Depuis plusieurs jours, des témoignages affluent sur les réseaux sociaux de femmes s’étant rendues au commissariat central de Montpellier afin de porter plainte pour viol ou agression sexuelle. Faits minimisés, railleries, plaintes empêchées… s’agit-il de la dérive de quelques agent·es ou des carences structurelles dans la prise en charge des victimes des violences sexistes et sexuelles ?
« À Montpellier, la police demande aux victimes de viol si elles ont joui. » La phrase est lâchée vendredi 24 septembre, par l’activiste féministe Anna Toumazoff sur son compte Instagram. Elle la tire d’un témoignage reçu par une jeune femme de 19 ans s’étant rendue au commissariat central de Montpellier le 9 septembre, afin de porter plainte pour viol. S’ensuit une vague de témoignages, attestant d’expériences similaires survenues au sein de ce même commissariat, certaines récentes, d’autres remontant à presque dix ans. Moqueries, remises en cause de leur version des faits, questions sur la tenue, discours moralisateurs et culpabilisants : toutes livrent des faits identiques et traumatisants.
« Nous croulons sous les messages qui relatent le mauvais accueil reçu au sein de ce commissariat », expose Carolina, membre du collectif NousToutes34. Elle-même a été confrontée à un accueil délétère de la part des forces de l’ordre de ce même commissariat, il y a huit ans alors qu’elle venait porter plainte pour agression sexuelle. « Ils ont refusé de prendre ma plainte. Ils ont fait des sous-entendus sur mon comportement comme si j’étais responsable de ce qui m’était arrivé. » Un témoignage qui fait écho à l’expérience vécue par Riley*, il y a 5 ans, alors qu’elle venait déposer plainte pour agression sexuelle quelques heures après les faits. Encore sous le choc, elle se retrouve confrontée à un policier « pas du tout compréhensif ». « Il m’a demandé comment j’étais habillée et a cherché à me faire culpabiliser en me reprochant de ne pas vraiment bien me souvenir. »
Méthodes similaires
Parmi les dizaines de témoignages reçus par Anna Toumazoff en quelques heures au sujet du commissariat central de Montpellier, plusieurs dénoncent l’attitude d'une femme policière qui serait allée jusqu’à demander à une victime si elle avait joui. Interviewée par Causette, Anna Toumazoff n’était pas en mesure d’assurer qu’il s’agisse d’une seule et même agente. « Faites attention à vos fesses, vous êtes sûre que vous voulez porter plainte ? Vous avez l’air indisposée », se serait vu rétorquer de la part d’une policière une jeune femme venue déposer plainte pour agression sexuelle début 2020 selon l’un des témoignages relayés par la militante féministe. « Elle a refusé que je porte plainte contre mon copain violent en me disant que j’allais le regretter, lui gâcher la vie, que je ferais mieux de rentrer chez moi et qu’il m’aimait », expose une seconde internaute.
À la lecture des témoignages, certaines reconnaissent des méthodes similaires à ce à quoi elles ont été confrontées. Comme Sarah* qui venait déposer plainte pour un vol de téléphone mais qui, se sentant en confiance du fait d’être reçue par une femme, lui parle du viol qu’elle a subi quelques mois plus tôt de de la part d’un homme qui l’a fait boire pour abuser d’elle. « Elle m’a dit que 99% des plaintes pour viol étaient fausses, que les femmes avaient des comportements aguicheurs et qu’elles n’assumaient juste pas d’avoir trompé leur copain », se remémore-t-elle.
"Impérieuse nécessité de la recherche de la vérité"
En off, un policier de ce commissariat interrogé par Causette se désole du bout des lèvres que tous ses collègues « ne soient pas exemplaires ». Mais d’autres agents passés par ce même commissariat et que nous avons approchés se montrent agacés des proportions que prend l’affaire. Selon eux, il est impossible d'engager un travail d’enquête pour ce qu’ils considèrent ne pas être des « cas concrets ». Ils justifient les différentes questions posées aux plaignantes, dont celle sur la jouissance, par « l’impérieuse nécessité de la recherche de la vérité dans un dossier criminel qui sera amené à être jugé aux assises ». Semblant ne pas savoir que ce n’est pas parce qu’un plaisir mécanique est parfois ressenti lors d’un viol que cela n’en est pas un.
Corentine Zankpe-Yovo, directrice du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CDIFF) de l’Hérault, qui dispense des formations auprès des commissariats et est intervenu à celui de Montpellier aux mois de mai et octobre 2019, confirme des retours problématiques concernant celui-ci en particulier, « mais pas que ». « Cela dépend beaucoup des agents auxquels les plaignantes sont confrontées », observe-t-elle en pointant le grand turn-over des équipes qui n’arrange rien. Elle concède que plusieurs agent.es ont des réticences ancrées difficiles à déconstruire en une seule session. « Les formations qu’on propose aux commissariats sont courtes, elles ne durent que trois heures. Avoir une vision systémique des violences demande de déconstruire les rapports hommes/femmes. Certains ont du mal à en changer leur représentation », regrette la directrice du CDIFF. Des propos confirmés par l’expérience de Carolina, qui avait été renvoyée vers une intervenante sociale détachée auprès du commissariat, en charge du suivi des femmes victimes de violences. « On m’avait dit que cela me permettrait d’être aiguillée vers une personne compétente tout en évitant d’être confrontée à un policier sexiste. Cela voudrait dire qu’il y a des policiers et policières à éviter, ce n’est pas acceptable. »
À la question de savoir si ces dérives seraient dues au comportement de quelques agent.es ou à des carences structurelles, la réponse semble être : les deux. Au commissariat central de Montpellier, les personnes ayant le courage de venir déposer plainte pour viol ou agression sexuelle se voient soumises à des questions traumatisantes sous couvert de procédure, posées par des agent.es au manque de tact et d’empathie flagrant, voire partant du présupposé que la victime ment. « Le policier me posait des questions à la suite, comme une liste sans vraiment s’intéresser aux faits. Cela semblait normal pour lui de me culpabiliser, comme si c’était la procédure, se remémore Riley. J’ai bien senti qu’il n’était pas du tout formé, notamment sur la question de l’amnésie post-traumatique. » 5 ans plus tard, elle n’a toujours pas de nouvelles de sa plainte et se refuse même à retourner porter plainte dans ce commissariat pour d’autres faits. « Si c’est pour aller voir quelqu’un qui nous dit que c’est notre faute, ça ne sert à rien », conclut-elle. « Ce commissariat est la cause même de pourquoi je n’ai pas porté plainte », abonde une autre plaignante.
Après la publication du premier témoignage, le préfet de l’Hérault, Hugues Moutouh, a qualifié, dans un communiqué de presse, ces accusations de diffamatoires. Depuis, les témoignages continuent d’affluer concernant le commissariat montpelliérain, mais aussi de toute la France, sous le hashtag #DoublePeine. Le site internet doublepeine.fr a également vu le jour, permettant de recenser l’ensemble des témoignages en fonction des villes.
* Les prénoms ont été modifiés