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© Jan Quirin Maschinski pour Causette

D’Amérique latine à l’Asie, des fémi­nistes contre la chi­rur­gie plastique


D’Amérique latine jusqu’en Asie, des fémi­nistes se rebiffent contre le bis­tou­ri et les injonc­tions esthé­tiques. Ici les seins, là-​bas le nez… Si chaque socié­té a ses obses­sions, le com­bat contre la tyran­nie de la beau­té, lui, est bel et bien planétaire. 

Corée du Sud · “Libère-​toi de ton corset”

« Ici, on voit des femmes faire de la chi­rur­gie esthé­tique pour les entre­tiens d’embauche, et des parents offrir une opé­ra­tion à leur enfant en guise de cadeau d’entrée à l’université. » La you­tu­beuse coréenne Lina Bae donne le ton, lorsqu’on l’interroge sur les normes de beau­té dans son pays. Elle fait par­tie des fémi­nistes à s’être insur­gées, en 2018, pen­dant le mou­ve­ment #EscapeTheCorset (« Libère-​toi de ton cor­set »), contre les dik­tats esthé­tiques coréens. C’est une pré­sen­ta­trice de chaîne natio­nale, Lim Hyeon-​ju, qui pose la pre­mière pierre à l’édifice. Chose impen­sable en Corée du Sud, elle porte des lunettes à l’écran. Et assume de défier le sys­tème. Dans les jours sui­vants, deux asso­cia­tions orga­nisent une mani­fes­ta­tion dans le quar­tier des chi­rur­giens plas­tiques, au centre de Séoul. Le mes­sage : « Le scal­pel est une forme de vio­lence cultu­relle et de dégra­da­tion des femmes, qui rend leur vie plus superficielle. »

Dans la fou­lée, Lina Bae change sa rou­tine vidéo. Devant sa web­cam, au lieu de se pom­pon­ner façon tuto comme elle en avait l’habitude, elle se déma­quille. Sur son visage sans fard, elle pro­jette des com­men­taires insul­tants sur son phy­sique. Preuves de la vio­lence dont on est la cible lorsque, comme elle, on ne res­semble pas au canon domi­nant (le com­bo petit men­ton, grands yeux ronds, mini­nez). « Les per­son­na­li­tés publiques coréennes ne parlent pas de chi­rur­gie, ça demande beau­coup de cou­rage, car la pres­sion est trop forte, explique-​t-​elle à Causette. Dites-​vous bien que les gens portent des masques par honte de la forme de leur visage. Ce sont les réseaux fémi­nistes, comme Heavytalker [chaîne YouTube d’empowerment fémi­nin, ndlr] ou SOLOdarity [asso de femmes céli­ba­taires], qui ont donc sou­le­vé le sujet. » Comme Lina Bae, elles sont nom­breuses à s’être conver­ties, depuis, à la coupe au bol et au sans-​maquillage, deve­nus signes de décons­truc­tion. A. V.

Colombie · Le piège de la “narco-​esthétique”

C’est l’une des séries qui car­tonne en Colombie : Sin Senos Sí Hay Paraíso (« Sans seins, il y a quand même un para­dis »). Diffusée depuis 2016, elle n’est autre que la suite de Sin Tetas No Hay Paraíso (soit « Sans poi­trine, pas de para­dis »), une tele­no­ve­la à suc­cès du milieu des années 2000, qui met en scène les aven­tures de Catalina Santana. Issue d’un milieu pauvre, celle-​ci rêve de se tailler une place au soleil auprès des nar­co­tra­fi­quants et, pour y par­ve­nir, entre­prend notam­ment de faire une aug­men­ta­tion mam­maire. Une fic­tion lar­ge­ment ins­pi­rée de la réa­li­té, dans un pays où nombre de jeunes femmes misent sur le bis­tou­ri pour ten­ter de col­ler aux canons de beau­té – courbes géné­reuses, ventre plat, nez fin et che­veux lisses – plé­bis­ci­tés par les caïds de la drogue. Le phé­no­mène est tel qu’en décembre 2017, à Medellín, le réseau Red Feminista Antimilitarista a pos­té une vidéo, avec le sou­tien du quo­ti­dien El Espectador, pour aler­ter le public sur les dan­gers de la « narco-​esthétique ». « [Cette culture véhi­cule l’idée] que “ton corps doit être par­fait pour que je puisse le pos­sé­der, le dési­rer”. […] C’est une façon de voir le corps comme un pro­duit de consom­ma­tion et, par consé­quent, comme une chose », dénonce, face camé­ra, la mili­tante Sandra Isaza, qui y voit un lien avec la vio­lence que subissent les femmes en Colombie. Un pays où la Cour consti­tu­tion­nelle a récem­ment auto­ri­sé la chi­rur­gie esthé­tique… dès l’âge de 14 ans. A. B.

