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Valentine Fortin, de la Cofidis Women Team, sur la Classique Morbihan, le 13 mai. © Mathilde L’azou

Cyclisme : com­ment le Tour de France Femmes compte s'imposer comme grande com­pé­ti­tion sportive

Un peu plus de médiatisation, un peu moins de sexisme : lentement, le cyclisme féminin progresse. Le milieu professionnel reste très masculin, mais le Tour de France Femmes pourrait lever quelques freins.

Le 24 juillet, des cyclistes ont roulé sur les Champs-Élysées. Des hommes, évidemment, qui ont ainsi conclu la 109e édition de leur Tour de France. Mais aussi, cette année, des femmes, qui ont pris le départ du leur. Vingt-quatre équipes prêtes à écraser les pédales, pour avaler un peu plus de 1 000 kilomètres en une semaine. Après huit étapes, leur course s’achèvera le 31 juillet dans les Vosges, sur les hauteurs de La Planche des Belles Filles (Haute-Saône).

Une station de sports d’hiver au nom fort à propos pour cette Grande Boucle féminine qui fait son retour. « On a envie d’être encore là dans cent ans, clame l’ancienne cycliste professionnelle Marion Rousse, qui a été choisie pour diriger l’événement. Le vélo féminin ne manque pas de courses, mais le Tour de France a une aura que les autres n’ont pas. Les femmes seront retransmises dans 190 pays, avec 2 h 30 de direct par jour, et sur France 3, comme les hommes. »

Aussi souvent que possible, Marion Rousse cite le nom complet de l’événement : « le Tour de France Femmes avec Zwift ». Zwift ? Ce sponsor propose un programme d’entraînement virtuel qui se pratique sur un vélo d’intérieur connecté. En un clic, vous voilà roulant sur le circuit d’un championnat de France. Cette appli, qui rend le « home training » ludique, a cartonné lors des confinements. Dans un milieu qui reste historiquement dominé par les hommes, de nombreuses femmes se sont ainsi frottées plus sérieusement à la course. « Sans un partenaire comme eux, le Tour de France Femmes n’existe pas », glisse Marion Rousse.

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Zwift finance également la mythique course Paris-Roubaix, version femme. Pour la toute première édition, en 2021, Audrey Cordon-Ragot s’est classée 8e et meilleure Française. Après une édition 2022 qui lui a moins réussi, elle note un engouement nouveau pour son sport : « La médiatisation a énormément changé, j’ai quatre ou cinq fois plus de sollicitations depuis l’année dernière. Les médias commencent à réaliser que la cycliste féminine a des choses à dire et à montrer. On a un parcours complètement différent de celui des hommes : on est là parce qu’on s’est battues pour y être. Il y a quinze ans, je n’aurais jamais pu imaginer prendre le départ d’un Paris-Roubaix. Avant d’être écoutées, on a été sous-estimées et mises de côté. » Un exemple parmi d’autres : pendant des années, les femmes ont couru une heure avant les hommes, sans que leur course soit filmée, alors que les caméras étaient installées depuis la veille…

“Électrochoc” du Paris-Roubaix féminin

Sous-estimation oblige, l’idée que des femmes se bagarrent sur les pavés de « l’enfer du Nord » a fait ricaner dans le milieu. Y compris chez Amaury Sport Organisation (ASO), qui organise cette course et tant d’autres, dont le Tour de France. Le directeur technique des épreuves, Thierry Gouvenou, confesse volontiers son scepticisme initial. « Moi-même, j’avais de gros doutes sur leurs capacités à affronter les pavés. Je pensais que le Paris-Roubaix était réservé aux hommes avec une certaine corpulence… Ça a été un électrochoc pour beaucoup de personnes qui se sont rendu compte du niveau réel qu’avaient ces coureuses. »

Moins médiatisées, les cyclistes féminines sont également moins récompensées. En 2021, la vainqueure du Paris-Roubaix a reçu 1 500 euros, contre 30 000 euros pour le vainqueur… Pour la deuxième édition, la prime de victoire pour les femmes a été réévaluée à 20 000 euros. « Le cyclisme féminin est un investissement, on perd de l’argent pour l’instant, plaide Thierry Gouvenou côté organisateurs. On sent un intérêt général qui commence à poindre, mais il reste difficile de capter l’attention des sponsors et des médias lorsqu’il s’agit des femmes. On manque encore de championnes emblématiques qui attirent les médias. »

Ouvrir la route aux prochaines générations

Malgré ce manque de considération, la professionnalisation des coureuses est enclenchée depuis plusieurs années. Du haut de ses 23 ans, Evita Muzic fait partie de cette première génération de sportives qui vivent du vélo. À son compteur : trois titres de championne de France, une victoire d’étape sur le Tour d’Italie et un contrat professionnel signé en 2020. « Après des années au niveau amateur, ça a été le déclic, se souvient Evita Muzic. Aujourd’hui, quand on me demande mon métier, je peux dire que je suis coureuse professionnelle. » Cette année-là, l’Union cycliste internationale instaure un salaire minimum que les équipes doivent verser aux femmes : 27 000 euros brut par an. « Le minimum passera à 38 000 euros dans quatre ans, précise Thierry Gouvenou. Être salariée, c’est l’illustration la plus concrète de la professionnalisation. Comme les hommes, les femmes doivent pouvoir vivre de leur profession de cycliste. » Il faudra néanmoins encore du temps pour combler le fossé qui s’est creusé, tant le développement du vélo féminin a été freiné. Les équipes professionnelles féminines peinent à recruter : l’équipe d’Evita Muzic, bien fournie par rapport à d’autres, compte 14 coureuses, contre 30 en moyenne dans les équipes masculines.

Les coureuses espèrent que le Tour de France 2022 fera évoluer les mentalités. Evita Muzic a hâte de se mettre en selle : « J’attends du Tour qu’il soit aussi grandiose que pour les hommes, qu’il y ait autant de personnes pour nous encourager sur les bords des routes et autant de médiatisation. » Sa famille a posé des congés pour la soutenir, d’autant que l’arrivée de la course aura lieu dans sa région natale, la Bourgogne-Franche-Comté.

Valentine Fortin, 23 ans, prendra aussi le départ du Tour. Elle qui a participé aux Jeux olympiques de Tokyo en cyclisme sur piste et raflé de nombreuses médailles au niveau français, européen et mondial, promet un spectacle intéressant : « Avant, on disait que les courses femmes étaient ennuyeuses : c’était toujours les mêmes qui gagnaient. Mais le niveau a évolué et elles deviennent de plus en plus passionnantes et surprenantes. » Audrey Cordon-Ragot rêve de gagner une étape. Mais au-delà du classement, elle va accomplir quelque chose qui vaut pas mal de médailles : « Les petites filles vont pouvoir s’identifier à des cyclistes, ce qui était impensable pour moi quand j’ai ­commencé, tellement le vélo était un truc d’hommes. »

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