Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sentimental pour comprendre comment les visions divergentes de chacun·e n’empêchent pas (toujours) le ménage de tourner. En couple depuis sept ans, Marie et François, journalistes en Suisse, travaillent ensemble. Ils ont lancé en 2017 leur propre média, Gotham City, qui traque les crimes financiers et économiques.
Marie
39 ans
« À l’époque où j’ai rencontré François, on travaillait tous les deux comme journalistes pour L’Hebdo [magazine suisse, ndlr]. On a sympathisé et, rapidement, on a eu envie d’enquêter davantage sur les crimes économiques et financiers. On quitte notre rédaction en 2013 pour se lancer comme pigistes. On tombe amoureux trois ans plus tard. On se sépare de nos conjoints respectifs et l’année d’après, on lance Gotham City.
Monter une entreprise à deux, c’est clairement se jeter dans le vide. Au début, c’était
d’ailleurs un peu le bordel,
on faisait tout ensemble. Le
truc, c’est que dans le travail,
on est très différents. C’est
évidemment une force, on est
plutôt complémentaires, mais
cela comporte ses revers. François ne communique pas toujours très bien alors qu’au contraire, j’en ai besoin. Il ne va pas, par exemple, me faire un point le matin pour me donner son programme de la journée. Il va d’abord faire les choses et me prévenir après.
Les premiers temps, j’ai souvent eu l’impression de travailler plus que lui parce que je suis assez rapide. J’enchaîne les tâches, j’ai sans cesse de nouveaux projets en tête alors que François est davantage dans l’analyse et dans la réflexion. Je peux avoir fini mon premier article de la semaine le lundi midi, quand il peut passer la journée sans écrire.
Cette charge mentale professionnelle s’est ajoutée à celle quotidienne : comme j’étais plus efficace au tra- vail, j’en faisais plus à la maison. Ça a créé énormément d’engueulades, surtout au début. Depuis, on a appris à mieux communiquer et même si on se dispute encore
à ce sujet au quotidien, on a naturellement compris qu’il est nécessaire de se répar- tir les tâches. On a chacun nos compétences, qu’il faut mettre à profit sans se mar- cher dessus. Nous n’avons pas de bureaux, notre travail se mélange à notre vie de famille recomposée déjà bien remplie, avec quatre enfants. Mais on a beaucoup de moments à nous.
Ça fait cinq ans maintenant qu’on a lancé Gotham, six qu’on vit ensemble. Je peux dire que ça n’a pas été simple, mais sans François, je n’aurais pas pu lancer ce média dont je suis très fière, c’est lui qui m’a transmis son goût d’enquêter sur les crimes financiers. »
François
46 ans
« Travailler en couple a été une grande surprise dans ma vie. Pour être honnête, je n’aurais jamais imaginé que cela puisse m’arriver un jour. Il faut dire qu’avant Gotham City, j’avais une image assez négative du travail en couple. Pour moi, ça ressemblait à l’enfer sur terre. Finalement, l’expérience avec Marie s’est révélée être tout l’inverse. J’ai toujours eu cet intérêt pour les affaires financières, à mes yeux, c’est une manière de dénoncer les abus des puissants. Marie a permis de transformer cet intérêt en quelque chose de concret. Je n’aurais jamais créé Gotham sans elle et je pense qu’elle ne l’aurait pas fait sans moi.
Parce qu’on y traite de sujets
assez sensibles, on est régulièrement poursuivis en justice par les personnes dont on dénonce les abus. Ça pourrait ajouter une pression sur notre couple, mais ce n’est pas le cas. On y pense surtout quand le facteur sonne, on se dit : “Une nouvelle plainte ?”. C’était dur au début, mais nous nous y sommes habitués. Il faut tout de même noter que si neuf fois sur dix nous gagnons nos procès, cela nous coûte toujours en temps et en argent, ce qui impacte l’entreprise qui nous fait vivre.
Marie et moi avons des personnalités différentes mais complémentaires. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de frictions ou de malentendus entre nous. Marie est plus rapide et a tendance à s’emporter facilement alors que je suis plus lent et calme. J’avais peur qu’on soit tout le temps l’un sur l’autre, or on se partage les tâches en fonction de nos intérêts. Répondre aux lettres des avocats, ça m’amuse, alors que Marie, pas du tout. Et pour les choses qui n’amusent ni l’un ni l’autre comme l’administratif, on s’y colle à deux. Ce sont ces différences qui font notre force. Ça nous aide à réfléchir sur nos manières de faire, de communiquer et de travailler.
Nous n’avons plus de bureaux depuis qu’on a emménagé dans un plus grand appartement. L’organisation physique, c’est peut-être le plus dur à gérer finalement. Mais je ne pense pas que cela soit très différent chez les personnes en télétravail. Je dirais qu’on vit deux passions : une amoureuse et une professionnelle. Les deux se complètent sans empiéter l’une sur l’autre, même si j’adore regarder Marie quand elle réfléchit, ça me donne envie de l’embrasser. »