purple and white round fruit
© Deon Black

Lettre à mon uté­rus : « J’ai réa­li­sé que j’étais cyclique, comme le reste de la nature »

Causette est par­te­naire de Lettres d’une géné­ra­tion, un site sur lequel les adolescent·es et jeunes adultes fran­co­phones sont invité·es à écrire une lettre à un des­ti­na­taire qui ne peut pas répondre. Toutes les deux semaines, Causette publie l’une de ces mis­sives.
Dans ce trei­zième épi­sode, Elise, 23 ans et habi­tante de Seine-​et-​Marne, écrit une longue lettre de récon­ci­lia­tion avec sa fémi­ni­té biologique.

Vous avez entre 15 et 25 ans et sou­hai­tez par­ti­ci­per au pro­jet Lettres d’une géné­ra­tion ? Écrivez-​leur par là !

"Du plus loin que je me sou­vienne, on a tou­jours eu une rela­tion com­pli­quée. Il faut dire que tu es entré dans ma vie assez brus­que­ment. Je ne connais­sais pas vrai­ment ton exis­tence avant que tu me fasses mal. Ce jour-​là, en regar­dant le sang cou­ler dans la bai­gnoire, je me suis deman­dée lequel de mes organes était en train de décé­der. Une adulte com­pé­tente m’a dit que c’était toi, ça ne m’a pas tel­le­ment rassurée.

Elle a aus­si dit que c’était par toi que je pou­vais faire des bébés, et que main­te­nant j’étais une femme. Ça res­sem­blait à une mau­vaise nou­velle. Moi qui ne vou­lais déjà pas d’enfants, j’ai été tel­le­ment en colère ! On venait de m’annoncer qu’il y avait un monstre dans mon ventre qui, tous les mois, me ren­drait malade sans mon consen­te­ment. Douze semaines par an je devrai me gaver de cachets et cacher les traces de sang. Je n’ai jamais très bien com­pris pour­quoi c’était si hon­teux. Je trou­vais ce manège ridi­cule : se tordre devant un miroir, deman­der à une copine si on a une tâche, chu­cho­ter pour deman­der une ser­viette, enfouir les pro­tec­tions dans des boîtes. C’était ridi­cule mais je m’y pliais quand même. Tu es appa­ru en trim­ba­lant avec toi tous les chan­ge­ments ingrats de l’adolescence, avec ses dou­leurs et ses incer­ti­tudes. Je n’avais pas les clefs pour t’accueillir. 

Tu com­prends, j’ai tou­jours enten­du qu’il fal­lait tou­jours être la meilleure ver­sion de soi-​même : la ver­sion dyna­mique et proac­tive. Je vou­lais être forte, je ne vou­lais ne jamais pou­voir être infé­rio­ri­sée à cause de mon genre ou à cause de mon sexe. Je ne vou­lais jamais être taxée d’hystérique ou de pleu­reuse. Je ne vou­lais pas être consi­dé­rée comme une boîte à bébé. J’ai vou­lu reje­ter ma féminité.

Adolescente je pen­sais qu’une « vraie fille » était une nunuche rose et hyper­sen­sible qui n’a pas d’humour. Ça m’a per­mis d’avoir plein de copains gar­çons. J’étais tel­le­ment heu­reuse quand je sen­tais qu’ils me consi­dé­raient comme l’un des leurs, quand ils oubliaient le temps d’une soi­rée que j’avais des seins. Je ne me reven­di­quais fille que lorsque je vou­lais par­ler de sexisme ou dra­guer quelqu’un.

Puis j’ai décou­vert le fémi­nisme, par petites par­celles. J’étais révol­tée contre chaque nou­velle injus­tice que je décou­vrais. Evidemment, je n’ai jamais pen­sé consciem­ment que c’était de ta faute, mais je t’en vou­lais dans le fond. Sans toi on ne m’aurait peut-​être pas dif­fé­ren­ciée d’un homme. Et puis on ne m’aurait jamais trai­tée d’hystérique, puisque cet hor­rible mot naît de ton éty­mo­lo­gie. Je vou­lais être « comme un homme » pour être trai­tée comme leur égal, et tes stu­pides règles m’en empê­chaient. Je ne pou­vais même pas m’organiser en fonc­tion d’elles, car elles n’arrivaient jamais quand elles étaient pré­vues. Les symp­tômes chan­geaient tous les mois : par­fois j’avais trop mal pour faire du sport, par­fois je pleu­rais comme une made­leine devant des pubs pour céréales, par­fois je per­dais du sang jusqu’à l’anémie.

