En plein cœur du quartier Saint Etienne à Toulouse, une librairie généraliste et engagée a ouvert ses portes. "Au bonheur des Dames" entend offrir une place de choix à la littérature féministe et LGBTQIA+. Rencontre avec les fondatrices.
Deux exemplaires d'Au Bonheur des Dames d’Emile Zola ornent la vitrine. La redondance pourrait être abusive, s’il ne se cachait derrière une histoire attendrissante, témoin du lien entre la librairie au nom éponyme et ses client·es. « C’est une jeune femme qui nous a offert l'un d'eux. Elle a beaucoup aimé la librairie. C’est un vieil exemplaire, mais on l’a mis en vitrine quand même, à côté de la réédition en BD », racontent en chœur Marianne Vérité et Fatima Farradji, propriétaires de la boutique ouverte le 9 janvier. Une anecdote qui témoigne de l’attachement déjà bien réel des habitant·es du quartier pour la librairie de la rue Ninau. Signe de l'ouverture toute récente, l'enseigne indique encore "Flat", magasin de luminaire qui occupait précédemment l'espace. Mais bientôt, la devanture arborera l’inscription « Au Bonheur des Dames ». Un nom plein de sens pour une librairie généraliste mais engagée, où 80 % des livres sont écrits par des femmes, selon le quota qu'elles se sont fixé afin de prendre le contrepied des librairies classiques. Et où les rayons féministes et LGBTQIA+ sont mis à l’honneur.
Une pari risqué, mais gagnant
L'envie de créer une librairie engagée est partie d’un constat simple : « Aujourd’hui on parle beaucoup de féminisme, mais ça reste compliqué de trouver des publications spécifiques. Sur des femmes artistes par exemple », remarque Fatima. Même constat du côté des écrits LGBTQIA+. « Quand j’avais 20 ans, je rentrais chez Ombres Blanches [la librairie de référence à Toulouse, ndlr], je ne trouvais pas ce que je cherchais. Et je n’osais pas demander… », confie Marianne Vérité. Ce lieu a donc été pensé comme « un endroit où on aurait rêvé de rentrer ». C’est peut-être de là que vient l’impression d’être Au Bonheur des Dames comme dans le salon d’un couple féru de littérature, davantage que comme dans un magasin. Les fauteuils où les habitué·es commencent à venir s’installer y sont sans doute pour quelque chose. Et puis comme à la maison, les rayons ne sont pas organisés par ordre alphabétique. Les étagères ne débordent pas non plus de livres. Chaque exemplaire est là après avoir fait l’objet d’une sélection pointue, fruit de « beaucoup de recherches, qui impliquent de ne pas toujours être d’accord. Mais au moins, on sait pourquoi chaque livre est là », admet Fatima Farradji. Poésie, littérature jeunesse, romans ou manga, tous les genre sont présents. Seul dénominateur commun : la volonté, quasi-militante, de déconstruire « des stéréotypes toujours très présents ».
Un envie bien précise pour un projet qui n'a rien d'un coup de tête. « C’est le fruit d’une rencontre » entre deux femmes passionnées par les livres, qui décident de se reconvertir et de « réaliser un rêve de jeune adulte, à 45 ans. » Fatima est ancienne bibliothécaire et Marianne, psychologue dans le social. Toutes les deux n’ont quitté leurs anciens emplois qu’au dernier moment, en décembre 2020. C'est donc en parallèle de leurs métiers, qu'elles ont travaillé à la création de leur librairie.
Il semble ainsi que rien n’aurait pu les arrêter. Pas même une crise sanitaire pendant laquelle le livre s’est vu qualifié de « bien non-essentiel ». Si leurs masques cachent leurs sourires, la fierté d'avoir mené a bien « une reconversion intime et personnelle » se lit dans leurs yeux. Grâce à elles, Au Bonheur des Dames rentre dans le club très fermé des librairies où féminisme et thématiques LGBTQIA+ ne sont pas reléguées au fond du magasin. Et c'est loin d'être une mince victoire.