Sapri.

Ce poème, publié en 1857 par Luigi Mercantini, retrace l’expédition du révo­lu­tion­naire Carlo Pisacane, cher­chant à s’emparer de Naples pour faire tom­ber le roi de Bourbon-​Sicile, pré­fi­gu­rant ain­si l’Unité ita­lienne de 1870. Le poète avait choi­si de valo­ri­ser la folle entre­prise à tra­vers le récit d’une gla­neuse amou­reuse de Pisacane – être un héros, c’est bien, sous les yeux d’une jeune fille en fleur, ça vous ajoute tout de même un peu d’allure, pensait-​on com­mu­né­ment au XIXe siècle. Le poème est deve­nu une œuvre fon­da­men­tale pour la jeune nation, et c’est donc tout natu­rel­le­ment que la ville de Sapri, d’où s’est lan­cé Pisacane, a pas­sé com­mande à Emanuele Stifano pour rendre hom­mage à la figure idéa­li­sée de cette spi­go­la­trice (gla­neuse).

Las ! Lors de l’inauguration, le 25 sep­tembre, devant une bro­chette d’hommes poli­tiques ita­liens – l’ancien Premier ministre Giuseppe Conte avait fait le dépla­ce­ment –, c’est la stu­pé­fac­tion dans une par­tie du public. La fine tunique de la gla­neuse, le corps droit vers la ville, se prend une brise marine qui vient sou­li­gner outra­geu­se­ment les courbes de ses fesses – les­quelles atteignent par ailleurs les normes de per­fec­tion encore exi­gées des femmes. Cette bour­rasque sen­suelle donne un je-​ne-​sais-​quoi de las­cif à la spi­go­la­trice, qui n’a plus rien à voir avec la valeu­reuse pay­sanne du poème qui, sans une ombre de peur, se met à suivre la troupe de Pisacane pour assis­ter à la bataille. Pour les asso­cia­tions fémi­nistes du pays, il s’agit d’une « repré­sen­ta­tion archaïque et pro­fon­dé­ment sexiste d’une femme ». Et depuis, l’Italie débat : pour­quoi éro­ti­ser la spi­go­la­trice si ce n’est pour plaire au regard masculin ?

Techniquement, vrai­ment, on ne peut que s’incliner devant la prouesse du sculp­teur, qui a su rendre le bronze aus­si fin qu’un voile de mous­se­line déli­ca­te­ment sus­pen­du aux hanches d’une dan­seuse orien­tale. Une repré­sen­ta­tion tou­te­fois fan­tas­mée de la tenue d’une pay­sanne de l’époque, n’ayant pro­ba­ble­ment d’autre pos­si­bi­li­té que d’aller ramas­ser les blés dans une toile de lin bien épaisse, com­mode et peu chère.

Mais, et la vision de l’artiste, dans tout ça ? Dans une publi­ca­tion pei­née sur son compte Facebook, Emanuele Stifano se dit  « cho­qué et dépri­mé » par les réac­tions pour le moins miti­gées face à son œuvre. « Comme elle était des­ti­née à trou­ver place face à la mer, j’ai pro­fi­té de l’air marin du lieu pour don­ner du mou­ve­ment à sa jupe longue, et ain­si mettre son corps en évi­dence, poursuit-​il. Il s’agissait de sou­li­gner une ana­to­mie qui n’était pas une repré­sen­ta­tion fidèle de celle d’une pay­sanne du XIXe siècle, mais pour repré­sen­ter un idéal de femme, en évo­quer la digni­té, le réveil d’une conscience, le tout dans un ins­tant dra­ma­tique. » Dans la défense de son tra­vail, l'artiste pointe le pro­blème : idéa­li­ser « la femme », cela passe encore par la sexua­li­sa­tion d’un corps par­fait en 2021. Même quand cette femme a, en l’occurrence, une dimen­sion poli­tique et non pas charnelle.

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