Magazine n°142 – Mars 2023

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ÉDITO

Ce matin-​là, elle boit son café, les yeux dans le vague, la tête à l’envers. Encore une nuit de garde qui décalque. Les che­veux rele­vés en chi­gnon, n’importe com­ment. Ça
fait bien long­temps qu’elle ne les a pas déta­chés. Pas pra­tique. Les néons et les
murs verts de l’hôpital n’arrangent pas son teint bla­fard et les cernes sous ses
yeux. D’ailleurs, c’est quand la der­nière fois qu’elle a vu son visage sans cernes
dans le miroir ?

Une fois encore, cette nuit, elle a tiré sur la corde, paré au plus pres­sé, explo­sé ses horaires, cou­ru d’une chambre à l’autre. Une fois de plus, elle n’a pas pu prendre le temps d’écouter la dame de la chambre 241. Elle ne se plaint pas beau­coup pour­tant, la vieille. Elle n’ose même pas, la pauvre. Elle n’a pas non plus pu faire le pan­se­ment sur la jambe du mon­sieur à mous­tache de la 358 avec la déli­ca­tesse qu’elle aurait vou­lu. Quant au petit Joseph de la 512, avec son crâne d’œuf, elle n’a pas su le ras­su­rer avant la piqûre. Elle s’est même impa­tien­tée face à ses pleurs. Toujours pas le temps…

Alors voi­là. Il est 7 h 32, elle a bos­sé douze heures d’affilée, à peine le temps de pis­ser, elle est épui­sée. Elle a fran­che­ment tout don­né, et pour­tant, elle culpa­bi­lise. Elle n’avait pas signé pour ça, au départ, mince ! Elle pen­sait qu’elle allait aider les gens. Prendre soin d’eux. C’est bien ça la signi­fi­ca­tion du mot soignant·e, non ? Elle croyait que son métier aurait du sens pour elle. Petite, elle ado­rait appor­ter un thé au lit à sa mamie quand elle avait la grippe, conso­ler son petit cou­sin quand il avait un cha­grin, ou sa cama­rade de classe qui s’était cas­sé le bras. Toujours dévouée. Toujours là pour les autres. Alors quand on lui a dit qu’elle pou­vait en faire son métier, elle a dit banco !

Mais ça fait presque vingt ans qu’elle exerce. Et sou­dain, ça n’a plus de sens pour elle, jus­te­ment. Elle n’a plus les moyens de bien prendre soin. Elle le fait mal, et sans plai­sir. Elle se sen­ti­rait presque mal­trai­tante avec ses patient·es. Alors, STOP ! Il est 7 h 32. Elle boit son café et, d’un coup, elle sait. Demain, elle ne revien­dra pas. Ça la dévaste, mais demain, l’hôpital fera sans elle. Eh oui, une de plus qui rac­croche la blouse…

Ce numé­ro de Causette est dédié à tous·tes les soignant·es qui nous lisent (et aux autres aus­si, quand même). Force et cou­rage. On est ensemble.

Causette

Extraits du numéro :
Illustration épifounie

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