athletes
Les athlètes françaises gagnent moins de médailles que leurs homologues masculins. Matt Lee / Unsplash, CC BY-SA

Pourquoi les ath­lètes fran­çaises remportent-​elles moins de médailles que les hommes ?

Causette est asso­ciée au site The Conversation, qui regroupe des articles de chercheur·euses de dif­fé­rentes uni­ver­si­tés et per­met à des médias de repu­blier les textes. Ce dimanche, trois cher­cheuses en socio­lo­gie du sport ana­lysent une étude sur les dif­fé­rences d'épanouissement des car­rières d'athlètes femmes et hommes pour expli­quer les moindres per­for­mances des premières. 

Hélène Joncheray, Université de Paris ; Christine Hanon, Institut natio­nal du sport de l'expertise et de la per­formance (INSEP) et Sylvaine Derycke, Université de Bretagne occidentale

Les JO de Tokyo, dont l’ouverture est immi­nente, vont accueillir presque 49 % d’athlètes femmes, toutes natio­na­li­tés confon­dues, un record. Et la pari­té devrait être tout à fait atteinte aux pro­chains jeux, en 2024, à Paris. Enfin, la pari­té… dans la par­ti­ci­pa­tion. Celle rela­tive aux per­for­mances est encore lar­ge­ment hors de por­tée, du moins en France. Ainsi, tous sports confon­dus et pro­por­tion­nel­le­ment au nombre de sélec­tions, les Françaises ont rem­por­té 1,7 fois moins de médailles que les Français sur les trois der­nières édi­tions des Jeux olym­piques d’été (Pékin 2008, Londres 2012 et Rio 2016).

Or la France est la seule nation par­mi les neuf meilleures – Chine, États-​Unis, Grande-​Bretagne, Russie, Allemagne, Corée, Italie, Australie – à pré­sen­ter une telle sous-​représentation de médaillées. Le constat est par­ti­cu­liè­re­ment évident en ath­lé­tisme : sur ces mêmes trois évé­ne­ments, les hommes ont rem­por­té cinq fois plus de médailles que les femmes !

file 20210722 15 1akhjd8.png?ixlib=rb 1.1
Différence de médailles entre les hommes et les femmes : un score néga­tif indique moins de médailles pour les femmes. Fourni par l'auteur

Ces chiffres sont issus de recherches menées par des socio­logues, dans le cadre d’un par­te­na­riat avec l’Insep (Institut natio­nal du sport, de l’expertise et de la per­for­mance) et sous l’égide de la Fédération fran­çaise d’athlétisme. La FFA avait en effet iden­ti­fié cette dif­fé­rence de résul­tats entre ses spor­tifs et ses spor­tives et avait donc un double objec­tif : d’une part, véri­fier que ce constat de ter­rain était bien sta­tis­ti­que­ment éta­bli. Et d’autre part, si tel était le cas, com­prendre quels élé­ments pou­vaient expli­quer cette différence.

Une enquête de haut niveau

Comme le révèlent les chiffres cités pré­cé­dem­ment, les conclu­sions de l’analyse sta­tis­tique sont sans appel. La pre­mière par­tie du contrat étant hono­rée, res­tait à savoir d’où venaient ces dif­fé­rences de per­for­mances. Pour répondre à cette ques­tion, ce ne sont pas les spé­ci­fi­ci­tés entre les hommes et les femmes qui ont été étu­diées, mais plu­tôt les para­mètres qui per­mettent de per­for­mer et, par­mi eux, ceux contri­buant au déca­lage dans les per­for­mances des spor­tifs et des sportives.

file 20210722 23 v20cz.png?ixlib=rb 1.1
Différence de médailles entre les hommes et les femmes en ath­lé­tisme. Fourni par l'auteur

Trente ath­lètes fran­çais de haut niveau (15 hommes et 15 femmes) et 22 acteurs gra­vi­tant autour d’eux (entraî­neurs, cadres fédé­raux, acteurs du sec­teur pri­vé…) ont été inter­viewés. Cet échan­tillon est assez excep­tion­nel puisque les meilleurs ath­lètes fran­çais (ceux qui ont rap­por­té le plus de médailles aux Jeux olym­piques, Championnats du monde et Championnats d’Europe) y sont repré­sen­tés, ain­si qu’un large panel d’acteurs qui cocons­truisent avec eux l’athlétisme en France. Il en est res­sor­ti plu­sieurs obser­va­tions majeures dont trois par­ti­cu­liè­re­ment importantes.