Je suis tom­bée amou­reuse, j’ai essayé la pilule, j’ai pris 12 kilos. J’ai vou­lu chan­ger, la gyné­co m’a répon­du que le pré­ser­va­tif ne fai­sait pas gros­sir. À par­tir de ce jour, la quête impos­sible pour trou­ver un contra­cep­tif qui te soit adap­té a com­men­cé. Celle pour trou­ver un gyné­co qui soigne les dou­leurs de règles avec autre chose que de l’antadys aus­si. J’ai vite eu autant de gyné­co­logues que d’amant·es. Rien ne fonc­tion­nait : les pilules, les sté­ri­lets, l’implant… À chaque nou­velle ten­ta­tive la situa­tion empi­rait. Je ne compte plus le nombre de jours où, lorsque tu sai­gnais, je ne pen­sais qu’à m’ouvrir les veines. Je t’ai haï pour toutes ces jour­nées où tu m’as fait mal au point de ne plus pou­voir me lever, pour toutes les salo­pe­ries que je devais prendre pour vivre avec toi, pour l’argent que tu me cou­tais, pour le temps pas­sé chez des méde­cins qui n’avaient aucune solu­tion à me pro­po­ser. J’ai espé­ré tel­le­ment de fois être sté­rile. J’ai tel­le­ment prié pour que tu n’existes pas. Je me deman­dais à quoi tu ser­vais mis à part me faire mal et me coû­ter du temps et de l’argent. Tu étais à mes yeux une chose qui ne m’appartenait pas, une sorte de parasite. 

Malgré les hor­mones, je suis tom­bée enceinte. C’était la deuxième fois. J’étais pas­sée au sté­ri­let pour­tant, pour être sûre que ça ne réar­rive pas. En fixant le test de gros­sesse, je me suis deman­dée si c’était une mau­vaise blague. Cette fois l’embryon s’est accro­ché, l’avortement s’est mal passé. 

J’ai déci­dé de me tour­ner vers d’autres méde­cines : vers les savoirs brû­lés des her­bo­ristes et autres sorcier·ères. C’est un pro­ces­sus lent qui n’a pas encore por­té tous ses fruits, mais grâce à lui j’apprends à mieux te connaître. Au fil des appren­tis­sages, j’ai réa­li­sé que j’étais cyclique, comme le reste de la nature. J’ai aus­si réa­li­sé que notre socié­té ne nous don­nait pas accès à ce cyclisme. Il fau­drait tou­jours être proac­tif, dyna­mique, égal. Peu importe les sai­sons ou la période. J’ai com­pris pour­quoi tu m’avais fait autant de mal toutes ces années. Je ne savais pas t’écouter. La mécon­nais­sance, la honte puis la haine que j’ai por­té à ton encontre ne pou­vaient pas te per­mettre d’être en bonne santé.

Aujourd’hui je veux m’excuser pour toutes ces années où je t’ai reje­té. Pardon pour toute la colère que j’ai eu contre toi. Pardon de nous avoir fait du mal. Je te pro­mets qu’à par­tir de main­te­nant je ferai de mon mieux pour t’écouter. Je veux apprendre à célé­brer chaque période de notre cycle : les jours où je suis une lionne mali­cieuse comme les jours où je suis une loutre en boule au fond d’un lit. Je le sais désor­mais : j’arriverai réel­le­ment à être forte le jour où je sau­rai embras­ser l’entièreté de ce que je suis. Je serai à l’aise dans mon corps quand je sau­rai être atten­tive à tous ses signaux, et aux tiens par­ti­cu­liè­re­ment. J’ai hâte qu’on y arrive. Je vais faire de mon mieux pour être patiente d’ici là, c’est promis."

Elise, 23 ans, quelque part en Seine-et-Marne

Lettre d’une géné­ra­tion, épi­sode 12 l #MeTooInceste : « Afin d’éviter toute gêne fami­liale, il me dit du ton le plus calme de ne pas en parler »

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés