Sur les réseaux sociaux, les mascus s’arment de l’intelligence artificielle pour rhabiller les utilisatrices jugées trop provocantes, dans une campagne appelée “DignifAI”. Une nouvelle façon de chercher à humilier les femmes et contrôler leur corps.
Nous ne sommes que le 8 février, mais notre perte de foi en l’humanité a déjà atteint son quota pour l’année. On connaissait l’usage de l’intelligence artificielle (IA) dans le but de déshabiller les femmes, voire de générer des contenus pornographiques créés de toute pièce. La semaine dernière, des deepfakes de la chanteuse Taylor Swift ont notamment fait le tour d’Internet, relançant le débat sur les abus de ces technologies détournées pour ridiculiser des femmes livrées à elles-mêmes face au vide juridique lié à ces pratiques. Non contents donc de dévêtir des nanas qui n’ont rien demandé, les internautes masculinistes s’amusent désormais à couvrir celles qu’ils jugent “indignes”, “dégénérées” – comprendre trop dévêtues, maquillées, tatouées, etc. – dans l’idée encore et toujours de poser leurs pattes sur l’autonomie corporelle des femmes.
Purifier les femmes indignes
Comme souvent dans ce genre de récit, tout commence sur d’obscurs forums peu régulés, à l’image de la plateforme de discussion 4chan. C’est là que, depuis quelques semaines, une communauté de petits mascus se partage des images retouchées par une intelligence artificielle et issues du site Internet #DignifAI, contraction de dignify – “rendre digne” – et IA. Ces photos circulent aussi aujourd’hui sur X (ex-Twitter), où elles rencontrent une certaine popularité. Le magazine Dazed a pu se procurer le manifeste de cette communauté qui sent bon les incels, dans lequel on peut lire :
“Avec la puissance de l’IA,
Nous habillerons les Instahots.
Nous les purifierons de leurs tatouages.
Nous les libérerons de leurs piercings.
Nous allongerons leurs jupes.”
Y aurait-il un courant d’air ? Parce qu’on a des frissons. L’une des victimes de ce nouveau détournement d’images s’est confiée au média américain Rolling Stone. Isla David est une créatrice de contenu pour adultes et donc coutumière des attaques mascus sur Internet. “Ils enlèvent mes vêtements, modifient ma taille ou celle de ma poitrine et de mes hanches, explique-t-elle au magazine. Ils me traitent comme une pâte à modeler humaine qu’ils peuvent manipuler.” Cette fois pourtant, la photo générée par IA et postée sur X la montre couverte d’une modeste robe blanche, amincie et entourée de trois bambins. “L’IA imagine ce qui aurait pu se passer si ces femmes avaient été élevées par des pères forts”, écrit l’internaute réac qui a partagé l’image, dans une réthorique renvoyant les femmes qui souhaitent se montrer dévêtues sur Internet à un manque de “père fort” pour les éduquer à devenir de bonnes petites trad wives.
Déposséder
“Si c’est pour voler mes photos, soyez au moins précis : je suis bien plus une daddy [un papa, dans un contexte de personne sexuellement dominante, ndlr] que vous ne le serez jamais”, a rétorqué, avec humour, Isla David sous le tweet. De nombreux commentaires pointent par ailleurs du doigt la mauvaise qualité de ce montage, aux proportions grotesques. Mais l’idée n’est pas de créer une image plausible, l’idée est d’humilier ces femmes, dans un élan de slut-shaming – rabaisser ou culpabiliser une femme pour sa façon de se comporter ou de s’habiller – on ne peut plus commun, comme le rappelle la jeune femme. “L’image manipulée, analyse-t-elle, relève d’” une tentative de me porter atteinte et de me déposséder de mon autonomie corporelle, qu’il s’agisse d’ajouter ou d’enlever des vêtements”.
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Racisme et transphobie
Loin de se limiter aux femmes, les mascus adeptes de cette croisade infernale se sont aussi lancés dans la “purification” d’autres images qu’ils jugent indignes : ils transforment des peaux noires en peaux blanches et donnent aux personnes transgenres des attributs généralement associés à leur genre assigné à la naissance. Sur le site #DignifAI, on peut ainsi voir des images générées par IA de l’acteur trans Elliot Page affublé d’une poitrine généreuse et de cheveux longs, ou encore la photo d’une femme portant un bébé métis transformée pour que la carnation de l’enfant corresponde à celle de sa mère. Des attaques racistes et transphobes, qui confirment les dérives réactionnaires de l’intelligence artificielle ainsi détournée. Le progressisme peut aller se rhabiller.