Premier défi : capi­ta­li­ser sur la performance

D’abord, rap­pe­lons qu’en ath­lé­tisme, il est dif­fi­cile pour un ath­lète, quel que soit son genre, de trans­for­mer les per­for­mances spor­tives en per­for­mances éco­no­miques. Remporter une médaille ne suf­fit en effet pas à assu­rer la péren­ni­té d’une carrière.

Stabiliser ses reve­nus demande des com­pé­tences sur la ges­tion du sta­tut d’entrepreneur libé­ral, ce qui manque par­fois dans l’apprentissage du métier de spor­tif de haut niveau. Ainsi, sur les 30 ath­lètes inter­ro­gés, 16 seule­ment béné­fi­cient d’une sta­bi­li­té éco­no­mique dans le temps, leur per­met­tant de se consa­crer plei­ne­ment à leur car­rière avec séré­ni­té. Parmi eux, cinq hommes sont de mul­tiples médaillés et/​ou suf­fi­sam­ment média­ti­sés pour béné­fi­cier de spon­sors assu­rant des reve­nus stables. 11 autres (sept femmes et quatre hommes) cumulent des aides fédé­rales à des par­te­na­riats pri­vés, et s’appuient éga­le­ment si néces­saire sur les reve­nus de leur conjoint. Les 14 ath­lètes res­tants sont quant à eux dans une situa­tion plus précaire.

Or l’enquête révèle que lorsqu’il s’agit de capi­ta­li­ser sur ses per­for­mances, la ques­tion du phy­sique est beau­coup plus impor­tante chez les femmes que chez les hommes. Cela peut poser pro­blème, sur­tout lorsque les spor­tives ne cor­res­pondent pas aux stan­dards de beau­té nor­ma­tifs. Il y a ain­si un para­doxe entre l’exigence de la per­for­mance, qui impose aux femmes d’accepter des trans­for­ma­tions cor­po­relles ou des chan­ge­ments de « fémi­ni­té », et l’obtention de contrats de par­te­naires pri­vés, qui dépend for­te­ment de l’image de « fémi­ni­té traditionnelle ».

Deuxième défi : gérer son image en ligne

Cette dif­fi­cul­té peut se cumu­ler avec une deuxième obser­va­tion majeure : gérer son image sur les réseaux sociaux n’est pas chose aisée. Sportifs et spor­tives ne sont pas tou­jours pré­pa­rés à cette acti­vi­té, pour­tant deve­nue presque incon­tour­nable. D’autant que le mon­tant des contrats avec les par­te­naires pri­vés peut dépendre en par­tie du nombre de « fol­lo­wers » de l’athlète.

Hommes comme femmes manquent de com­pé­tences et de for­ma­tion dans ce domaine, mais en plus, les secondes ont ten­dance à être sur­ex­po­sées sur les réseaux sociaux. Ce qui peut être à double tran­chant. Pour celles qui ne cor­res­pondent pas aux stan­dards de la « fémi­ni­té tra­di­tion­nelle », cette nou­velle média­ti­sa­tion peut deve­nir une source de pres­sion sup­plé­men­taire. En revanche, pour les spor­tives qui savent construire leur image et adap­ter leur com­mu­ni­ca­tion aux attentes de la socié­té, les réseaux sociaux peuvent être une oppor­tu­ni­té pour cap­ter cer­tains contrats finan­ciers, par exemple, dans le domaine du bien-​être, de la san­té, du fit­ness, etc. En résu­mé ? Si glo­ba­le­ment ce « mar­ché ath­lé­tique » n’est pas à l’avantage des femmes, il ne faut cepen­dant pas nier la capa­ci­té « d’empowerment » de cer­taines d’entre elles lorsqu’elles en ont l’opportunité.