Iran · Où sont pas­sés les nez naturels ?

Un peu par­tout à tra­vers le pays, ils s’affichent fiè­re­ment. Ils, ce sont les « nez refaits », tel­le­ment en vogue que certain·es Iranien·nes vont jusqu’à se bala­der avec de faux pan­se­ments sur les narines. Régulièrement dépeint comme la capi­tale inter­na­tio­nale de la rhi­no­plas­tie, l’Iran comp­te­rait en effet le taux d’opération du nez par habitant·e le plus éle­vé au monde : envi­ron 200 000 par an, dont 80 à 90 % de femmes. Une ten­dance telle qu’en avril 2015, les mili­tantes fémi­nistes de la page Facebook Close Up on Iranian Women ont lan­cé la cam­pagne « Mon nez natu­rel », afin d’inciter les Iraniennes à pos­ter des pho­tos de leur visage non retou­ché. « Notre objec­tif était de per­mettre la dis­cus­sion et de sus­ci­ter une réflexion […], pas d’instaurer un cli­vage entre les “nez refaits” et les “nez natu­rels” », expli­quait alors Maryam, l’une des ini­tia­trices, au site d’information Iran Wire. Une ini­tia­tive qui a fait par­ler d’elle jusqu’en Europe… mais n’a pas suf­fi à ren­ver­ser la vapeur. Comme l’observait l’anthropologue Ladan Rahbari, en 2018, ces pra­tiques esthé­tiques « sont tou­jours réa­li­sées à grande échelle », et la beau­té reste per­çue « comme un mal néces­saire par les jeunes femmes ». Ce qu’illustre à mer­veille ce célèbre dic­ton ira­nien : « Tue-​moi, mais rends-​moi belle »… A. B.

États-​Unis · Communautés de grandes lèvres

« Aux States, décrit Cindy, fémi­niste amé­ri­caine de 37 ans, la mode est à la vulve plate. Style Barbie cali­for­nienne avec un sexe dont rien ne dépasse, sur­tout pas les petites lèvres. » Résultat : au pays de la chi­rur­gie esthé­tique (c’est là où ont lieu le plus grand nombre d’interventions, 18 % à l’échelle de la pla­nète), la mode est aux opé­ra­tions du sexe. Les labia­plas­ties (la réduc­tion des lèvres) et les « réju­vé­na­tions vagi­nales » (le res­ser­re­ment des parois du vagin) ont plus que tri­plé en trois ans, selon la Société inter­na­tio­nale de chi­rur­gie plas­tique. En 2010 pour­tant, aucune de ces deux opé­ra­tions n’était même référencée…

Sensible au sujet, Cindy tombe un jour sur le site du Large Labia Project. Une sorte de cata­logue par­ti­ci­pa­tif de la vulve, où l’on peut sou­mettre et regar­der des pho­tos de tous types de lèvres fémi­nines – « pas juste celles du por­no ». Alors, quand Emma, la fon­da­trice du pro­jet, aban­donne le site, en « grande fan » Cindy se charge de le reprendre. « Sauf cas d’inconfort, s’interroge la mili­tante, pour­quoi vou­loir modi­fier une par­tie cachée de notre ana­to­mie, que l’on ne montre géné­ra­le­ment qu’à des per­sonnes très proches ? Les femmes sont tel­le­ment sou­cieuses de l’avis des hommes et ont si peu confiance en elles qu’elles estiment qu’il est moins dou­lou­reux de chan­ger direc­te­ment leurs corps, en dépit des risques, que d’être jugée par leur par­te­naire. » Le résul­tat est comme une ver­sion revi­si­tée de la Genital Art Gallery, inven­tée en 1998 par Betty Dodson, fémi­niste pro­sexe et pion­nière du genre. En variante, on compte aus­si le Petals Project, de Nick Karras, en 2005, le Great Wall of Vaginas, du sculp­teur bri­tan­nique Jamie Mc Cartney, ou l’exposition Visible Vagina, qui s’est tenue à New York en 2010. A. V.

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