Troisième défi : la parentalité

Enfin, l’étude fait émer­ger un troi­sième constat majeur : le rap­port des spor­tifs et des spor­tives à la paren­ta­li­té est dif­fé­rent. Parmi les 30 spor­tifs inter­ro­gés, six sont pères et cinq sont mères. Les pères font tous par­tie des meilleurs ath­lètes et quatre d’entre eux estiment que la pater­ni­té n’est pas incom­pa­tible avec le sport de haut niveau, voire, au contraire, peut repré­sen­ter une force sup­plé­men­taire. Elle est aus­si, par­fois, source de pres­sion, puisque ces spor­tifs apportent la majeure par­tie des reve­nus de leur foyer, alors que la grande majo­ri­té des mères s’appuie sur les reve­nus de leur conjoint ou de parents. Pour les deux meilleures ath­lètes par­mi les mères, la mater­ni­té est aus­si envi­sa­gée posi­ti­ve­ment, à condi­tion d’être pro­gram­mée et qu’elles aient l’assurance d’un sou­tien de la part de leurs par­te­naires privés.

En revanche pour sept spor­tives, dont deux mères, la mater­ni­té est incom­pa­tible avec la car­rière spor­tive de haute per­for­mance et est ain­si envi­sa­gée en fin de car­rière. L’étude démontre donc que des spor­tives sont prêtes à faire le deuil de la mater­ni­té au nom de la performance.

Or un tel sacri­fice est-​il indis­pen­sable ? Le hand­ball fémi­nin s’est doté d’une conven­tion col­lec­tive pour assu­rer le salaire des joueuses pro­fes­sion­nelles pen­dant un an lors d’une gros­sesse. Et la Fédération inter­na­tio­nale de foot­ball cherche à créer un congé mater­ni­té pour les foot­bal­leuses pro­fes­sion­nelles. De son côté, d’après nos infor­ma­tions, la FFA compte s’appuyer sur cette enquête pour mettre en place plu­sieurs mesures visant éga­le­ment à faire évo­luer les pra­tiques et les repré­sen­ta­tions des femmes dans le sport.

Et du côté des solutions ?

La pre­mière étape va consis­ter à inté­grer, dans l’ensemble des for­ma­tions de la Fédération, des modules spé­ci­fiques repre­nant les résul­tats de cette étude. L’objectif est de sus­ci­ter des réflexions com­plé­men­taires chez les entraî­neurs sur la façon de prendre en compte toutes les spé­ci­fi­ci­tés d’un indi­vi­du, y com­pris son genre. Avec un équi­libre à trou­ver : ne pas ren­for­cer les sté­réo­types, mais ne pas nier les spé­ci­fi­ci­tés. Un an de tra­vail va ain­si être consa­cré à fina­li­ser la trans­mis­sion du rap­port et à orga­ni­ser les modules de formation.

Mais il ne s’agira pas de s’arrêter là. La FFA réflé­chit aus­si à déployer un sys­tème de men­to­rat pour per­mettre à des femmes lea­ders d’accompagner leurs consœurs spor­tives, ou encore à ren­for­cer et sys­té­ma­ti­ser des for­ma­tions spé­ci­fiques aux réseaux sociaux pour les ath­lètes. Elle va éga­le­ment pro­po­ser des mesures inci­ta­tives pour encou­ra­ger les femmes à pas­ser des diplômes d’entraîneur, en par­ti­cu­lier de haut niveau : en effet plus le niveau de cer­ti­fi­ca­tion monte, moins les femmes à s’y pré­sen­ter sont nombreuses.

L’athlétisme, bien que sport mixte, reste enca­dré très prin­ci­pa­le­ment par des hommes, et il fau­dra là encore com­prendre pour­quoi. Cette recherche a ain­si fait émer­ger de nou­velles ques­tions, dont il semble impor­tant de conti­nuer à cher­cher les réponses. Avec l’objectif que l’équilibre ne se retrouve plus seule­ment dans la par­ti­ci­pa­tion des spor­tifs et spor­tives fran­çais… mais aus­si dans le nombre de médailles remportées.


Cet article a été écrit avec les contri­bu­tions de Mathilde Julla-​Marcy, Lucie Forté, Rémi Richard, Julia Elefteriou, Anaïs Sabot et Quentin Delarochelambert.

Hélène Joncheray, Chercheuse en socio­lo­gie du sport de haute per­for­mance (INSEP), Université de Paris ;
Christine Hanon, réfé­rente scien­ti­fique fédé­ra­tion fran­çaise ath­lé­tisme, Institut natio­nal du sport de l'expertise et de la per­for­mance (INSEP)
et Sylvaine Derycke, Maîtresse de confé­rences en socio­lo­gie et anthro­po­lo­gie du sport, Université de Bretagne occidentale

Cet article est repu­blié à par­tir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article ori­gi­nal.

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés